C'est l'histoire, sur plusieurs décennies, d'une femme qui n'a pas le droit d'être heureuse. "Tondue" durant la Libération pour avoir aimé la mauvaise personne, elle finira, de nouveau, par tomber amoureuse du "mauvais" homme, celui dont l'orientation sexuelle n'est pas acceptée par la société d'alors. Entre notre protagoniste, son amant professeur d'université à la Sorbonne, et son jeune fils, les drames et les émois s'entrecroisent impitoyablement.
Voilà pour le pitch de Le temps d'aimer, nouvelle oeuvre de la cinéaste prodige Katell Quillévéré (Le monde de demain, la minisérie Arte sur NTM, c'est elle !), qui ravive un genre totalement délaissé chez nous : le mélo. Au sens le plus pur du terme : Le temps d'aimer est un mélodrame romanesque qui sublime les sentiments travers un thème universel, la douleur éprouvée face à l'impossibilité à être heureux, interdiction funeste imposée par le destin.
Tous en souffrent clairement dans le film, quelle que soit leur condition. Jeune amant homosexuel (Vincent Lacoste) marginalisé et condamné à une fuite perpétuelle, femme qui comme bien des consoeurs se voit jugée comme mauvaise mère, mauvaise épouse, fils qui la confronte à un amour qu'elle semble lui refuser, manque qui le meurtrit dès le plus jeune âge...
Et dans le rôle principal, flamboie une actrice qui parvient encore à nous impressionner malgré une carrière exemplaire (et un rôle Césarisé !) : Anaïs Demoustier. Comment l'expliquer ? C'est simple...
Le temps d'aimer, en déployant une intrigue étalée sur plusieurs années, revendique un souffle narratif d'une belle ampleur. Mais la tornade serait moindre sans la participation de son interprète principale. Césarisée pour Alice et le maire, Anaïs Demoustier est depuis des années un visage familier du cinéma français, comme Virginie Efira, Laure Calamy... Valorisant une certaine légèreté, insouciance, une forme d'épure aussi dans son jeu.
Mais avec ce mélo, la comédienne franchit une nouvelle marche. Car les divers enjeux (et il y en a beaucoup) du récit se cristallisent autour de cette femme qui en cumule mille autres. Protagoniste aussi bien pointée du doigt pour ses amours que pour son manque (apparent) d'amour, victime de bien des injonctions, d'une société qui semble évoluer sans pour autant bousculer sa cible principale : la femme, la mère, l'amante, l'épouse.
Ainsi Anaïs Demoustier se charge d'exprimer une quantité de nuances pour pleinement incarner ce personnage complexe et ambivalent. Désir féminin (du film émane une grande sensualité), insouciance et insolence du bonheur éphémère), meurtrissures des traumas d'un passé qui ne passe pas, quête d'émancipation et d'identité, foi très romantique en l'amour véritable... L'idée est d'incarner aussi bien la lucidité, crue, parfois cruelle (envers son enfant par exemple) que la fougue, l'élan vital, la grâce du sentiment.
De cette densité éclot un portrait de femme multiple, certes. Mais surtout, un témoignage puissant, par une femme cinéaste - d'après l'histoire de sa propre grand mère par ailleurs - de la condition féminine, dans un système qui en fait le noeud de toutes les violences, du corps comme du coeur.
Et face à un Vincent Lacoste jouant une autre partition (plus pudique et intériorisé, à l'image d'un acteur auquel il renvoie : le Pierre Niney de cet autre grand mélo qu'est Frantz) la comédienne assume une foisonnance qui détonne par sa justesse de tout instant. Indice : quand on chiale, c'est que c'est réussi !
Un rôle qui lui vaudra peut être un second César ! On parie ?
Le temps d'aimer, de Katell Quillévéré
Avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste...
En salles depuis le 29 novembre