"Je sais que je réussirai, coûte que coûte". Ce "coûte que coûte" reviendra souvent dans la bouche de la jeune rappeuse de 25 ans lors de notre rencontre. Comme une envie de revanche. Cette hargne, la jeune femme l'a nourrie tout au long de son parcours. Davinhor (son vrai prénom- fusion des prénoms de ses parents, David et Hortense) est une enfant de l'exil. Née au Congo, elle a débarqué en France à l'âge de 3 ans- son père a fui après une incarcération pour ses prises de positions en faveur des droits humains. Dès son plus jeune âge, Davinhor se retrouve ballottée d'un foyer à un autre aux côtés de ses huit frères et soeurs. En roue libre, l'ado trouvera un exutoire dans l'athlétisme. Elle va courir pour évacuer sa rage. Mais la colère restera.
Après des errances dans le monde de la nuit, Davinhor va finalement trouver sa voie : le rap, comme une évidence. Son franc-parler et son insolence, jadis encombrants, sont devenus des atouts. Les deux producteurs, Les Daltonnes, ont saisi son potentiel de puncheuse. Adoubée par le rappeur Niska et son Planète Rap, sa plume corrosive fera rapidement mouche.
Sur la pochette de son premier album Indomptable, elle s'inspire du cliché iconique de Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis et célèbre l'indépendance des femmes avec un détail, le chiffre "13071965", subtil écho à la loi du 13 juillet 1965 qui autorise aux femmes le droit d'ouvrir un compte en banque et de travailler sans l'autorisation de leur mari. Dans ses titres, elle parle de "biff" et d'"oseille", de ces "fakes" qui lui tournent autour, de son coeur meurtri par les mecs qui ne la méritaient pas, de sa "peau couleur ébène", de ses "yeux braqués vers l'horizon". Si elle se défend de faire un rap "militant", Davinhor s'impose en boxeuse de mots, percutante, prête à en découdre.
Pour Terrafemina, Davinhor s'est posée et s'est livrée sur ses blessures passées et son "combat qui n'en finit jamais".
Davinhor : Ca a énormément joué. Je suis arrivée en France en avril 2000, à l'âge de trois ans. J'ai grandi dans un foyer Sonacotra à Giens dans le Loiret, puis on a déménagé dans un foyer à Compiègne ou encore un foyer à Creil où nous étions les seuls enfants. J'ai été ballotée de gauche à droite, sans repères, avec cette impression que personne ne voulait de nous.
J'ai grandi avec des Arméniens, des Tchadiens, des Tchétchènes à l'époque où il y avait des guerres un peu partout. J'ai appris à cohabiter, à vivre dans la difficulté avec les gens, c'est ancré en moi. Du coup, j'ai beaucoup changé d'amis, je ne suis pas quelqu'un qui s'attache facilement aux gens. Pour moi, c'était normal de ne pas nouer un lien fort avec un endroit ou des gens.
J'ai vu mes parents, qui n'ont pas eu de titres de réfugiés politiques, se battre pour survivre. Heureusement que les écoles en France sont gratuites. Je me sens privilégiée : que ce serait-il passé si j'avais grandi en Afrique ? Je me pose souvent la question et je remercie mon père et ma mère tous les jours pour m'avoir donné une vie meilleure.
D : Oui. Enfant, j'étais très turbulente. Heureusement, j'ai rencontré l'athlétisme qui m'a canalisée et donné des repères. Ca a été une vraie bouffée d'air. J'avais un réel besoin de courir.
D : C'est à l'époque où j'avais perdu pied après avoir arrêté l'athlétisme. Je traînais dans le monde de la nuit, j'avais de mauvaises fréquentations. C'était en 2018 et cela me faisait mal pour ces femmes brisées qui donnaient leur coeur à ces hommes. Je voulais casser les infidélités. Et j'avais surtout envie de faire parler de moi.
Je me suis beaucoup cherchée. Même quand j'étais petite, quand mes parents avaient des invités, j'étais cette enfant qui cherchait à capter l'attention. J'ai toujours su que je pouvais être "quelqu'un", mais je ne savais pas trop comment. Heureusement, le rap est arrivé.
D : Oui, beaucoup. C'est mon échappatoire. Et je rencontre plein de belles personnes. Cela m'a aidée à me discipliner, à me cadrer, je suis plus rigoureuse et assidue, moins fêtarde. Quand Les Daltonnes m'ont approchée, j'étais encore très fofolle. Et ils m'ont parlée. J'ai vu dans leur regard ce que je voyais chez mes entraîneurs. Lorsque j'ai arrêté l'athlétisme, à 19 ans, j'ai senti que je gâchais ma vie. Et cette fois-ci, je n'ai pas voulu laisser passer ma chance.
D : C'est un jeu auquel je jouais quand j'étais petite avec mes soeurs sur l'ordinateur. Comme ce bonhomme, je ne me laisse pas abattre, je relève la tête. J'ai eu un bad buzz avec mes snaps sur les infidélités, l'école, ça n'a pas marché, je me suis fait virer de l'athlétisme parce que je m'étais battue avec une fille... Le train passe peu de fois dans une vie. Aujourd'hui, la musique, ça marche : je pense que je suis rentrée dans le bon wagon. Et j'ai mon titre de transport !
D : Ca n'a pas été facile, cela a pris du temps. J'ai une prognathie, la mâchoire du bas qui est très avancée. Je ne m'aimais pas. Longtemps, je me suis cachée derrière mon maquillage, je dissimulais mes complexes derrière des crèmes éclaircissantes. Je ne suis pas fière de ça. Aujourd'hui, je me trouve beaucoup plus belle au naturel que maquillée. J'ai lu beaucoup de livres sur l'estime de soi, notamment celui de Joyce Meyer qui apprend aux jeunes à avoir confiance en soi. J'ai appris à accepter mes défauts.
D : Oui. Genre "maquille-toi". Sauf que c'est à moi de décider quand j'ai envie de me maquiller, je ne veux pas qu'on me l'impose ! On m'a aussi dit que le rap n'était pas ma place, que je devrais être à la cuisine. Ou que je rappais "comme un homme", que le matin, je devais "sûrement bander". Mais j'ignore ces genre de choses et je reste concentrée sur mes objectifs.
D : J'aurais tellement voulu vivre dans les années 80- 90 ! A cette époque, être un "garçon manqué", ce n'était pas un souci. Et puis il y avait Lauryn Hill, Alicia Keys... Je me retrouve dans ce type de femmes, autant à l'aise en survêt' et baskets qu'en talons aiguilles. J'adore aussi Mylène Farmer.
D : J'ai vu passer sur Twitter un jour : "C'est peut-être parce qu'elle est noire que ça ne marche pas". Nous sommes dans un pays à majorité blanche et on me faisait alors comprendre que la France avait peut-être plus besoin d'une blanche pour la représenter. Sauf que c'est faux, regardez Aya Nakamura : Aya, c'est la France. Et beaucoup d'artistes de musique urbaine sont d'origine congolaise comme moi : Niska, Youssoufa, Naza, Keblack, Gambino La MG... Les mentalités commencent à changer.
D : Les mentalités changent, sinon, je n'aurais jamais signé de contrat en maison de disque. Il n'y a plus de limites aujourd'hui, il y a de la place pour toutes les femmes. Il n'y a qu'à voir des filles comme Bianca Costa, Vicky R, Le Juiice, Chilla... Et on gagne autant, si ce n'est plus que les hommes. Notre indépendance leur fait peur, je le constate tous le jours.
D : Carrément. Avec des filles comme Chilla, Vicky R, Bianca Costa, le Juiice, on a compris que si l'on n'était pas soudées, on allait se manger entre nous et passer inaperçues. On a donc décidé de se donner la main, d'être fortes, de s'entraider.
Il y a de la place pour tout le monde, quoi qu'en disent certaines maisons de disque. Leur peur ? Qu'une femme puisse tomber enceinte, puisse grossir, qu'elle coûte trop cher. Ne nous leurrons pas : nous sommes des produits, ils investissent et veulent rentabiliser. Mais il faut savoir jouer avec ça. On sait que nous y arriverons main dans la main, pas en se tapant dessus. Des Amel Bent, Kenza Farah, Lââm, Vitaa, Diam's se sont battues pour qu'on soit là aujourd'hui.
D : J'aurais pu être Rosa Parks en fait. Comme elle, je ne me lèverais pas. Et personne ne pourra m'empêcher de bouger de là où j'ai envie de rester. Est-ce que mon rap est militant ? En tout cas, je m'impose beaucoup dans mes textes, je m'affirme. Je suis une exilée et je connais les impacts de la politique sur la vie d'un être humain. Dans la mienne en tout cas. Mais je n'ai pas particulièrement envie d'être une "leadeure".
D : Je suis pour que tout le monde cohabite ensemble, pour le rassemblement et l'unité, surtout pas pour la division. On peut vivre ensemble. Regardez comment ça se passe à Londres : personne ne dérange personne. En France, on entend trop souvent des attaques racistes et on ne se sent pas à notre place. Par contre, quand on va en Afrique, on voit que les blancs se sentent chez eux. Finalement, on ne se sentira jamais chez nous, c'est triste.
D : Oui, ma dernière relation était très toxique. J'ai l'impression d'être une survivante. Je me suis déjà dit que j'allais finir en psychiatrie. J'ai d'ailleurs été discuter dans un hôpital avec un psychologue, en pleine nuit. Mon ex m'a poussée à bout. Il me faisait culpabiliser sur des erreurs que je ne faisais pas, n'acceptait pas que je m'habille comme je voulais, que je montre mes bras, me punissait par le silence. Il avait peut-être peur d'être avec une femme qui s'acceptait trop.
Au début, je ne le voyais pas car ces gens-là arrivent à se faire aimer, mais il a tout fait pour que je perde confiance en moi, pour me rendre dépendante de lui. Je pensais que le plus dur serait de quitter cette relation toxique, mais le plus dur a été d'être sous son emprise. Aujourd'hui, je suis heureuse.
D : C'est moi ! Une personne qui ne se laisse pas faire, qui ne se laisse pas abattre par les coups durs de la vie. Une personne qui se relève et se bat pour réussir coûte que coûte. Des femmes indomptables, j'en vois autour de moi : ma mère, mes copines, ces femmes de banlieue qui travaillent comme des folles, créent des sociétés. On est toutes des indomptables en fait. Une femme, c'est fort.
Davinhor, album Indomptable
Disponible depuis le 25 mars 2022