Exécutée en février dernier, Sajida al-Rishawi aura marqué les esprits pour avoir participé aux attentats du 9 novembre 2005 perpétrés simultanément dans trois hôtels d'Amman en Jordanie, causant la mort de 57 personnes et en blessant 90 autres. Seule rescapée* de ce qui devait être un quadruple attentat-suicide, la jeune femme avait alors diffusé des photos d'elle posant, fière, sanglée dans sa ceinture d'explosifs avant d'être finalement arrêtée et condamnée. Afia Siddiqui, elle, est surnommée par ses admirateurs "Lady Al-Qaïda". Scientifique de formation (elle est diplômée de la la Brandeis University en neurosciences cognitives) et mère de trois enfants, elle est soupçonnée d'avoir activement participé à l'organisation des attentats du 11 septembre 2001. Condamnée à 86 ans de prison par les Etats-Unis, elle est devenue depuis l'égérie des coupeurs de tête de l'Etat Islamique qui réclament sans relâche sa libération contre la vie d'otages sacrifiés. En 1991, c'est une femme kamikaze qui a tué le Premier ministre indien Rajiv Gandhi. En Palestine, certains groupes comme le Fatah, le Djihad islamique ou le Hamas ont eux aussi eu recours à des kamikazes femmes.
C'est dire si les hommes n'ont pas le monopole de la cruauté, ni si le concept-même de femme terroriste (ou kamikaze), n'est pas nouveau. Pourtant, ce matin, c'était la première fois que Daech "mettait en scène" une femme-kamikaze en France, pour mieux marquer les esprits, dit-on ici et là. Parce qu'elle n'avait plus le choix si elle ne voulait pas être capturée soulignent certains spécialistes.
Mais qui sont donc ces femmes djihadistes intégrées aux combattants d'un régime historiquement patriarcal où la femme se réduit le plus souvent au rôle minimal d'invisible esclave d'un époux tout-puissant ? Aujourd'hui, on estime à 10% la proportion de femmes chez les personnes parties rejoindre l'EI. Les Françaises constituent le contingent le plus important des femmes djihadistes en Irak et en Syrie, selon les chercheurs du centre international des études sur la radicalisation à l'université Kings College à Londres. Un bon nombre d'entre elles sont des diplômées universitaires. Elles ont entre 16 et 24 ans et partent, pour beaucoup, avec l'espoir fou de faire un beau mariage romantique en épousant un soldat, un "croisé" du califat rencontré, souvent, sur Internet.
Les témoignages convergent en effet quant au processus classique de recrutement de ces demoiselles en quête d'aventure, ainsi que le montre celui de Nadia**, qui relatait à l'AFP son expérience avortée en Syrie : recrutement via les réseaux sociaux, envoi d'un chèque pour payer son billet d'avion, transport vers la Syrie, puis enfermement dans une maison de femmes, confiscation du portable et des papiers d'identité et mariage forcé comme seul espoir de quitter l'inquiétant gynécée. Nadia, elle, aura finalement refusé la vision radicale de l'Islam qu'on lui proposait sur place, et dénoncé auprès de ses "hôtes" la cruauté des actes perpétrés par Daech. Beaucoup d'autres n'auront pas eu ce sursaut.
Asujetties, réduites à l'état d'esclaves de frères tout-puissants partis en croisade contre le monde occidental et ses femmes non-musulmanes vendues, elles, sur la base de grilles tarifaires établies par l'organisation, ces épouses-là sont finalement loin de la vision romantisée du "mariage djihadiste" qu'on leur a fait miroiter. "Dans le califat proclamé, la femme n'est pas une citoyenne, mais une esclave domestique et sexuelle à la merci de son mari" déclarait ainsi Myriam Benraad, politologue spécialiste de l'Irak, chercheuse au CERI à Madame Figaro il y a quelques mois. Pourtant, si beaucoup acceptent sans pouvoir faire autrement les règles totalitaires imposées aux femmes dans la capitale autoproclamée de l'Etat islamique (interdiction de montrer ses yeux, de porter des voiles de couleur, de se trouver seule dans un bus... sous peine d'être punie), d'autres adhèrent radicalement à cet esclavage de la femme par l'EI et même pire, y participent activement.
"Ces restrictions obscurantistes, des milliers de femmes syriennes les subissent mais d'autres les choisissent, car contrairement à ce que l'on peut penser, certaines s'engagent volontairement dans les rangs de l'EI, et font même partie d'une brigade armée 100% féminine qui applique cette violence rétrograde à l'égard des femmes", expliquait ainsi Myrna Nabhan dans le Huff Post il y a un an, évoquant la brigade "Al Khansa", cette police 100% féminine qui, aujourd'hui, sème la terreur dans les rues de Raqqa. Entraînées à manier les armes, investies pensent-t-elles d'une mission hautement symbolique consistant à maintenir les soeurs dans le droit chemin de cet Islam dicté par les hommes de Daech, ces femmes en "niqab et kalachnikov" détonnent.
S'il peut sembler étonnant de la part d'une organisation ouvertement misogyne et barbare d'octroyer une place à des femmes, leur offrant un semblant de pouvoir, un moyen de défense face aux viols récurrents et même une rente mensuelle confortable (200$/mois), il semble, selon les spécialistes, que cette féminisation de l'Etat Islamique soit au contraire très calculée. En offrant la vision d'un "jihadi girl power" (à une faible mais suffisante minorité, laquelle poste fièrement sur les réseaux sociaux ses selfies arme au poing), Daech s'ouvre ainsi à un "public" plus large, international dont la vision potentiellement plus "émancipée" pourra se reconnaître dans cette image de femme forte combattant pour ses idéaux. De plus en plus incitées à oeuvrer elles aussi au recrutement sur les réseaux sociaux, elles témoignent également dans les magazines de propagande de leur "djihad" féminin. "L'implication des femmes n'était pas désirée au début par l'EI, mais en approchant de leur but de créer un "Etat islamique", il est devenu nécessaire pour eux de les y intégrer car les femmes sont indispensables au fonctionnement d'un "Etat", quel qu'il soit", déclarait ainsi Myrna Nabhan, expliquant ainsi l'"ouverture" soudaine de Daech à des recrues d'un nouveau genre qui se rêvent en héroïnes du terrorisme moderne.
* Sajida al-Rishawi a déclaré avoir oublié dans la voiture la gachette permettant de déclencher sa ceinture.
** Le prénom a été changé