Deux enfants. Le prince Harry et Meghan Markle n'en auront pas plus. Du moins c'est ce qu'a annoncé le jeune homme au détour d'une conversation avec l'anthropologue et écologiste Jane Goodall.
Ce choix dicté par l'urgence écologique s'inscrit dans une tendance de fond, décrite depuis quelques années. Devant la frustration de ne pouvoir agir directement et à grande échelle sur le réchauffement climatique, certains optent pour une limitation du nombre d'enfants, d'autres pour une décision bien plus radicale : ne pas avoir d'enfant du tout.
C'est ce qui ressort des témoignages reçus au HuffPost. En effet, selon le sondage YouGov pour le Huffpost, 24% des Français·e·s sont influencé·e·s par le réchauffement climatique sur leur décision d'avoir des enfants ou non. Parmi ceux qui ont répondu positivement au sondage : 38% ont entre 18 et 24 ans. La réponse des jeunes générations n'est pas une surprise lorsqu'on connaît leur engagement grandissant vis-à-vis de l'environnement. Le HuffPost a donc proposé à ses lecteurs de raconter si leur engagement écologique limitait leur envie de faire des enfants.
Deux profils se dégagent. Les plus radicaux ne veulent pas du tout d'enfants. L'avenir leur est trop sombre. Les plus modérés envisagent de ne faire qu'un enfant, ou s'ils en ont deux, de presque le regretter. Parmi les témoignages reçus, nous avons noté un besoin de justifier leur choix. Souvent incompris de leur entourage, parfois moqués, ou renvoyés à leur jeune âge, ils ont pris le temps ici, dans leurs réponses, d'expliquer les raisons de cet engagement.
Parmi les "no future", on retrouve Audrey P. et son conjoint qui ont décrété : "Des enfants, oui, mais pas dans cette vie." Clémence C., célibataire, 26 ans, précise : "Je pense que nous sommes déjà trop nombreux sur Terre et que faire un ou plusieurs enfants pour son bon plaisir, pour faire perdurer la famille, est une négation totale du monde dans lequel nous vivons. (...) Au-delà de ça, je pense à l'avenir qu'aura cet enfant, sur une Terre ravagée par nos bêtises, par nos lubies économiques, et la croissance, toujours la croissance. (...) il n'y a plus un cours d'eau qui ne soit pollué par l'activité humaine. Je ne veux pas que mes enfants se retrouvent dans une situation pire encore que la mienne."
Mais Clémence tient des propos plus alarmistes encore : "Je crois que le réel changement s'amorcera quand chacun commencera à regarder plus loin que son nombril, à comprendre qu'une rivière (...) est plus importante que faire perdurer le nom d'une famille, l'espèce humaine, qui est de plus en plus décadente."
Yves N., 33 ans, vendeur de voitures ("On ne peut pas être parfait, nous dit-il, je bois aussi de l'eau en bouteille"), en est persuadé : "Il faut inverser la courbe de croissance de la population mondiale si l'on veut agir vite et bien."
De ces discours, il ressort pessimisme et amertume. La génération désenchantée fait place à celle de la désespérance. Elle rejoint le constat du philosophe Rémi Brague qui dans un texte publié par l'Académie des sciences morales et politiques en 2011 écrivait :
"...l'homme est pire que les parasites ou les fauves, car il représente une menace globale pour la vie. D'aucuns rêvent d'un monde délivré de la présence de l'humanité. C'est le cas dans certaines chapelles de ce qu'on appelle 'l'écologie profonde'. Ainsi, ce site Internet Vhement (...) qui plaide pour une extinction volontaire de l'espèce humaine. Il est intéressant de constater que ce rêve est bien antérieur. La plus ancienne trace que j'aie pu en trouver est ce texte: 'les arbres pousseront, verdiront, sans une main pour les casser et les briser; les fleuves couleront dans des prairies émaillées, la nature sera libre, sans homme pour la contraindre, et cette race sera éteinte, car elle était maudite dès son enfance'. Ces lignes sont du jeune Flaubert et datent de 1838, deux ans avant la naissance du mot 'humanisme' en son sens le plus radical."
De son côté, la jeune Coralie M. affirme ses positions : "D'après certains, je n'ai peut-être pas rencontré la bonne personne pour avoir des enfants. Mais je leur réponds qu'il ne suffit pas d'être adulte pour avoir d'intimes convictions, je veux que ma vie soit fondée sur d'autres réussites que celle d'enfanter."
Les jeunes adultes qui ont répondu à l'appel à témoignages du HuffPost s'informent régulièrement à la radio ou sur Internet. Tous citent cette information du 29 juillet selon laquelle nous avons déjà épuisé les ressources naturelles de la Terre avant même que l'année ne soit terminée.
Ainsi, Caroline D., 26 ans, en couple, insiste : "Sachant que nous avons entamé la sixième extinction de masse, notre biodiversité se meurt, comment peut-on rester aveugle face à cela ?"
Du côté de Marion G., 27 ans, sans enfant et qui ne souhaite pas en avoir, les explications sont plus pragmatiques: "Aujourd'hui le réchauffement climatique, c'est surtout à cause des entreprises polluantes qui poussent toujours plus à la consommation. On nous vend un système, on y adhère... et il faudrait dire aux gens de revenir en arrière? Personne n'a envie de renoncer à son confort, donc on joue le jeu des entreprises."
D'autres optent pour une solution moins radicale, celle de faire un enfant, pas plus. Ainsi, l'illustratice Muriel Douru, militante écolo, explique au HuffPost ne vouloir qu'un seul enfant.
"Après la naissance de ma fille en 2007, j'ai creusé la question de l'écologie et découvert des choses graves. Par exemple, un enfant français produit l'équivalent en terme de déchets de quinze enfants camerounais. La démographie pose problème dans les pays industrialisés, pas en Afrique, en terme d'impact environnemental."
Ce qui ne l'empêche pas d'être "choquée d'entendre des jeunes Français de 20 ans dire qu'ils ne veulent pas d'enfant. Ils sont obligés de subir les modifications environnementales créées par les générations passées."
Enceinte de son premier et dernier enfant, Coralie, 29 ans, explique : "Nous n'aurons qu'un enfant car nous souhaitons nous montrer 'responsables' envers elle (c'est une fille) et les autres enfants à venir dans le monde. Nous ne sommes ni riches ni pauvres, pleine classe moyenne, bac+5. Nous préférons privilégier l'éducation d'une personne, lui offrir le meilleur et cela a un coût."
C'est sans doute la lycéenne Olivia M., 17 ans, qui offre la solution la plus empirique. Elle a envoyé son témoignage avec l'accord de ses parents, et elle dit, avec ses mots à elle : "L'idée d'avoir des enfants reste le but d'une vie, c'est là que l'adoption intervient. Beaucoup de nourrissons naissent sans parents. Les enfants adoptés méritent la même vie que n'importe quel enfant. Plutôt que de faire des enfants sur une planète qui ne peut plus en accueillir, prenons le plus grand soin des personnes déjà présentes. De nos jours, l'adoption devrait être la seule solution envisageable par chacun des êtres humains de cette Terre."
Reste à savoir si la rupture démographique est une solution acceptable pour enrayer le changement climatique. Cette idée de ne plus enfanter pour sauver la planète couve depuis longtemps en France, mais c'est à la faveur d'un graphique produit par l'Agence France Presse en 2018 qu'elle s'est répandue.