La rentrée 2018 serait-elle celle des sorcières ? Cela semble bien être le cas puisqu'on voit revenir en grâce cette figure trop souvent caricaturée. La sorcière n'est pas qu'une vieille dame avec un nez crochu, à califourchon sur un balais et des cheveux ébouriffés.
Cette année marque un renouveau et une réappropriation de l'image des sorcières comme figures féministes. Celles qui étaient auparavant tuées pour s'être aventurées hors du rang sont aujourd'hui célébrées comme figure d'empowerment. Entre les livres, les gammes de cosmétique ou les reboots de vieilles séries, elles sont partout.
D'abord, il y a eu la sortie très attendue dans les milieux féministes du nouveau livre de Mona Chollet, Sorcière ou la puissance invaincue des femmes. L'autrice y décrypte le portrait des sorcières modernes, des femmes qui s'accomplissent par elles-mêmes et pas au travers des autres et surtout pas des hommes. Elle explore les multiples facettes de la maternité, la vieillesse, l'indépendance des femmes, le couple.
Dans un autre livre féministe de la rentrée littéraire en bonne place dans les librairies, Les Heures Rouges de Leni Zumas, la figure de la sorcière est également présente. L'une des protagonistes de cette dystopie est une femme vivant dans la forêt, meurtrie par les hommes et prodiguant ses conseils et ses remèdes à ses visiteuses. Parfois, elle leur administre des potions pour pouvoir avorter.
Les sorcières sont donc devenues un filon littéraire. En 2015 déjà, les éditions Cambourakis ont créé une collection intitulée Sorcières qui revient livre après livre sur cette figure fascinante avec des titres comme Guide pratique du féminisme divinatoire ou Rêver l'obscur, Femmes, magie et politique.
On organise aussi des conférences ou des expositions comme le 19 septembre au Musée de la chasse et de la nature à Paris, sur le thème : Paroles de sorcières, penser l'écoféminisme. En 2017, une exposition aux Archives nationales dévoilait les documents relatifs aux procès de femmes souvent qualifiées de sorcières.
A l'époque, le co-conservateur de l'exposition, Pierre Fournié, indiquait : "Nous avons voulu restituer la parole des femmes poursuivies pour des crimes qualifiés de féminins, du Moyen Âge à nos jours, à travers les pièces de procédure, soit quelque 320 procès verbaux d'interrogatoire". C'est ce qui est au coeur de l'empowerment des femmes aujourd'hui : reprendre le contrôle de sa parole.
Mais le renouveau des sorcières s'accompagne également d'une émancipation des femmes et de leur corps. Dans une série d'émissions de France Culture sur le thème des sorcières, on évoque la nécessite de "prendre soin de soi et des corps" au travers des pratiques des sorcières. Ce qui revient à s'inclure dans un mouvement du féminisme actuel qui est de reprendre la propriété de son corps, via la contraception, l'avortement ou la lutte contre les violences sexuelles.
Mais la figure des sorcières et sa force féministe est aussi récupérée par la pop-culture et le marketing. La série Charmed revient en force cet automne avec un reboot. La première version de la série avait animé nos premières parties de soirée du samedi soir à fin des années 1990. On y retrouvait un trio de femmes puissantes, solidaires, les soeurs Halliwell. Cet esprit de sororité fait écho à l'esprit qui a émergé du mouvement #MeToo.
Autre retour attendu : Sabrina l'apprentie sorcière. Le premier épisode de ce reboot, vendu vendu comme plus sombre que l'original, sera diffusé le 26 octobre 2018 sur la plateforme Netflix sous le titre Chilling Adventures of Sabrina.
La chaîne de cosmétiques Sephora comptait également surfer sur la vague des sorcières pour vendre des "Starter Witch Kit" de la marque Pinrose (des kits de sorcières débutantes). Pour la modique somme de 40 euros, on pouvait se procurer un coffret contenant un jeu de tarot, de la sauge et du quartz rose. Un kit en toc qui n'a pas manqué de provoquer une violente polémique, obligeant même les magasins à en retirer la vente en Angleterre, suite aux protestations des "vraies" sorcières.
Mais pour laisser libre cours à la sorcière qui est en nous, pas besoin de chapeau pointu ou de citrouille en plastique de kit de sorcière désincarnée. Comme le décrit l'écrivaine et militante écoféministe StarHawk au micro de France Culture : "La magie, c'est l'art modifier quand on veut son état de conscience. Il ne s'agit pas d'agiter une baguette magique comme Harry Potter, c'est vraiment une manière de travailler sur sa propre conscience, sa propre psychologie, de savoir dans quel état de conscience vous êtes et de pouvoir faire des choix par rapport à ça." On prend des notes sur nos grimoires.