« Écouter de la musique » signifie-t-il encore quelque chose ? On télécharge, on « shazame », on regarde, on partage, on recommande, on tweete, on critique… Nos usages, transformés par la gratuité et la disponibilité de la musique, ont même fait émerger une nouvelle génération d’artistes biberonnés à la culture des réseaux sociaux et contraints de se plier aux attentes de leur public 2.0. L’Observatoire Orange-Terrafemina, dans sa 18e vague consacrée à la musique en ligne, révèle à quel point les internautes se sont adaptés à cette nouvelle donne : 78% des personnes interrogées*, âgées de 15 à 45 ans, déclarent ainsi écouter de la musique sur Internet « parfois » ou « souvent », 70% regardent des clips en ligne, mais à peine un quart d’entre elles achète cette musique…
La solution la plus simple emporte toujours la faveur de l’internaute lambda. Quand celui-ci tape dans un moteur de recherche (au hasard, Google) le titre du tube de l’été, Blurred Lines, même avec quelques fautes de frappe, il trouve en première réponse un lien YouTube (suivi du lien Dailymotion), renvoyant vers la page du clip de Robin Thicke. Les sites de vidéo s’imposent ainsi comme les premiers supports d’écoute plébiscités par les internautes avec 89% de citations, devant les sites de streaming comme Deezer ou Spotify et les sites de téléchargement légaux comme iTunes Store (32%). « Sur YouTube et Dailymotion, la gratuité est garantie à 100%, il n’existe aucune solution payante, et c’est ce qui rassure les internautes », analyse Charles Decant, rédacteur en chef de PureCharts.com.
Pour autant, il faut noter la progression significative de l’écoute via les plateformes de streaming du type Deezer et Spotify (67%), encore majoritairement dans leur version gratuite : un internaute sur cinq est prêt à souscrire aux offres avec abonnement payant. Véritables cavernes d’Ali-Baba pour les mélomanes, elles sont particulièrement appréciées des mobinautes qui ont la possibilité de retrouver leur musique partout, tout le temps et sur tous les supports (ou ATAWAD, acronyme de anytime, anywhere, any device), mais aussi d’avoir accès à des nouveautés et à des playlists partagées. Directement connectés à Facebook et Twitter, les sites de streaming et les plateformes de vidéo autorisent en effet tous les échanges : 41% des répondants déclarent partager leurs goûts musicaux sur Facebook, et 41% écoutent de la musique sur des sites communautaires. « Le pouvoir de recommandation est un levier très fort pour la musique, on est beaucoup plus influencé quand un conseil émane d’un proche », souligne Marie-Anne Robert, directrice France de Believe Digital Studios. Anthony Belliot, spécialiste du digital marketing pour la maison Mercury (groupe Universal), insiste pour sa part sur l’attrait pour le partage de playlists : des formats souples et ouverts qui favorisent la découverte de jeunes talents.
L’histoire de la chanteuse néo-zélandaise Lorde rend compte de l’efficacité des mécanismes d’influence et de prescription sur Internet. Ni candidate de la « Nouvelle Star », ni coachée par le télé-crochet « The Voice », Lorde s’est retrouvée propulsée au devant de la scène par Sean Parker (@sparker), le très célèbre fondateur de Napster, l’un des premiers logiciels de partage de musique, et l’un des premiers investisseurs de Facebook. Il a suffi que ce mélomane influent recommande la jeune chanteuse sur l’une de ses playslists Spotify avant l’été, pour que celle-ci se retrouve dans le « Grand Journal » comme une des nouveautés les plus courues de la rentrée musicale. La Toile est bien devenue un véritable tremplin et une caisse résonance pour tous les artistes : 61% des internautes interrogés déclarent avoir découvert de nouveaux artistes et de nouveaux groupes grâce au Web. Á eux de savoir en tirer parti.
Impossible aujourd’hui pour un artiste de se passer du Web, pense Anthony Belliot, qui souligne la complémentarité des différents médias en période de promotion : radio, télévision, Internet et réseaux sociaux doivent se mettre en harmonie pour rendre visible l’artiste et son projet. « Sur les télé-crochets et les radios, le second écran joue à plein régime. L’internaute devant sa télévision doit trouver la bonne information lorsqu’il effectue une recherche via son smartphone ou son PC portable. » Les pages fans sur Facebook et les comptes Twitter servent eux aussi à relayer les actualités des chanteurs et des groupes, mais pas que. Certains artistes organisent des chats en direct avec leurs fans, des dîners en tête à tête par webcam ou des concerts en livestream. Les réseaux sociaux ont « cassé la barrière entre l’artiste et son public », estime Charles Decant. « Ils offrent une occasion de faire passer des messages sans l’intermédiaire de la presse, et pour les fans cela donne une impression de rapprochement » Plus besoin en effet d’attendre qu’un album sorte ou qu’un concert soit programmé pour s’adresser au public, « les réseaux sociaux permettent d’occuper le terrain entre deux projets et de ne pas se faire oublier », note Marie-Anne Robert. D’où l’apparition de nouveaux standards de promotion et un remaniement général du rapport des artistes à leur public.
Les réseaux sociaux offrent aux artistes et aux distributeurs un outil formidable de viralisation, mais également un amplificateur de buzz, bons ou mauvais… Les popstars comme Justin Bieber, Miley Cyrus, Lady Gaga ou Katy Perry l’ont bien compris, au risque peut-être de lasser. Pour les maisons de disque et les labels, il s’agit de jouer les community manager sans empiéter sur la personnalité et la liberté de ton de l’artiste. Si Justine Bieber veut montrer ses fesses, inutile de l’en empêcher, il fait partie de « ces stars nées avec les réseaux sociaux qui ne veulent pas qu’on leur dise quoi faire », explique C. Decant. Mais pour les vendeurs de CD des années 90 et les artistes plus confidentiels, on peut se demander comment se passe la transition numérique. S’il est vrai qu’ils sont moins attendus sur Internet par leur public, ils peuvent y séduire une cible plus jeune, et reconquérir les parts de marché perdues dans la chute des ventes de disques… Pour Marie-Anne Robert, les réseaux sociaux et les plateformes de vidéo représentent une opportunité pour les artistes « d’être vraiment créatif à moindre coût ». Se fendre d’une vidéo de teasing postée sur YouTube, ou de quelques posts sur Facebook dans les coulisses d’un concert ne constitue pas un vain effort, promet cette experte de l’accompagnement des artistes sur la Toile, qui croit ferme à l’augmentation des revenus digitaux de ceux-ci. Les derniers chiffres du SNEP (syndicat national de l’édition phonographique) semblent lui donner raison : les ventes de musique numérique ont progressé de 5,5% au premier semestre 2013. Elles représentent 30% du marché global, mais surtout, le streaming financé par la publicité a fait un bond de 7% et le streaming par abonnement progresse de 13%.
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*D’après une étude réalisée pour l’Observatoire Orange-Terrafemina par l’institut Polling Vox et l’agence Treize articles. Étude quantitative réalisée auprès d’un échantillon de 1038 personnes représentatif de l’ensemble de la population française âgée de 15 à 45 ans, interrogées en ligne du 19 au 23 août 2013. Étude qualitative Social Panel réalisée auprès d’une vingtaine de femmes très connectées issues de la communauté Terrafemina, âgées de 18 à 60 ans.
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