Hier encore, la photo d'un cutty papa a fait "le tour du web", comme l'exprime avec mesure l'expression désormais consacrée. Sur celle-ci, on voit un père de famille trempé, protégeant son fiston de la pluie torrentielle qui semble leur être tombée dessus sans prévenir. À moins que ledit papa, potentiellement très mal organisé, n'ait oublié le K-Way (préparé par maman ?), en témoigne la tenue absolument inappropriée arborée par son rejeton. Posté sur Reddit par un anonyme ému devant tant de dévotion paternelle, le cliché a ému des millions d'internautes, comme c'est si souvent le cas, en ces temps de daddymania patentée.
Car sachez-le, le papa est le nouveau it boy. Vous trouvez votre concubin empâté, et repensez avec nostalgie à son musculeux poitrail de jeunesse, sur lequel vous vous loviez lorsque, seuls, vous n'aviez pas à vous relever dix fois par nuit pour changer couches ou draps crottés ? Reprenez-vous, malheureuse ! Car en 2015, le nouveau cool, c'est la bedaine, habilement renommée par des marketeurs très certainement de sexe masculin, le "dadbod". Bien joué, les mecs. Ne nous reste plus qu'à lancer la tendance mumbigass. À moins qu'on n'arrive à faire passer le patted'oiemama.
Mais la tendance ne s'arrête évidemment pas à ces basses considérations esthétiques. Car outre sa bedonnante plastique alléchante, c'est grâce à son comportement absolument exceptionnel que le papa cool s'attire les bonnes grâces des internautes et d'une bonne partie de l'opinion publique dans son ensemble. Ashton Kutcher déclare changer les couches de sa fifille, et c'est toute la peoplosphère qui fond de concert. Idem pour Ryan Reynolds, qui pose fièrement en porte-bébé, comme s'il avait avait fait Paris-Pekin en chaussons-chaussettes. Et ces tripotées de papas plus ou moins célèbres qui se gargarisent des moments privilégiés qu'ils passent régulièrement avec leur progéniture, comme s'ils avaient inventé une nouvelle forme d'héroïsme moderne. Non mais oh.
Côté "viral", les papas anonymes ne sont pas en reste, qui font le buzz à coups de vidéos trop mimis, reprises avec ferveur par les médias conscients de cet engouement béat pour ce nouvel acteur bankable qu'est le daddy cool, compilant dévotement les photos trognones de ces géniteurs sexys occupés à jouer leur plus beau rôle, celui de papa.
Alors certes, réjouissons-nous de cet enthousiasme du papa 2015 pour cette mission très spéciale qui lui a été confiée : s'occuper de ses enfants. Car soyons honnêtes, très peu voire pas un de nos grands-pères n'a jamais changé une couche ni lavé un des biberons de cette braillarde progéniture à laquelle les mâles ne s'intéressaient que lorqu'elle était enfin sortie de cet âge ingrat du nourrisson. Les moeurs ont évolué à mesure que l'égalité dans les couples s'est installée, que les femmes ont "pris leur indépendance" en même temps que le chemin de la vie professionnelle et que les couples se sont enfin décidé à partager (plus ou moins) les différentes tâches domestiques et parentales. Et ça, c'est cool, ne nous y trompons pas.
En revanche, est-il réellement besoin de s'émerveiller ainsi chaque fois qu'un homme porte un bébé ? De lâcher un torrent lacrymal hystérique lorsqu'on en voit un passer transbahutant un sac de Pampers dans la rue ? De pousser des cris extatiques en mode concert de Bruel 1991 quand l'un d'entre eux ose une Stan smith en réunion parents-professeurs ?
Quelqu'un a-t-il déjà salué toutes ces tâches accomplies par une banale mère de famille croulant sous sa todo sans cesse renouvelée, sachant qu'elle-même aura la mission supplémentaire de se débarrasser ponctuellement de ses poils lors que son mimi-mari sourit béatement sous une grosse barbe adoubée par ces mêmes marketeux auteurs du divin dadbod ? Ne-ver !
En bref, si on fond nous aussi devant Kutcher et sa mouflette sous le bras, on se dit que ce serait pas mal d'arrêter ces ébahissements outrés de mère abusive devant son fiston déifié. Parce que ça n'est certainement pas avec de tels comportements qu'on l'obtiendra pour de bon, cette égalité rêvée. Pas vrai ? Haro sur le dadhero.