Il est souvent bon de replonger dans sa bibliothèque - ou de jeter un oeil sur les lectures de ses enfants. Car certains livres dits "de jeunesse" voit leur force se décupler au fil des années. C'est le cas de ces quelques classiques colorés de bibliothèque, à redécouvrir sans trop tarder.
Difficile de résumer en trois mots la vie de Roald Dahl. Aviateur durant la seconde guerre mondiale et scénariste pour la série Alfred Hitchcock Présente, salué durant les années cinquante pour ses nouvelles morbides (Bizarre ! Bizarre !, Kiss Kiss), c'est finalement au coeur des sixties que l'auteur britannique appuie sa notoriété à l'international en révolutionnant la littérature pour enfants.
Avec James et la Grosse Pêche puis Charlie et la Chocolaterie, auquel succéderont Fantastique Maître Renard, Le Bon Gros Géant ou encore Matilda, le roi de l'humour noir ridiculise les adultes, réjouit leurs enfants et célèbre l'imaginaire le plus débridé.
Conte moderne d'un mauvais goût jubilatoire nous narrant les mésaventures d'un gamin luttant contre d'impitoyables ensorceleuses (sa métamorphose en rongeur n'aidant rien), Sacrées Sorcières est certainement son chef-d'oeuvre. Sous l'impertinence du ton se dévoile un discours mélancolique sur le deuil, le temps qui passe et l'angoisse de la mort. Une relecture s'impose en attendant l'adaptation en format bédé par l'indispensable Pénélope Bagieu.
Que dire de Sa majesté des mouches ? Qu'il est l'un des livres favoris du maître de l'horreur Stephen King. Et que la très sanglante saga des mangas Battle Royale s'en inspire. Rien d'anormal pour qui a pu goûter à la cruauté de cette allégorie implacable.
L'histoire a pourtant tout de l'utopie pour kids : un avion s'écrase sur une île déserte avec, à son bord, une flopée de jeunes garçons issus de la haute société anglaise. Ceux-ci vont devoir cohabiter dans la sérénité afin de survivre. Mais très vite, les mauvais mécanismes - ceux du monde des adultes - prennent le dessus et la déroute vire au cauchemar.
Ethnologues et anthropologues pourraient retourner dans tous les sens le classique de William Golding, dépeignant l'enfance en ce qu'elle a de plus sauvage, tribale et assassine. Un petit bijou de tensions psychologiques qui, plus de soixante ans après sa publication, n'a pas pris une ride.
Difficile de choisir un album au sein de l'exemplaire carrière de l'auteur et illustrateur Claude Ponti. Aux côtés de Philippe Corentin et Grégoire Solotareff, il est l'un des grands noms de la maison d'édition L'école des loisirs. Must-have des bibliothèques municipales, Pétronille et ses 120 petits illustre par excellence les mondes singuliers qu'il aime à dépeindre.
L'on y suit la souris Pétronille qui, flânant au sein de la Forêt Touffue, enchaîne les rencontres fantaisistes et inattendues - comme celle du malveillant monstre Sagoinfre. Comptines et décors pastoraux, poésie, thématiques familiales et goût prononcé pour l'absurde constituent le sel de cet album qui ne cesse de déconcerter ses lecteurs - petits et grands - par le curieux sentiment d'étrangeté qu'il libère.
A ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur le rapport que nourrit l'artiste aux émotions et à la création, l'on ne saurait trop conseiller ce captivant échange en compagnie de la journaliste de France Inter Eva Bester - il y est autant question de Charles Baudelaire que d'Henry Miller.
Autre pierre précieuse de L'école des loisirs, l'album pour enfants de Leo Lionni saura satisfaire les amateurs et amatrices d'art(s). Objet conceptuel, Petit-Bleu et Petit-Jaune représente les deux protagonistes du même nom sous la forme de tâches bleues et jaunes - et de leur baiser adviendra une ultime couleur : le vert.
Si les maternelles apprécieront le récit pour son ludisme et sa finesse, leurs parents risquent bien d'être fascinés par son approche graphique, dont l'audacieux minimalisme rappelle certaines grandes oeuvres des mouvements artistiques d'avant-garde. L'on a l'impression de feuilleter un tableau expérimental en tournant les pages de cette fable profondément pédagogique sur la tolérance et l'amitié.
Une citation après l'autre, l'essentiel compte Twitter Le Petit Prince nous permet de célébrer - au quotidien - les songes aussi spleenétiques qu'universels du roman éponyme d'Antoine de Saint-Exupéry. Preuve en est que d'une génération à l'autre, l'on aura jamais vraiment fait le tour de ce grand voyage métaphysique et désenchanté à base de désert et de renard, de fleurs et de rêves, de couchers de soleil, d'étoiles et de moutons que l'on dessine.
Les interprétations s'alternent encore pour saisir le sens de ces phrases à la fois mystiques et limpides, dont l'apparente pureté n'a d'égale que l'éclat tragique. Mais toute analyse serait superflue car comme l'écrit l'auteur : "l'essentiel est invisible pour les yeux". Une vérité que l'on oublie trop aisément à l'âge adulte. Raison de plus pour redécouvrir Le Petit Prince.
Trop souvent, les noms des autrices de littérature de jeunesse sont passés sous silence. Elles sont pourtant nombreuses à avoir marqué au fer rouge cet univers : Marie Desplechin et Susie Morgenstern, Marie-Aude Murail et Nadja... Et Astrid Lindgren n'est pas la moins prodigieuse de toutes.
En inventant le personnage de Fifi Brindacier, "poil de carotte" téméraire et iconique, l'autrice suédoise démolit les stéréotypes sexistes inondant les lectures "pour filles" et esquisse dès 1945 les prémices du "girl power". Jeune fille impertinente et casse-cou, Fifi Brindacier rivalise sérieusement avec Tom Sawyer en terme de bêtises et sa propension à faire tourner en bourrique les adultes - et les garçons ! - en fait une indéniable chipie féministe.