"Honte à nous", c'est le nom du rapport que le Sénat du Canada a publié jeudi 9 août. La honte, parce que ce rapport raconte comment entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et 1971, l'État canadien a volé leur bébé à des femmes célibataires, leur promettant l'opprobre si elles le gardaient.
Le Sénat estime que cette politique a amené à l'enlèvement de 300 000 à 600 000 enfants pour un total de 300 000 à 450 000 femmes. Mais ce chiffre est compliqué à établir tant le processus fut opaque. Il avait également été déconseillé fortement à ces femmes de chercher leur enfant. Le comité sénatorial estime que 95 % des mères célibataires durant cette période se sont faites voler leur enfant ou ont eu à le donner.
Des foyers de maternité étaient financés par le gouvernement fédéral où été placées ces filles célibataires. Après la naissance les bébés étaient gardés en foyer gérés par l'Église avant d'être adoptés.
Le journal Le Devoir rapporte les propos de la sénatrice Chantal Petitclerc qui raconte que les groupes religieux ont tous décliné l'invitation du comité à témoigner et à s'expliquer : "J'espère que ce rapport va permettre un peu de pression pour une réflexion, pour des excuses, pour une reconnaissance à tout le moins du rôle qu'ont eu les différents groupes religieux". Elle fait également le parallèle avec ce qui a pu se passer en Australie où l'État s'est officiellement excusé il y a dix ans pour des pratiques similaires sur la même période envers les enfants des personnes aborigènes et des indigènes du détroit de Torrès.
Des femmes ont témoigné devant le comité sénatorial. L'une de ces femmes célibataires, Sandra Jarvie, qui avait 20 ans en 1968 explique dans des propos relevés par Le Figaro : "La travailleuse sociale s'est postée devant moi et m'a annoncé froidement que je ne reverrais jamais mon bébé de toute ma vie, et que, si je cherchais à le retrouver, je détruirais sa vie [...]. Les mères célibataires n'étaient pas perçues comme pouvant être mères"
Sandra Jarvie décrit également les conditions de vie dans ces foyers isolés : "On vivait séparé du reste du monde... Ces maisons n'offraient plus que la servitude domestique". Barreaux aux fenêtre, violences sexuelles, tortures psychologiques, ces maisons ressemblaient à l'enfer et l'on est pas loin de la Servante Écarlate de l'autrice canadienne Margaret Atwood.
Certaines femmes ne savent également même pas si elles ont accouché d'une fille ou d'un garçon tant l'enlèvement s'est fait tout de suite après l'accouchement. Une autre mère explique devant la commission : "On m'a dit que je me marierais plus tard et que j'oublierais mon bébé. Comment une mère peut-elle oublier son bébé?"
Comme le souligne le sénateur Art Eggleton : "C'était prévu au Régime d'assistance publique du Canada à l'époque. Le gouvernement, certainement, est responsable de l'argent qu'il dépense."
Selon le comité sénatorial des affaires sociales en charge de ce rapport, le Canada doit présenter ses excuses officielles pour ce que les Canadien·e·s appellent "la rafle des bébés". En présentant le rapport jeudi 9 août, un de sénateur, Art Eggleton a affirmé : "Chaque fois qu'un gouvernement contribue à la violation de droits de la personne, il devrait s'excuser".
En plus des excuses officielles, les sénateur·trice· auteur·trice·s du rapport demandent à ce qu'un soutien psychologique soit offert aux personnes ayant souffert de cette politique mais également que tous les dossiers d'adoption soient ouverts pour que chacun puisse se retrouver.
L'État canadien avait déjà dû indemniser en 2017 les victimes d'un scandale similaire qui avait perduré jusque dans les années 1980 et concernait les enfants autochtones.
La France a elle connu un scandale à moindre échelle mais tout aussi scandaleux, celui des enfants de la Creuse. Entre les années 1963 et 1982, des enfants réunionnais ont été déplacés dans le département ayant subi l'exode rural comme la Creuse, pour les repeupler. Cette politique avait été mise en place par le député d'alors Michel Debré.