On savait la publicité encline à véhiculer des clichés sexistes. On sait désormais qu'elle se montre également raciste. C'est le principal enseignement de l'intervention de Pénélope Bagieu, le 2 décembre dernier, au Théâtre du Rond-Point. Invitée de « La Peste, disait-il ! La culture contre la haine », la soirée de mobilisation contre la xénophobie organisée par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, l'illustratrice n'a pas hésité à dénoncer les pratiques discriminantes largement courantes dans le milieu de la publicité. Un secteur qu'elle connaît bien pour y avoir exercé avant de se lancer avec succès dans la bande-dessinée.
« La publicité, on connaît tous ses malveillances. On sait qu'elle ment, qu'elle enjolive, qu'elle arrondit les angles. Mais ce à quoi on pense moins, c'est qu'elle est, au même titre que l'art, que la littérature, que la presse, que la télé, responsable de beaucoup beaucoup de clichés », a analysé la jeune femme de 31 ans. Et de poursuivre : « Notamment, elle est responsable de véhiculer à sa manière un terrible racisme ambiant, larvé, banal, passif parce que malheureusement, même si on le déplore, c'est la forme d'image à laquelle on est le plus confronté, tous les jours, tout le temps, partout. Depuis qu'on est petit et jusqu'à ce que l'on meure probablement, on verra de la pub de force, on mangera de la pub. »
Après cette introduction incisive, la dessinatrice est revenue - PowerPoint à l'appui -, sur une anecdote véridique : le cas d'une grande marque française d'électroménager qui lui avait demandé une « héroïne » pour illustrer la nouvelle campagne de promotion d'un robot révolutionnaire qui « hache, fait des purées et des soupes ». Seule contrainte pour Pénélope Bagieu, le personnage doit être une femme « ni jeune ni vieille, ni grosse ni maigre, ni belle ni moche, ni trop rurale ni trop parisienne ». Autrement dit une femme « nini », sans rien de spécial, dessinée sur fond bleu.
L'illustratrice propose donc une femme noire aux cheveux bouclés car, comme elle l'explique : « Le bleu et marron teinté de rouge se répandent, se font ressortir mutuellement. Donc c'est joli. » Problème, le client n'est pas du tout de cet avis et lui demande immédiatement d'éclaircir son dessin, non sans l'avoir questionné sur ses motivations à avoir imaginé une femme « métisse », le terme noir étant considéré comme une grossièreté dans la publicité. L'artiste s'exécute. Son personnage devient une femme à la peau blanche aux cheveux toujours bouclés. Verdict : elle est trop « méditerranéenne ». Un échange plus tard, ses cheveux ont été lissés. Mais elle est alors typée « chinoise », ce qui ne convient pas non plus. Pénélope Bagieu lui « teint » donc les cheveux en blond. La marque d'électroménager lui trouve l'air « concon ». Finalement, loin d'être dupe et lassée de ce jeu de ping-pong, elle rend une dernière version de l'héroïne : elle est blanche, ses cheveux sont lisses et roux. Miracle, le croquis est validé ; l'illustratrice désabusée.
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« Ce qui m'ennuie c'est que je savais que ça se finirait comme ça. On aurait pu gagner du temps. Quand j'ai demandé s'il y avait des consignes, mon client aurait pu me dire : "Fais ce que tu veux, mais évidemment, on préférerait qu'elle soit blanche". Mais ça, vous comprenez, c'est raciste. Alors qu'y aller en louvoyant au final, ni vu, ni connu, on est raciste quand même, mais pas vraiment raciste », a déploré la trentenaire sur la scène du théâtre.
L'histoire ne s'arrête pas là. Cet indélicat, raciste et sexiste client a cru bon de lui envoyer un e-mail afin de s'excuser de ces nombreux allers-retours. « Merci Pénélope, je suis désolé on a beaucoup tâtonné. Mais tu comprends, c'était important qu'on fasse un personnage auquel toutes les Françaises vont pouvoir s'identifier », y était-il écrit. Toutes les Françaises, à l'exception de celles d'origine afro-antillaise, maghrébine ou asiatique, bien-sûr…
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