C'était le mercredi 7 janvier. La rédaction de Charlie Hebdo était lâchement attaquée par les frères Kouachi. 12 morts plus tard et face à l'effroi, un directeur artistique français Joachim Roncin allait, sans le savoir, créer une image qui envahirait les réseaux sociaux en quelques heures. « Je suis Charlie », trois mots et un fond noir adoptés par une cohorte d'internautes, et tout un tas de marchands peu scrupuleux, notamment sur Facebook et Twitter.
Envolés les selfies dans la salle de bain, la photo du chien de la famille ou celle de sa moitié dont les trois-quarts du visage sont planqués derrière une paire de fausses Ray-Ban (toute ressemblance avec des personnages réels serait purement fortuite). Les deux tiers de vos « amis » et autres « followers » sont devenus Charlie en un rien de temps.
Une adhésion massive à cette avatar « en premier lieu affectif et non pas politique », explique le sociologue Stéphane Hugon, interrogé par Metronews. « Les gens avaient besoin de cette fusion même éphémère (…) Désormais, on se détache plus des autres, mais on fusionne, le mimétisme est devenu la règle ».
Reste qu'une photo de profil a bien souvent une durée de vie équivalente à celle d'une idylle de téléréalité : famélique. Par ailleurs, plus qu'un simple cliché, le choix de l'avatar censé représenter celle ou celui qui se cache derrière s'apparente à un fastidieux travail psychique. « Choisir sa photo oblige d'abord à engager une réflexion sur la manière de se présenter, les traits que l'on désire mettre en valeur », expliquait Marie Piquemal dans Libération, en 2011. Et la journaliste de citer les travaux d'Antonio Casilli, chercheur à l'EHESS : « La photo doit être validée par les autres. Cette étape de la reconnaissance est essentielle : est-ce que je suis capable de gérer cette nouvelle identité (en ligne) ».
Dès lors, une question se pose : quand est-ce « acceptable » de virer sa photo Charlie pour satisfaire de nouveau son penchant narcissique sans renier ses convictions ? Et bien, a priori, en ce moment selon Stéphane Hugon. « C'est le retour de la rationalité (…) Mais c'est également un processus de deuil, ce qui est positif, un retour à la normalité » et non une « trahison », envers la sincérité de ses idéaux.