Bouteille de champagne à la main, extatique, Jari Jones savoure ce moment historique : derrière elle, son visage et son corps s'affichent sur un immense panneau publicitaire de Manhattan. L'actrice et activiste transgenre de 29 ans ne réalise toujours pas. La voici égérie de la campagne Calvin Klein #ProudofMyCalvin 2020, aux côtés de huit autres modèles LGBTQIA+ en ce mois des fiertés. Quelques jours plus tôt, elle avait tweeté l'affiche et un message aux allures de slogan politique : "Aujourd'hui, en ce jour de Juneteenth (jour qui symbolise l'émancipation des esclaves afro-américains au Texas- Ndlr), une grosse femme trans noire contemple New York."
"C'est un tel honneur et un plaisir d'être moi-même de façon authentique et de présenter l'image d'un corps qui a si souvent été diabolisé, harcelé, qu'on a dévalorisé et même tué ", se réjouit la fervente supportrice du mouvement Black Lives Matter sur son compte Instagram.
"Ce sont ces moments dont j'ai entendu parler, qui vous aident à oublier quand le monde vous dit 'Jamais'. Ce sont ces moments qui vous aident à guérir quand la société a essayé de vous mettre à terre, encore et encore. Ce sont ces moments si vrais qui vous aident à vous affirmer quand vous ne vous voyez pas. J'ai cherché pendant toute ma vie ces moments, j'ai été fatiguée de chercher ces moments. Du coup, j'ai décidé de les créer. Pas pour moi, mais pour la·le prochain·e rêveur·euse, exclu·e, queer, trans, handicapé·e, gros·se, Noir·e magnifique, qui attend son moment pour briller."
Dans son parcours, Jari Jones a pu compter sur le soutien indéfectible de sa mère, qui n'a pu s'empêcher d'éclater en sanglots face à la fameuse affiche sur laquelle trône sa fille. "Ma mère est l'une de mes meilleures amies. Et sûrement l'une des raisons pour laquelle j'ai été capable de faire mon coming out et d'être fière, parce qu'elle a instillé cette confiance en moi depuis que je suis petite", confie la jeune femme à Yahoo Life.
Après de modestes débuts de modèle enfant, Jari Jones a entamé sa transition et a commencé à décrocher des rôles dans des séries telles que Pose et Transparent, mais aussi enchaîné des campagnes pub pour des marques comme Dove. "Une fois que tu es sûre de toi et bien dans ta peau, les gens peuvent le voir. Les agents de casting sont bons dans leur boulot pour une raison et et je crois qu'une fois que j'étais à l'aise avec mon identité, ils l'ont vu et les contrats ont commencé."
Par le pouvoir de son corps et de ses mots sans filtre, Jari Jones compte bien bousculer l'univers encore très étriqué de la mode. Elle, la résistante face aux carcans normés, revendique aujourd'hui haut et fort son statut de "Fat Black Trans Woman" (grosse femme trans noire). Comme un étendard qu'elle brandit fièrement.
"Cela m'a pris du temps pour me réapproprier ce mot 'grosse'- j'étais une enfant 'plus size', une gamine grosse, et tout le monde m'a toujours dit que j'étais grosse. Si tu es grosse, tu ne peux pas avoir de boulot, si tu es grosse, tu ne peux pas trouver l'amour...", se rappelle-t-elle. C'est finalement au contact d'autres personnes grosses à New York que Jari Jones a appris à terrasser sa propre grossophobie intériorisée et à aimer ce corps aujourd'hui célébré. L'une des raisons pour laquelle elle veut transmettre son message d'acceptation de soi et d'empouvoirement.
"C'est important pour moi de parler de 'grosse'. Il faut que les gens sachent qu'un corps gros vaut la peine d'être célébré, aimé et respecté. Toutes ces intersections, être grosse, trans, noire, ont besoin d'être vues et nommées frontalement." On applaudit évidemment.