Trois ans plus tard, on ne s'est pas encore remis du choc Le consentement. Dans ce livre, l'ex directrice des éditions Julliard Vanessa Springora relate comment, à l'âge de 14 ans seulement, elle a été prise entre les griffes de l'écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans. Une étude du phénomène de l'emprise, du pouvoir, de l'impunité, et de comment une société en vient à "consentir", normaliser, cette abjection. L'étude de tout un système.
Désormais, l'on attend de voir au cinéma l'adaptation forcément puissante de ce grand livre, attendue en salles le 11 octobre. Réalisé par Vanessa Filho, ce film met en scène Kim Higelin, qui y incarne Vanessa Springora, et Jean-Paul Rouve. L'acteur se retrouve dans la peau Gabriel Matzneff. Pour ce faire, il a perdu du poids, pratiqué la natation (c'était le cas de l'écrivain), relu ses journaux également. Ce rôle fut le plus compliqué de sa carrière.
Pourquoi ? Jean-Paul Rouve l'explique très bien dans l'émission Beau Geste, diffusée le dimanche 8 octobre sur France 2. "Quand je voyais des acteurs dire 'oui, je rentre chez moi avec le rôle', je me disais qu'ils en faisaient trop... Et puis, en fait, je me suis rendu compte que... quand je rentrais chez moi le soir, c'était comme si j'avais joué toute la journée dans la boue et que je voulais prendre une douche. Une douche de la tête", témoigne-t-il.
Mais auprès de Pierre Lescure, l'acteur remet surtout les points sur les i.
Jean-Paul Rouve le précise très vite : il n'éprouve aucune fascination pour Gabriel Matzneff. Ou d'empathie. Ce qui ne semble pas être le cas de tout le monde. Il raconte ainsi, à Pierre Lescure : "Il y a un journaliste qui m'a dit : 'Vous savez, je connais bien Matzneff, moi... Et c'est plus compliqué que ça'... Ah !"
"Bah non, c'est pas plus compliqué que ça en fait. C'est un homme de 50 ans avec une gamine de 14 ans. C'est pas compliqué", décoche sans hésiter l'acteur. L'occasion de le rappeler : si ce qu'elle dit de la société est vaste, et de l'emprise, "l'affaire Matzneff" est également source de réalités très pragmatiques. Sur les abus, les violences, la manière dont le pouvoir peut être employé, quel qu'il soit. Sur la domination. Sur ce fait, simplement : "C'est l'histoire d'un homme de 50 ans avec une gamine de 14 ans".
C'est une parole importante : Jean-Paul Rouve "dit les termes".
Et ses mots renvoient à d'autres : ceux de Vanessa Springora. Lorsque celle-ci écrit, dans Le consentement : "Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ?"
"Cent fois, j'avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu'elle était mal posée, dès le départ. Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne".
L'acteur ajoute avoir interprété le rôle avec une forme de distance : il a perçu Gabriel Matzneff comme "Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux". Autrement dit, un personnage connu pour ses manipulations, son intelligence et sa perversité. Mais même avec ce recul, cela n'a pas été une expérience facile.
Loin de là même.
Il ajoute : "J'avais besoin de prendre une douche de la tête. J'ai dit tellement de saloperies toute la journée... Votre cerveau sait que c'est faux, mais il garde quand même un petit bout de tout ça". A écouter l'acteur, "c'est un rôle à part, on ne peut vraiment pas le prendre avec ses armes".
Comprendre : contrairement à tout autre rôle.
Jean-Paul Rouve se rappelle ainsi de la scène la plus difficile qu'il ait eu à tourner dans Le consentement. A savoir ? Cette scène où il a du passer sa main sur la joue d'une jeune actrice, "d'une gamine" : "Vous ne pouvez pas savoir ce que ça a été de faire ça".
"C'est pire que tout ce que j'ai tourné dans le film, parce que là j'étais avec une enfant de 14 ans. Et je me disais qu'il faisait ça lui, Matzneff. C'était le pire geste à faire pour moi dans ce film, le plus violent intérieurement".