Emilie Loizeau est une artiste à part dans le paysage musical français. Une artiste profonde, humaniste et captivante. Avec son album-concept Mona, conte musical sombre et poétique, la chanteuse propose une plongée en eaux troubles, inspiré aussi bien par la BD que par sa vie personnelle. Car l'histoire étrange et rocambolesque de Mona l'héroïne, bébé de 73 ans, atteint de potomanie (besoin irrépressible de boire constamment), Emily Loizeau l'a puisée au coeur de son vécu, ébranlé par la longue maladie de sa mère. Alors qu'elle vient d'attaquer sa tournée qui la mènera sur les routes jusqu'en mai 2017, nous avons demandé à Emily quelles étaient ses sources d'inspiration.
Je voulais renouveler un peu l'oxygène, donc je l'ai écrit différemment de d'habitude. J'ai écrit cet album comme j'aurais écrit une B.O. de film ou une pièce de théâtre. J'ai donc adapté une nouvelle que j'avais écrite pour le théâtre. Cette démarche a été la principale source d'inspiration de ce disque. La musique, le texte et l'histoire sont intimement liés. L'histoire de cette pièce ? C'est le journal de bord d'une jeune femme qui raconte la naissance de son enfant, qui se révèle être vieux à la naissance. A partir de ce postulat un peu absurde, à la fois caustique et parfois tragique, c'est une histoire qui traite du déséquilibre psychique, de la difficulté à trouver une place dans ce monde quand on porte en soi une différence qui nous rend inadapté. C'est une fable, un conte, mais dans un cadre extrêmement réaliste.
Ce bébé vieux, c'est un peu la métaphore de la maladie de ma maman, qui après avoir été une mère très aimante, présente et joyeuse, a été dévorée progressivement par sa psychose. Schizophrénie, psychose, tendance hystérique, bipolaire... Personne n'a vraiment su quel terme "froid" accoler à sa maladie. Et il a fallu accompagner cette maladie. Cela a été un parcours déstructurant, solitaire, dur, où je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas de place pour les gens comme elle dans notre société. Les institutions dans le public manquent cruellement de moyens, dans le privé, elles exigent beaucoup des patients et de la famille. Ce ne sont pas des lieux de vie alors que ces malades ont besoin d'être dans la vie. Et les proches ne peuvent pas sacrifier leur propre vie pour accompagner ceux qu'ils aiment, ce qui n'est ni faisable, ni souhaitable, car c'est très douloureux. Forte de ce constat-là, j'ai eu besoin de transformer cette tragédie en quelque chose qui prendrait de la hauteur, la transformer en feu de joie sans en nier la mélancolie, ni la noirceur. Je voulais faire quelque chose de cette colère et de cette tristesse.
Oui, je me suis dit qu'en ne disant pas clairement de quoi cela parlait, en interview par exemple, j'allais faire semblant que cela n'existe pas, ou en tout cas, le garder pour moi. Alors que beaucoup de gens portent des choses similaires. C'est difficile d'en parler et en même temps, je voulais rendre hommage à la vie que ma mère avait en elle et à la joie, à l'amour et à l'inspiration qu'elle m'a transmise dans mon enfance.
Il y en a beaucoup, mais un disque qui me met en joie, c'est le dernier album de The Dø. C'est un disque pétri de blessures. On a l'impression d'écouter un disque de gens qui auraient survécu à extinction de l'humanité, mais qui se retroussent les manches et qui reprennent espoir. Il y a cette énergie-là. C'est un disque qui parle à la peau, au corps et au coeur.
Je lis en ce moment le livre de Céline Alvarez sur l'éducation et je suis passionnée. Elle démontre qu'on peut fabriquer des citoyens bienveillants, tournés vers le monde et créatifs. C'est un livre vital que tout le monde devrait lire ! Je trouve sa démarche extraordinaire, d'autant que j'ai deux enfants. Mais au-delà d'avoir des enfants, je trouve que c'est un livre qui parle de la façon dont nous pouvons construire notre société pour demain, un bouquin qui est tourné vers l'avenir et le positif, comme le film de Cyril Dion, Demain. Ce sont des oeuvres qui délivrent des messages excitants.
Depuis de nombreuses années, je vais me réfugier dans les Cévennes et en Ardèche. C'est un endroit vital pour moi. Ce sont des lieux qui comptent pour moi depuis mon enfance.
Frank's Wild Years de Tom Waits, The Freewheelin' de Bob Dylan et La femme au piano de Barbara.
Une fois que je rentre dans une série, c'est extrêmement compulsif et du coup extrêmement chronophage. J'y vais donc un peu à reculons car je sais ce que l'addiction à une série provoque. Je suis restée scotchée par Six Feet Under, mais je n'ai pas encore dévoré celles qui sont venues après et qui sont incroyables. Je suis très en retard !
Je viens de voir Ma vie de Courgette avec mes deux enfants. J'ai été très émue. Ce film, c'est un coeur qui explose. C'est fait avec énormément de finesse, de poésie. C'est sublime. Je me suis rendue compte après-coup que l'un de mes enfants, 3 ans, était beaucoup trop petit. On en a beaucoup parlé ensemble. Mais les enfants font le tri : ils s'accrochent à des anecdotes, à des choses plus en surface... C'est un film lent, doux et il laisse la place aux enfants de comprendre les choses et d'être dans une certaine légèreté. A 6 ans, je pense que ma fille a plus compris.
C'est pas toujours facile, ce n'est pas très structurant, mais ça fait partie de ma vie. On aimerait bien avoir un rythme parfois un peu plus "normal". Mais mes enfants l'ont intégré maintenant. Et c'est aussi le prix à payer pour tout le bonheur que je reçois sur la route, entourée de personnes formidables avec qui je vis des choses magnifiques. Ce n'est pas donné à tout le monde d'aimer à ce point les gens avec qui on travaille ! (rires)
Emily Loizeau, album Mona
En tournée dans toute la France et à la Cigale le 10 novembre 2016