Pas un seul été ne se passe sans qu'enfants, ados ou jeunes parents ne le ravivent : le bracelet brésilien est un incontournable de nos vacances. Facile à faire, source inépuisable de variations - de couleurs et de motifs - l'objet est aussi ludique qu'esthétique. Passe-partout, il s'adapte à tous et fait la joie des esprits les plus nostalgiques. Peut-être en avez-vous même porté cet été ? Car, tout comme il survit aux vagues et aux douches, le bracelet brésilien perdure malgré le flux des années. Mais pourquoi ? C'est simple.
Il est là, fidèle au poste, solidement attaché à notre poignet. Et pour cause, car, par définition, il "fait lien". Le lien est ce qui le plaque sur notre bras contre vents et marées (jusqu'à la rupture), mais aussi sa raison d'être. Youna, vingt-cinq ans, se rappelle à ce titre de ses premiers bracelets. Un ami lui en avait ramené du Brésil, pour elle et son amoureux. En leur disant qu'il se dénouerait seulement à "l'instant T". Mieux qu'une carte postale, le bracelet brésilien est l'assurance de laisser sa trace auprès de ceux et celles qui comptent pour nous. Cute !
Et Théo ne nous contredira pas. Le jeune homme de dix-neuf ans n'a jamais oublié ces quelques fils malicieusement lacés qu'il portait au poignet lorsque sa grande soeur s'est envolée un an, dans le cadre d'un parcours Erasmus. Elle aussi en portait un au bras. N'ayant pas l'habitude d'être séparés aussi longtemps, frère et soeur ont échangé ces bracelets "afin de penser à l'un et l'autre tout le temps". C'est en partie cela qui rend le bracelet brésilien si indémodable : les affects et relations humaines ont toujours besoin de ces petits fétiches symboliques, plus abstraits et - en apparence seulement - moins intimes qu'une poignée de Polaroids trop perso.
Cet été, Mélodie se rend compte de l'impact sentimental de ce totem multicolore. Elle passe son temps à vendre bracelets brésiliens et bracelets d'été à Arcachon, petit job oblige. Ils s'arrachent comme des petits pains ! Peut-être car, analyse cette photographe de vingt-six ans, "tu peux faire un bracelet brésilien à tout âge puisqu'il permet de faire partie d'un groupe, d'une famille, et ce en affichant la même couleur ou le même motif, ou au contraire en s'en distinguant". Puis l'accessoire n'est pas trop cher. Mieux encore, certains n'hésitent pas à se le fabriquer.
Suivre les motifs bariolés des bracelets brésiliens revient donc à s'aventurer d'une histoire à l'autre, et plus encore d'un lieu à l'autre. Quitte à frôler le dépaysement le plus salvateur. Car le bracelet éclot de nos voyages, passés ou présents. Et puisque les voyages, "c'est la vie que l'on fait, le destin qu'on refait", chantonne Barbara, il en est un peu de même de ces objets. Prenez Matthieu. Ce globe-trotter de trente-quatre ans, qui ne ramène jamais de souvenirs de ses escales, est pourtant revenu de son séjour de trois semaines en Equateur et en Colombie avec deux bracelets tressés.
Lors de son passage à Bogotá, le trentenaire a été accueilli par une famille vénézuélienne immigrée, qui oeuvre dans le domaine associatif afin d'apporter une solidarité précieuse aux moins bien lotis. L'ado de la famille lui a vendu deux-trois bracelets faits de sa main. C'est certain, ceux-là ne se retrouveront pas dans le grenier. Impossible de s'en séparer tant ces créations artisanales "cristallisent le souvenir de cette rencontre" et ce face à face très touchant, inoubliable. Une prise de conscience, un instant de "vrai" aux antipodes des visites touristiques et, au final, ce bracelet, à ses yeux synonyme "de mémoire et de nostalgie".
Souvenirs, mémoire, c'est tout cela qui se ressasse à l'autre bout des fils. Matthieu encore se rappelle en avoir porté lorsqu'il passait ses mercredis, enfant, au centre aéré. Ado, même, des années plus tard, il en portait quelques uns - "avec des couleurs qui se marient bien ensemble", nous rassure-t-il aujourd'hui. Du centre au lycée, ce sont ses songes de jeunesse qui lui reviennent, des moments aériens, vestiges d'une époque révolue. "Ces bracelets, c'est l'été, l'insouciance, les moments où tu branles pas grand chose et où il peut pas t'arriver quoi que ce soit de grave", s'amuse-t-il.
Des joies éphémères émanent parfois une mélancolie neuve, car ces bracelets, ajoute Mélodie, peuvent tout aussi bien être des présents entre amoureux ou "des bracelets d'amitié". Une marque d'affection d'une belle naïveté qui renvoie par exemple "aux petites romances" un peu futiles de l'enfance. Le bracelet brésilien prend alors la forme d'un bijou, tout à fait charmant, à la fois estival et désuet. Mais lorsque l'idylle se brise, hélas, il est peut-être temps de l'arracher...Et de passer à autre chose.
En tout cas, lorsqu'un bracelet se casse, suggère Florence, "il faut faire un voeu". Et il se réalisera. A 27 ans, Florence a redécouvert le plaisir de faire des bracelets brésiliens. "C'est à la fois un moyen d'utiliser mes mains, de faire et voir l'évolution d'une création, mais c'est aussi le plaisir de partager et d'offrir une simple création à une personne", nous dit-elle. Pour cette non-superstitieuse il s'agit avant tout de concevoir un "souvenir commun" et de "poser une intention". Intention tout à fait bienveillante évidemment.
Chose amusante, c'est justement cela qui nous lie à nos superstitions. Même adulte, l'on attribue un sens et une finalité à des petits gestes du quotidien, des signes hasardeux et des biens d'une inestimable valeur affective. "C'est comme l'os du poulet ou la pièce dans la fontaine !", observe Youna, qui constate en ce tissage "une forme de reproduction, transmise de parents à enfants, sans même parfois penser à 'pourquoi' tu le fais". Peut-être parce que la dimension étonnamment "magique" du bracelet permet de réenchanter un réel qui l'est beaucoup moins ? Qu'il symbolise la douceur de vivre de l'enfance au creux d'un monde "adulte" bien moins coloré ?
Pour toutes ces raisons et bien d'autres, le bracelet brésilien porte sur lui quelque chose de rassurant. Et d'indéniablement "hors du temps", malgré son éternel revival estival. Alors, comment ne pas y succomber ?