Hans Bellmer (1902-1975) est un peintre et sculpteur franco-allemand du 20ème siècle. Ami de Georges Bataille et de Max Ernst, il fut un artiste majeur du courant surréaliste. Ses premières photos de poupées paraissent en 1935 dans la célèbre revue Le Minotaure, aux côtés des œuvres de Giacometti. Lorsqu’en 1933, les Nazis arrivèrent au pouvoir en Allemagne, Hans Bellmer, alors artiste peintre et décorateur publicitaire, décida de ne plus rien faire qui puisse être utile à l’Etat. C’est à cette époque qu’il crée sa première poupée, il déclinera ce sujet toute sa vie comme un leitmotiv obsédant. Que symbolisent les poupées de Bellmer ? L’artiste les évoquait ainsi : « des possibilités de décomposer et recomposer contre nature à tout hasard le corps et les membres. » Selon le critique d’art Boris Daireaux la poupée de Belmer est : « née à la fois de l'intérêt de l'artiste allemand pour la psychanalyse, les tréfonds et les vertiges de la conscience, un mélange complexe d'influences qui vont parfois jusqu'à se contredire. Objet érotique et sensuel, la poupée est aussi un objet morbide, violent, qui agresse la déliquescence d'un régime et d'un pays. Elle est cette attraction étrange, cette fascination obscure pour des sentiments contradictoires. On peut y voir tour à tour de la sensualité, de l'érotisme, et puis la poupée devient femme morte. Ce double féminisé de l'artiste porte alors en lui tout le poids d'une charge contre l'Allemagne nazie. C'est une résistance, un pied-de-nez violent au régime. »
Liu Xia, poétesse et photographe chinoise, revendique le terme de « poupées laides ». Pour cette artiste aussi ses œuvres sont un pied-de-nez violent au régime. Ses poupées sont une manifestation silencieuse contre le sort réservé à son mari, l’opposant au Gouvernement Chinois, Liu Xiaobo. Condamné à 11 ans de prison en 2009 pour subversion, Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la paix en 2010, mais il n’a pu recevoir son prix, il est toujours incarcéré dans la prison de Jinzhou. Lia Xia, elle, est assignée en résidence surveillée et n’a jamais pu voyager. Malgré cette situation, ses photos interdites en Chine, sont arrivées à sortir du pays et en 2011 ses « poupées laides » ont fait l’objet de deux expositions, l’une à Paris, l’autre à New-York. Elle a réalisé ses images avec un vieil appareil russe et les poupées lui ont été rapportées du Brésil par un ami.
L’Islas de la Munecas, littéralement : « l’ile aux poupées » se situe dans un entrelacs de marécages au sud de Mexico. Dans les années 1950, Don Julian Santana Barrera s’installe sur cette île où il y vit seul. Dès les premiers mois de son ermitage, il acquiert la certitude que son lieu est hanté par le fantôme d’une fillette morte noyée tout près de son île. Pour apaiser l’âme de l’enfant, il confectionne une poupée et l’accroche à un arbre. Et selon Don Julian l’âme de l’enfant est apaisée… Il n’aura de cesse d’offrir de plus en plus de poupées à cette âme enfantine qui l’habite. Il sort de son ermitage pour troquer ses légumes contre des poupées qu’il accroche partout et les laisse s’éroder aux quatre vents. Cette île aux poupées ne sera découverte qu’en 1990. Depuis lors, les touristes sortent des sentiers battus et arpentent les canaux en gondole pour visiter cet étrange mausolée. Don Julian est décédé en 2001 à l’âge de 80 ans. Ironie de l’histoire, il est mort noyé…
En général, les collectionneurs courent tous après les mêmes pièces, poupées de marques, d’époques, poupées ethniques. Tout l’intérêt de la collection de Larisa Leonidovna Drozdova, collectionneuse qui sillonne les musées de France et de Suisse, réside dans l’éclectisme de ses choix. Aux côtés des poupées de collection dites classique, comme celles d’Emile Jumeau ou de Bru, elle réunie des poupées laides aux membres disproportionnés, des anti-Barbie, comme cette femme âgée au corps difforme. Pourquoi un tel choix ? Cette question rend Larisa Leonidovna Drozdova intarissable : « D’abord, j’aime les poupées qui parlent à notre imaginaire, qui nous racontent une histoire, les poupées sur papiers glacés ne reflètent rien d’autre qu’une norme de nos sociétés modernes à un instant précis. Ces femmes-là, nous interpellent différemment. » Tous les philosophes ont interrogé la laideur dans l’art. Est-ce la laideur relative au traitement plastique ou le sujet de l’œuvre ? Les représentations de la vieillesse, de la mort peuvent-elles être considérées comme des sujets laids ? Théodore Adorno, un philosophe allemand, que j’aime beaucoup disait : « le laid doit constituer ou pouvoir constituer un moment de l’art ». C’est dans cet esprit et avec cette passion que je construis ma collection. »