Si l'on parle volontiers de "dictature du like" pour désigner les travers des réseaux sociaux, une réalité bien plus alarmante se perpétue depuis des années sur Facebook et Instagram : la censure quasi automatique - et volontiers expéditive - des photographies mettant en scène le corps des femmes lorsqu'il est dénudé, et plus précisément leurs tétons. Tout en offrant à ses utilisatrices un espace de diffusion bienvenu, l'algorithme d'Insta ne se prive pas de réprimer leur liberté d'expression. Mais pour Noortje Palmers et Jasper Declercq, le "tabou des boobs" n'a que trop duré. Avec leur projet Taboob, les deux artistes s'exercent à défier cette pruderie déplacée.
Et ce duo belge oblige, avec un sens de l'humour réjouissant. Si les tétons immortalisés par Taboob sont photoshopés et mis en scène afin que leurs tétons esquivent le viseur de l'algorithme, l'intention n'est pas que politique, elle est artistique. Recouverts de nourriture, bariolés, dépeints comme des monochromes à la Yves Klein, ces boobs libérés façon #FreeTheNipple deviennent des performances à part entière au sein de cette "enquête astucieuse sur la définition que nus donne Instagram du sein féminin".
"Instagram verrait-il encore un sein si le mamelon était tendu comme le nez de Pinocchio? Écrasé entre un sandwich ? Ou caché sous une couche de glace ?", s'interrogent malicieusement ceux-ci. Par-delà ces "tips pour tits", leur compte est l'occasion idéale pour faire une pierre deux coups. Car ces seins "supervisés" par les stylistes Farah El Bastani et Harriet Wouters ne sont pas juste shootés en gros plans. Ils portent en eux un véritable discours body positive.
En dévoilant toutes leurs imperfections, bien loin des canons de beauté traditionnels, voire même leur curieuse étrangeté, Taboob ne se contente pas de se jouer des "règles de la communauté" Instagram par le biais de quelques "tips" pour "tits" mais prône une vision plus inclusive du nu féminin. Même si l'idée globale, nous rappelle Jasper Declercq, est d'observer les réactions de l'algorithme "quand un sein n'est plus un sein".
Alors, l'expérience "Taboob" démontre-t-elle que l'on peut renverser Instagram ? Oui et non. Car jouer sur le suggestif n'a pas empêché le compte de se voir bloqué il y a peu. C'est là l'adage auquel se heurtent ses concepteurs depuis la création du projet, comme le démontre leur site officiel : "Your post has been deleted" ("votre publication a été supprimée"). Mais qu'importe. Après l'avoir remis sur les rails, Jasper Declercq persiste et signe : "Vous pouvez bloquer un sein une fois, mais à la fin, les tétons vaincront".