A petite bande dessinée, grande responsabilité ? Emma, illustratrice à qui l'on doit l'émergence du concept de charge mentale, se saisit cette fois de la question (brûlante) du réchauffement climatique. Face à l'urgence, elle a décidé de créer un petit guide pédagogique pour expliquer les origines du péril environnemental qui menace la planète et proposer des solutions pour l'endiguer.
Drôle, sourcée et pertinente, Un autre regard sur le climat est une BD nécessaire à mettre entre toutes les mains pour sensibiliser, provoquer la réflexion et agir. Interview d'une dessinatrice engagée.
Emma : Un peu comme toutes mes bandes dessinés. Je m'intéresse toujours aux sujets qui concernent les luttes sociales et notamment les problèmes d'égalité. Or le climat est un sujet essentiel dans les luttes sociales et l'une des causes des inégalités. Et je sentais qu'il y avait besoin de cet autre regard que j'essaie d'apporter sur la question du climat. J'ai pu constater dans les médias classiques qu'on culpabilisait beaucoup les consommateurs, mais qu'il n'y avait pas trop d'explications globales sur l'origine et les causes du réchauffement climatique.
E : Cela a été un gros boulot ! J'ai un copain qui fait sa thèse sur le réchauffement climatique et je lui ai emprunté plein de bouquins. Il m'a aussi donné pas mal de liens sur internet et d'émissions à regarder. Je me suis immergée dans le sujet pendant un ou deux mois. Et après, j'ai commencé à écrire. Le plus dur a été d'expliquer que la somme des actions individuelles ne constitue pas une solution.
Il commence à y avoir une prise de conscience sur les modes de production. Mais malheureusement, le mot "capitaliste" n'est pas toujours prononcé. C'est une démission de présenter cela comme un processus linéaire qui serait dû à l'humain dans son ensemble et pas à des décisions politiques et donc capitalistes qui ont été prises. On nous pousse à des réactions individuelles d'auto-flagellation : "Je vais me priver, je vais arrêter de consommer et c'est comme ça que je changerai les choses". Sauf que malheureusement, ce n'est pas un levier suffisant pour empêcher la catastrophe.
E : Oui, je suis contre la politique des petits pas, mais je ne suis pas contre les petits pas ! Je n'encourage pas à faire plus, mais à faire autrement.
E : Oui, on pense souvent qu'on peut agir avec notre consommation, soit par le boycott, soit en achetant certains produits qui sont produits de façon plus éthique. Or, le capitalisme cerne très bien ces comportements et se contente de les rediriger vers des produits avec des étiquetages qui font plaisir aux gens. Cela ne provoque pas de réflexion sur les modes de production.
E : Pour moi, la charge mentale, c'est un concept : réfléchir à ce qu'on a à faire quand on n'est pas en train de les faire. C'est la "pré-occupation". Et pour moi, le souci écologiste peut clairement alourdir la charge mentale. Parce que les femmes culpabilisent beaucoup plus facilement que les hommes. Et que ces gestes qui se font dans la sphère privée, ce sont les femmes qui sont encore en charge majoritairement de l'exécution des tâches qui y sont liées.
Les femmes vont par exemple faire des courses dans plus d'endroits différents, parce qu'elles vont essayer de trouver des produits locaux, qu'elles vont essayer de ne plus acheter de viande donc elles vont faire plusieurs magasins locaux plutôt que de tout acheter au supermarché, si elles ont des enfants en bas âge, elles vont acheter des couches lavables plutôt que jetables. Sur la question des emballages, elles vont acheter des bocaux, des récipients, ce qui veut peut-être dire passer à la maison avant d'aller faire les courses... Cela prend un temps qui est non négligeable.
Et il y a aussi ce sentiment d'échec quand on se rend compte qu'on n'y arrive pas ! Je sais que j'avais essayé de passer au zéro déchet, je n'ai jamais réussi et on se sent nulle quand on voit les photos Instagram de celles qui ont des intérieurs parfaits avec des bocaux. Ça atteint notre estime de nous-même.
E : Oui, c'est un peu frustrant. Et c'est un peu la démarche de toutes les personnes qui s'expriment sur le climat à l'heure actuelle. On est un peu désemparé après les avoir écoutées. Parce que toutes ces personnes qui prennent la parole sont impuissantes. Et elles transmettent ce sentiment d'impuissance aux personnes qui cherchent un "mode d'emploi". Sauf qu'il n'y en a pas...
Ce processus de se dire qu'il n'y a pas une personne dont je peux suivre les instructions, c'est une forme de deuil. Mais une fois cette étape passée, on peut prendre conscience de son pouvoir politique qui ne s'exprime pas par la consommation, ni par le vote, mais par l'engagement collectif selon moi. La somme de nos engagements individuels peut former un engagement collectif qui va influencer.
Par exemple, certaines personnes se disent : si on arrête de boire du Coca, il n'y aura plus de production de Coca. Cela n'arrivera pas parce que Coca-Cola arrivera toujours à se retourner à coups de marketing et de pub pour faire consommer son produit à des personnes peu sensibilisées. Mais la somme de ces personnes conscientes de ce problème avec Coca peut organiser des actions, des blocages, des actions de communication sur les comportements de entreprises.
E : Il faut juste dire à ces personnes que ce n'est pas grave : tu as ta vie à gérer, prends soin de toi et peut-être que plus tard, tu pourras agir. On peut aussi se contenter de discuter autour de soi, de partager des articles sur internet, c'est une forme de militantisme.
E : Surtout, il ne faut pas paniquer ! (rires) Parce que avouons que ce n'est pas rassurant quand on sait que le décrochage de la calotte glaciaire est réelle... Nous avons 20 ans : c'est court, mais ce n'est pas non plus demain. Pourquoi ne pas organiser un collage dans sa ville pour encourager à la sortie du fossile par exemple, qui est responsable à 95% du réchauffement climatique ? Faire des réunions régulières, rejoindre des mouvements politiques qui reposent sur l'autogestion ou les citoyens, aller sur les ronds-points pour discuter avec les Gilets Jaunes pour créer du lien et afin de créer une force politique intelligente pour retirer les manettes des mains des capitalistes ?
Et puis faire tourner des liens sur internet, des vidéos intéressantes... Et par région, on se met toutes et tous autour d'une table pour voir comment on peut rationaliser la consommation et la production. Peut-être qu'on va en finir avec la voiture individuelle par exemple, pour développer les transports en commun gratuits, diminuer les distances entre la maison, le travail, les écoles, les hôpitaux...
C'est ça, la vraie démocratie ! C'est passionnant et exaltant. Et ça ouvre à beaucoup plus de bien-être, du temps libre, le sentiment d'avoir un vrai pouvoir politique et d'avoir retrouvé une conscience collective.
Un autre regard sur le climat d'Emma
Paru aux éditions Massot