Cette histoire aurait pu être une comédie romantique. Il y a d'abord Madeline, une ex-flic cabossée par la vie (et héroïne de L'appel de l'ange, un précédent roman de l'auteur) qui décide de s'accorder un peu de répit en louant un atelier d'artiste caché au fond d'une cour verdoyante à Paris. Puis il y a Gaspard. Lui est dramaturge, mais surtout misanthrope. Un homme-ours qui préfère la boisson au monde qui l'entoure. Gaspard justement, a loué le même atelier que Madeline pour écrire sa nouvelle pièce dans la solitude. Mais à la suite d'une méprise, les deux sont obligés de cohabiter quelques jours. Nora Ephron es-tu là ? Loupé. Car la comédie à l'eau de rose bascule vite dans le thriller pur et dur. Ensemble, Madeline et Gaspard découvrent qu'ils louent en fait l'atelier de Sean Lorenz un peintre célèbre terrassé par l'assassinat de son petit garçon. Aujourd'hui mort, l'artiste laisse derrière lui des tableaux disparus. Fascinés par cette personnalité hors-norme, le dramaturge et l'ex-flic décident de retrouver les peintures. Mais ce qui avait commencé comme un simple jeu de piste va se transformer en enquête ultra tordue.
Quand on rencontre Guillaume Musso en cette fin de mois de mars, il nous certifie qu'il n'y a pas de recette pour écrire un best-seller. On veut bien le croire, mais reste que l'auteur a quelques ingrédients dans sa petite cuisine. Un appartement à Paris, son nouveau roman confirme son virage amorcé vers le roman policier il y a 6 romans de cela. Un thriller intense, diabolique, qui vous mène par le bout du nez pour mieux vous décontenancer. Mais un thriller à la Musso, avec des personnages humains, foncièrement bons. Il y a du sombre et de la laideur, mais la bonté et l'amour l'emportent toujours. Avec ses personnages à la psychologie soignée, son intrigue à tiroirs et son suspenses insoutenable, Un appartement à Paris est probablement l'un des romans les plus entêtants et les plus aboutis de Guillaume Musso. On lui demande s'il pense la même chose, il nous répond en riant qu'il ne veut pas se montrer présomptueux. Et pourtant, il y a de quoi être fière. Rencontre avec un monsieur qui n'a pas volé son titre d'écrivain préféré des Français.
Guillaume Musso : J'ai planté la graine de ce roman il y a longtemps. Souvent, je mets un an pour créer la colonne vertébrale d'une histoire et la rédiger. Mais ce roman me trotte en tête depuis mon arrivée à Paris. Mon premier appartement était situé en face d'une galerie d'art. Tous les matins je passais devant ce lieu et j'étais immanquablement absorbé par une toile grand format d'un peintre qui s'appelle Jonone et qui est une grande figure de l'art urbain. Je suis tombé amoureux de cette toile et j'ai commencé à imaginer une histoire autour de ce tableau... que j'ai fini par acheter. En fait, ce tableau m'a accompagné année après année. Et à mesure que je m'intéressais de plus près à l'art moderne, mon histoire s'est enrichie. Donc bien sûr c'est un roman qui parle d'art, mais on y retrouve aussi mes obsessions liées à la paternité, etc. Puis j'avais envie de retrouver le personnage de Madeline (L'appel de l'ange, 2011, Ed. Pocket).
Guillaume Musso : C'est quelque chose que je n'avais jamais fait avant. Ce n'est pas une suite de L'appel de l'ange, mais en même temps, j'ai toujours eu l'impression que je n'en avais pas fini avec ce personnage. J'aurais pu recréer un personnage de femme flic mais Madeline s'est imposée à moi. Je voulais savoir ce qu'elle était devenue. Dans le même temps, je trouvais qu'elle formait un couple assez complémentaire avec l'autre héros du livre, Gaspard Coutances. C'est un roman qui parle des dualités. D'un côté on a donc Gaspard, qui se dit misanthrope, qui n'aime pas les gens. Mais concrètement, il est plutôt sympa avec les autres, il est assez ouvert. Il y a donc une opposition entre ce qu'il déclare et ses actes. Et de l'autre côté, on a Madeline Greene, qui se dit optimiste alors qu'elle a un fond très noir. C'est l'un des personnages féminins les plus sombres que j'ai créé. Quand vous écrivez, il arrive que des personnages ne se comportent pas comme vous l'aviez prévu, et je pensais qu'avec ce roman, Madeline allait transcender l'aspect noir de sa personnalité, alors qu'au final, c'est Gaspard qui s'adoucit, qui voit une étincelle s'allumer en lui.
G.M. : Tout à fait. J'ai écrit un premier chapitre un peu trompeur, avec un esprit comédie romantique à la Richard Curtis. Et finalement, dès le deuxième chapitre on bascule vers quelque chose de beaucoup plus tragique. On vit à une époque où la fiction – surtout la fiction romanesque – est de plus en plus concurrencée par d'autres formats, en particulier les séries, qui sont de plus en plus exigeantes et complexes. Du coup, si vous voulez relever le gant par rapport à ça, vous êtes obligé de surprendre, surtout si c'est votre quatorzième roman.
G.M. : Un Appartement à Paris est un thriller à 100%. Je ne dis pas que je ne reviendrais jamais à mes premières amours. J'aimais bien écrire ces histoires à la frontière du fantastique. Mais le thriller correspond à ce que j'aime lire, et c'est en plus un véhicule parfait pour raconter une histoire qui donne envie de tourner les pages. A travers le polar, on peut traiter différents thèmes. Ici c'est la paternité, la création, le couple... J'écris toujours mes romans en imaginant plusieurs niveaux. Il y a d'abord l'histoire telle qu'elle est dans sa forme la plus pure. Le premier niveau c'est un peu le page turner. Puis il y a un second niveau qui permet au lecteur d'entrer dans un univers. Là, c'est l'univers de l'art contemporain, les rapports que le peintre entretient avec sa femme, le carburant de la création. Puis cette question qui revient : pourquoi doit-on détruire pour créer ?
G.M. : Alors oui, c'est un serial killer, mais je ne voulais pas créer une caricature. C'est plutôt l'histoire d'une relation entre une mère et un fils qui a mal tournée. Elle a abandonné son fils, il ne s'en est jamais remis et un jour le truc se réveille et il décide de la faire souffrir. Plus que la création d'un tueur en série, ce qui m'importait c'était de parler d'une tragédie intime. C'est vraiment un livre sur l'enfance et la parentalité.
G.M. : Alors qu'on soit clair, j'aime Paris (rires). Mais pour moi, c'était important de ne pas montrer la sempiternelle image de carte postale qu'on retrouve dans les films étrangers. Et au-delà de ça, les descriptions qui sont faites de Paris dans mon livre viennent de la subjectivité de Gaspard. Lui n'aime pas Paris. Ça lui rappelle son enfance et son père. Et comme il n'a pas réglé certaines choses liées à son enfance, ça se transforme en un rejet de Paris. Pour Madeline, c'est différent. Elle a aimé Paris, c'est là qu'elle s'est reconstruite dans L'appel de l'ange. Et là, elle n'arrive pas à retrouver l'étincelle. Elle est un peu déçue de cette ville. Puis on a cette dualité entre le Paris assez dur et la bulle de l'atelier de Sean Lorenz. Donc j'ai un peu forcé le trait sur Paris pour le contraste.
G.M. : Je reviens toujours à ce que disais Stephen King : "Pour écrire, il faut fermer la porte". Fermer la porte, c'est réussir à s'extraire du flux du quotidien pour traverser le no man's land qui mène au monde imaginaire, au monde de la création. Et ça c'est compliqué. Par exemple, on ne peut pas écrire lorsqu'on a un quart d'heure devant soi. Personnellement, ça me prend du temps de quitter la réalité. Je ne travaille jamais chez moi. Chez moi, c'est la famille, la vie de couple. J'ai longtemps loué un atelier pour écrire, mais aujourd'hui je fais ça dans mon ancien appartement. C'est un luxe dont je suis conscient. La musique aussi me permet de m'extraire du monde extérieur. D'ailleurs, la musique que j'écoute pendant que j'écris est souvent la même qu'écoutent mes protagonistes dans le roman. Mais il y a un album qui revient à chaque fois, c'est Angel Song du trompettiste Kenny Wheeler. Je l'ai écouté en écrivant Et après, et je le remets à chaque fois. C'est une Madeleine de Proust sonore. Je l'entends et dans ma tête, c'est lié à l'écriture.
G.M. : Oui et heureusement. Enfin je ne sais pas si on peut parler d'amusement mais il y a en tout cas un désir de faire naître des émotions chez les lecteurs. Il y a ce désir de se dire : "Je vais essayer de surprendre, je vais essayer de créer des émotions sur papier". Puis il faut être clair. Aujourd'hui, il y a une séduction des images. C'est beaucoup plus facile de regarder une série, de regarder un film ou de lire une BD. Avec un roman, il faut faire l'effort de rentrer dedans. J'aime ce challenge, essayer de faire en sorte que les gens me disent : "Je suis entré dans votre livre comme dans un bon film parce que c'était fluide tout en étant complexe". Paul Auster a dit : "Un roman c'est le seul lieu au monde où peuvent se rencontrer de façon intime deux personnes qui ne se connaissent pas". Quand vous lisez, vous êtes dans l'intimité de l'auteur. Et puis il y a ce truc de la proximité. Quand vous regardez un film, vous êtes loin. Alors qu'un roman, vous le tenez près du coeur. C'est symbolique mais c'est vrai. Quand une personne essaie de lire par-dessus votre épaule, vous avez l'impression qu'on entre de force dans l'intimité que vous vous êtes créé avec les personnages. Pour moi, la relation qu'on entretient avec les livres reste quelque chose de magique.
G.M. : Dans Et après... il y avait un côté surnaturel assumé. Ici, il n'y a rien de surnaturel. Sean Lorenz est tellement désemparé par la mort de son fils qu'il se raccroche à tout ce qu'il peut. Et comme il ne voit pas son fils lorsqu'il fait cette expérience de mort imminente, il se met en tête que son fils est encore vivant. C'est l'étincelle qui va lui faire ouvrir l'enquête reprise plus tard par Gaspard et Madeline. Mais en tout cas, je n'y suis pas revenu consciemment. C'est ma femme qui me l'a fait remarquer (rires).
G.M. : C'est un peu compliqué et présomptueux de dire ça. On m'a dit que c'était le roman de la maturité, je me suis dit "ça y est je vieillis" (rires). C'est un roman qui a eu une longue gestation, qui parle de thèmes qui me tiennent à coeur, qui est articulé autour de deux parties – l'art à Paris, l'enquête à New York - . Puis il y avait l'envie de faire un bel objet. Je voulais une couverture toilée pour rappeler la toile d'un peintre. J'avais ce livre en tête de A à Z, de l'histoire à la couverture. Jonone, l'artiste dont le tableau m'a inspiré le livre m'a permis d'utiliser le tableau en question pour la couverture. Quelque part, la boucle est bouclée. Mais pour en revenir à la question de savoir si c'est mon livre le plus abouti, je pense que lorsqu'on termine un roman, on a toujours l'impression que c'est son meilleur livre parce que c'est celui qui est le plus proche de nos préoccupations actuelles. Du point de vue de la forme, évidemment, 14 ans après mon premier roman, j'espère que j'ai évolué et progressé. Par exemple, il y a encore quelques années, je ne m'intéressais pas aux atmosphères, aux paysages. J'étais plus concentré sur le scénario. Aujourd'hui, je suis toujours exigeant sur le scénario mais j'aime créer des ambiances. C'est plus compliqué de travailler ça mais c'est devenu un challenge pour faire un roman global, avec des rebondissements mais pas que. Quand un livre vous emmène dans son ailleurs, c'est quand même bien, c'est ce qu'on attend d'un roman.
G.M. : C'est beaucoup de gratitude par rapport aux lecteurs. Après, il faut évidemment prendre de la distance par rapport à ça. Il ne faut surtout pas y penser quand vous écrivez. J'écris depuis que j'ai 14 ans. Pour moi, ça n'a jamais été une course ou un moteur. Ça me fait énormément plaisir de voir que des lecteurs attendent mes histoires. Ça vous motive, ça vous donne envie de surprendre les gens, de se renouveler. Ça crée une pression mais c'est positif.
G.M. : Oui, c'est un projet intéressant porté par un jeune producteur qui s'appelle Sydney Gallonde, et qui avait déjà produit l'adaptation d'Une chance de trop d'Harlan Coben pour TF1 en 2014. Là, il va produire une nouvelle adaptation de Coben et une autre de Douglas Kennedy. C'est quelqu'un que j'aime bien, qui aime mes romans pour de bonnes raisons et depuis longtemps. L'appel de l'ange est un livre important pour moi car il marque le début de mon virage vers le thriller. Avec Sydney Gallonde, on s'est mis d'accord pour que l'adaptation soit quelque chose d'un peu rocailleux et surtout pas lisse. Lui comme moi, on voudrait assumer pleinement le côté sombre de Madeline. C'est une série de 6 épisodes de 52 minutes, il n'y a pas encore de diffuseur attaché au projet mais c'est très enthousiasmant.
Un appartement à Paris, éditions XO, 484 pages, 21,90€