Jasmila Zbanić est Bosniaque, née à Sarajevo. Un territoire déchiré entre 1992 et 1995 par le conflit européen le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Une guerre qui l'a marquée à vif et à vie. Depuis, le cinéma de Jasmila Zbanić raconte ce chaos, le traumatisme, la résilience. Après un intense et poignant premier film, Sarajevo, mon amour, couronné d'un Ours d'or à Berlin en 2006 ou encore Les Femmes de Visegrad (2014), la cinéaste continue à explorer la tragédie de la guerre de Bosnie avec Quo Vadis, Aida ?.
Présenté à la Mostra de Venise cette année et aujourd'hui au festival des Arcs 2020, ce long-métrage suit Aida, traductrice pour l'ONU dans la ville de Srebrenica en juillet 1995 alors que la ville est prise d'assaut par les forces serbes et que se profile l'inimaginable horreur du génocide. Un nouveau film coup de poing pour ausculter les plaies d'un pays meurtri. Et en dévoiler sa vision féministe, loin des codes virilistes traditionnellement associés au film de guerre.
Contactée par mail, Jasmila Zbanić nous livre ses confidences sur sa place de réalisatrice, sur ses inspirations et sur ses espoirs pour le monde qui vient.
Jasmila Zbanić : J'ai le sentiment que je vais me réveiller et réaliser que je rêvais. Il y a quelque chose de très irréel dans toute cette année 2020... Mais notre corps et notre esprit ont maintenant appris à l'accepter.
J.Z. : Je dirais "intériorité". Car non seulement il y a eu cet isolement inédit, puisque nous étions toutes et tous confiné·e·s dans nos logements. Mais nous étions aussi davantage connecté·e·s à notre esprit et notre âme.
J.Z. : J'ai voulu faire un film de guerre du point de vue d'une femme. Je pense que nous avons besoin de ce regard féminin sur ce sujet. Nous avons eu assez de films célébrant la guerre et il me semble important d'avoir cette perspective différente. Pour moi, la guerre est une plateforme pour les sociopathes et il n'y a rien d'héroïque là-dedans. Aida, mon personnage, est héroïque, mais le mot "héroïne" revêt une signification complètement différente dans son cas.
J.Z. : Les hommes se sont organisés à travers des clubs, des pubs, le sport, les emplois. Ils sont bien connectés, avec de bons réseaux et installés dans des positions dominantes pour décider à quoi les choses devraient ressembler. Mais c'est en train de changer, heureusement.
J.Z. : J'ai dû écouter toute ma vie des professeurs ou des réalisateurs masculins célèbres m'expliquer que les femmes ne pouvaient pas réaliser de films et qu'il n'existait pas de bonnes réalisatrices.
J.Z. : Oh oui ! Juste un petit exemple : hier, je regardais des images d'archives des Golden Globes. Si vous regardez la cérémonie d'il y a seulement 5 ans, vous seriez choqué du genre de commentaires sexistes qu'on pouvait y entendre et que tout le public applaudissait- y compris les femmes. Aujourd'hui, ce n'est plus possible de faire ça dans l'espace public. Personne n'oserait faire ces commentaires et personne n'applaudirait ces insultes sexistes. C'est un réel progrès grâce à #MeToo.
Que faire pour booster les représentations féminines devant et derrière la caméra ?
J.Z. : Les quotas me semblent être une très bonne idée.
J.Z. : J'ai adoré Les petites marguerites (Sedmikrásky en tchèque) écrit et réalisé par Věra Chytilová en 1966.
J.Z. : En fait, il y a plein de bonnes actrices. La question importante est : quels rôles pouvons-nous leur offrir ? Nous avons besoin de rôles féminins plus complexes, qui proposent un point de vue féminin sur le monde.
J.Z. : Les femmes de Srebrenica. Après le génocide (en juillet 1995, plus de 8000 hommes et jeunes bosniaques musulmans ont été massacrés par les forces serbes- ndlr) , ils n'ont jamais appelé à la vengeance. Au contraire, elles promeuvent l'unité et l'amour. C'est admirable.
J.Z. : Que ce vaccin fonctionne, afin que nous puissions toutes et tous ressortir de notre confinement, rouvrir les cinémas, profiter de nos ami·e·s, nous rassembler, voyager, bouger. Mais aussi que l'on se soucie de la planète et des autres. L'année prochaine sera déprimante - économiquement, mentalement. Nous devons donc être prêt·e·s à la surmonter en étant solidaires.