S'il y a un nom féminin qu'il faut retenir dans le monde de la police française, c'est bien celui de Martine Monteil. À elle seule, cette ex-policière de 69 ans présente le parcours que tout flic digne de ce nom rêverait d'avoir.
Directrice centrale de la police judiciaire (PJ) pendant quatre ans, elle a également chapeauté la brigade spécialisée dans le proxénétisme, puis a été nommée préfète et secrétaire générale de la zone de défense de Paris en 2008, avant de quitter ses fonctions dans la police en 2013.
Certaines affaires qu'elle a couvertes et résolues font partie des plus célèbres de notre pays : démantèlement du réseau de proxénétisme de la grande maquerelle Madame Claude en 1992, arrestation des tueurs en série Mamadou Traoré (1996) et Guy Georges (1998)... Elle a aussi couvert les attentats du RER B à Saint-Michel, en 1995.
Aujourd'hui, Martine Monteil continue de mettre ses compétences de policière au service des autres : début janvier, elle a accepté une mission de conseillère pour le groupe de casinos Partouche.
Invitée de l'émission Profession de Michel Denisot diffusée sur Canal + ce mercredi 16 janvier, cette passionnée nous raconte les origines de sa vocation et nous confie ses pires et meilleurs souvenirs d'affaires.
Martine Monteil : On me pose souvent cette question, mais c'est très difficile d'y répondre parce que chaque affaire est unique : on s'y consacre pleinement. Mais dans la catégorie horreur, il y a évidemment les attentats de 1995, des scènes de guerre très dures.
Et les tueurs en série, car par définition, s'il y a plusieurs meurtres, cela signifie que vous n'avez pas été assez bon pour l'empêcher d'agir à nouveau. Cela suscite un sentiment de culpabilité et de frustration, ce qui est assez difficile à vivre.
Et dans les belles affaires, c'est au contraire celles qu'on arrive à élucider. Plus vous avez un bon taux d'élucidation, plus vous vous sentez satisfaite. Peu importe la nature de l'affaire, l'essentiel est que le dossier soit bien réalisé et qu'on ait réussi à prouver les faits.
M.M. : Oui, surtout mon père. Je l'ai souvent vu, avec ses collègues, vivre pleinement sa profession. J'ai vu des gens heureux de faire ce métier. Cet enthousiasme formidable m'a toujours attirée.
Je ne me le suis pas vraiment dit sur le coup, mais je pense que c'était dans un coin de ma tête, que ça m'a toujours travaillée. Et je ne regrette pas mon choix. Si c'était à refaire, je ne changerais rien.
M.M. : Il y a une révolte qui peut se comprendre : tout ne se passe pas bien dans ce pays, loin s'en faut. Cela me paraît relativement normal.
Quant 'aux violences policières', je peux en tant qu'observatrice avisée affirmer une chose : quand les fonctionnaires de police sont sur une manifestation, ils ne sont pas là en se disant 'chic on va se faire des manifestants'. Moins ils vont intervenir, plus ils sont contents.
C'est le comportement de certains manifestants [pas tous bien sûr] qui attisent et cherchent la bagarre. Si les policiers ne font rien, on va leur reprocher. Mais s'ils ripostent, on les condamne.
Il ne faut pas oublier qu'ils prennent un risque en exerçant ce métier. Ils sont là pour maintenir l'ordre, pas pour se battre. Ce ne sont pas des violences policières mais une violence de manifestants qui génèrent une réaction de la part des policiers.
On est sans doute l'institution publique la plus contrôlée qui soit. Bien plus que la justice. Quand il y a des violences policières, on en parle, et l'inspection générale arrive direct.
M.M. : Oui, à deux ou trois reprises, j'ai carrément appelé l'Inspection générale de la police nationale pour qu'ils enquêtent sur certain·es de mes employé·es car je considérais que quelque chose n'était pas net. Notre métier implique que tout soit au carré : il faut que les gens soient irréprochables et respectent les procédures.
Dans notre milieu, les condamnations sont marginales, mais sont très médiatisées. Souvent, l'administration sanctionne avant la justice. Dans le doute, on écarte les officiers incriminés. Nous avons des commissions administratives extrêmement sévères.
M.M. : Il y avait une réelle défiance, surtout du côté de la haute hiérarchie. Ce qui est assez drôle car souvent, on s'attend à ce que ça coince avec les collaborateurs qui n'ont pas l'habitude qu'une femme les commande. Mais, même si certains étaient dans l'expectative, les plus suspicieux étaient dans la hiérarchie. Ils se disaient : 'Ça y est, les bonnes femmes sont là, qu'est-ce que ça va donner".
Ils nous scrutaient. Ils attendaient la moindre faute de notre part, pour bien nous sanctionner derrière. Certaines de mes consoeurs ont d'ailleurs eu des ennuis, dont elles ne se sont jamais remises. Elles ont été épinglées dans leur carrière. Mais dans mon cas, et d'autres bien sûr, les choses se sont bien passées.
M.M. : Quand je suis arrivée à la direction centrale de la PJ, j'avais déjà fait mes armes. Et tout le monde a compris rapidement que j'étais une passionnée de police judiciaire, passion que je partageais avec eux. La légitimité était là, je pense.
Les choses ont évolué naturellement. On vous place à la tête d'un service parce qu'on considère que vous avez fait vos preuves, on vous fait confiance.
Avec les générations qui ont suivies, les hiérarchies ont fait preuve de plus d'ouverture et d'intelligence. Ils ont compris que les femmes étaient capables de travailler aussi bien que les hommes.
Aujourd'hui, la question ne se pose plus. J'ai présidé le jury de concours de l'école des commissaires il y a quelques années, et il y avait autant de femmes que d'hommes.
Profession: Flic, présentée par Michel Denisot. Mercredi 16 janvier à 23h sur Canal +
Autobiographies de Martine Monteil : 100 ans de police judiciaire (2007) et Flic, tout simplement (2009) aux Éditions Michalon