Terrafemina : Que pense-vous de la façon dont Hillary Clinton a annoncé sa candidature ?
Christian Salmon : En 2008, Hillary Clinton avait annoncé qu'elle se présentait à l'élection présidentielle par un simple tweet combatif : "Je suis dans la compétition, et j'y suis pour gagner". C'était le début d'une campagne agressive face à Barack Obama, l'outsider lors de la primaire. Ici, avec cette vidéo, on est dans un storytelling différent, axé sur les Américains de tous les jours. Elle ne dit pas "je", mais laisse la vedette à des inconnus : un ouvrier, un couple qui attend un enfant, des hispaniques qui montent leur affaire, une femme qui reprend le travail, une autre qui part à la retraite, un couple gay, bref, la classe moyenne américaine dans sa diversité. Ce n'est qu'à la fin de la vidéo qu'Hillary apparaît, devant une maison typique des banlieues américaines d'ailleurs, pour annoncer sa candidature. On est dans un registre totalement différent par rapport à 2008.
TF : Comment analysez-vous le message sous-jacent dans cette vidéo ?
CS : Il y a un double récit à l'oeuvre dans cette vidéo. D'abord, il y a le récit du "retour à la maison" et à la Maison Blanche, aux années de prospérité de l'ère Clinton, avant le terrorisme et la crise économique. Il y a peut-être, venant de l'ex-Première dame une volonté de boucler la boucle.
Et puis il y a aussi le récit d'un voyage, d'un cheminement. "Je reviens de loin", nous dit Hillary Clinton en filigrane dans cette vidéo. Elle a été Première dame, sénatrice, candidate malheureuse à la présidentielle en 2008, puis secrétaire d'Etat. Elle a traversé l'humiliation avec l'affaire Lewinsky, la maladie, la fatigue, et elle est là, de retour. Il y a un côté "Mamie est de retour", Hillary Clinton est grand-mère depuis peu et il va de soi que ce nouveau statut aura une importance en termes de communication.
"Le temps des femmes est venu" est également le message souterrain de cette vidéo. Et c'est intéressant car, en 2008, Hillary Clinton s'était présentée comme une figure politique plus masculine, plus belliqueuse que Barack Obama, qui incarnait, lors de la campagne, les valeurs traditionnellement associées à la féminité, comme la séduction, la parole. Il y avait lors de leur affrontement une véritable inversion des signes de la virilité et de la féminité. Cette fois, Hillary met de côté cette image virile pour incarner la mère, et même la grand-mère.
Enfin cette vidéo met en avant les valeurs américaines, comme l'individualisme, l'entrepreunariat, la volonté et l'optimisme. Celles-ci sont privilégiées au détriment de la politique à proprement parler, qui est totalement absente de la séquence. On raconte une histoire aux électeurs, et celle-ci se substitue aux engagements politiques pris.
TF : Qu'entendez-vous par "Le temps des femmes est venu" ?
CS : Ce qui me frappe, c'est que la candidature d'Hillary Clinton s'inscrit dans une crise de la figure du père de la nation. Les femmes sont en train de reprendre le pouvoir des mains de l'homo politicus, il suffit d'observer le parcours des femmes parmi les plus puissantes : Angela Merkel a récupéré le pouvoir politique en Allemagne après Helmut Kohl, et Christine Lagarde a sorti le FMI des éclaboussures de l'affaire DSK. Quant à Hillary, elle prend le pouvoir à la suite de son époux qu'elle a longtemps épaulé. Si on revient à sa vidéo de candidature, il n'est pas anodin qu'on y voie une femme qui montre ses biceps, pour exprimer l'idée de force.
Depuis 2008, les hommes politiques se sont montrés impuissants face à la crise économique, et ce en dépit de leur manière de se présenter comme volontaristes, en donnant une image de virilité fabriquée, je pense par exemple aux propos de Cécile Duflot sur Manuel Valls et sa "mâchoire carrée". Cette image, toute récente, de la femme forte en politique sert donc aussi à masquer les défaillances de la démocratie. Les hommes n'assument plus l'image du pouvoir et sont remplacés peu à peu par les femmes.
>> Comment Hillary Clinton compte devenir présidente <<