Ridley Scott qui revient à ses premières amours, le film historique, genre qu'il a volontiers exploré et redéfinit avec Les duellistes, Gladiator ou encore Kingdom of Heaven. L'annonce est belle. Surtout quand l'on sait que le projet en question, Kitbag, sera consacré à l'empereur Napoléon Bonaparte, avec ni plus ni moins que Joaquin Phoenix dans le rôle principal, excusez du peu. On imagine bien le comédien oscarisé se vêtir des oripeaux impériaux.
Oui mais voilà, l'annonce de Kitbag fait grincer des dents. La raison ? L'étonnant choix de casting de l'actrice britannique Jodie Comer pour interpréter son épouse Joséphine de Beauharnais. Bien connue des fans de la série Killing Eve, la comédienne de 27 ans devrait à n'en pas douter délivrer une jolie performance. Seulement voilà, petit hic à l'horizon : près de 20 ans séparent la jeune actrice de son partenaire à l'écran, âgé quant à lui de 46 ans.
Deux décennies donc, alors que la fameuse Joséphine était plus âgée que Napoléon : de six ans son aînée. Ou quand Hollywood retricote à sa manière l'Histoire. Un contresens historique compliqué pour qui désire raconter l'ascension de l'empereur. Et du plomb dans l'aile pour ce biopic dont le tournage ne devrait débuter que début 2022.
En attendant, ce hic fait beaucoup réagir. Sur la Toile notamment. "C'est incroyable à quel point c'est systématique, ils ne peuvent pas s'en empêcher. C'est pas comme si il n'existait pas d'excellentes actrices de 45 ans. Et pourtant j'aime beaucoup Jodie Comer", "Ca me rend folle parce que faire fi de la différence d'âge [inverse] c'est complètement 'rater' la dynamique de leur histoire d'amour : Joséphine dominait complètement Napoléon au début", "C'est certain qu'il y a un problème d'attribution de rôle aux actrices de plus de 40 ans", commentent avec humeur les cinéphiles sur Twitter.
On le devine, le problème est double. Travestir l'Histoire, déjà, en inversant tout à fait cette différence d'âge. Mais aussi faire perdurer ce malus hollywoodien - mais pas seulement : l'invisibilisation des femmes et actrices de plus de 40 et 50 ans au sein de l'industrie. "Pourquoi enlever la dynamique d'un couple où la femme est l'ainée ? On lui a donné un gars qui a 20 ans de plus qu'elle, misère", déplore à l'unisson une internaute.
Salutaire piqûre de rappel : dans l'ouvrage historique Les secrets de Napoléon (Editions La Librairie Vuibert, 2014), le spécialiste Pierre Branda revient sur cette union entre Joséphine de Beauharnais, veuve et mère de deux grands enfants au moment de sa liaison, et Bonaparte. "Pour accélérer la procédure et sauver les apparences, les deux époux n'hésitèrent pas à recourir à des faux en écriture", écrit-il. Lors de leur mariage, l'épouse en vient même à mentir sur son âge, se rajeunissant de quatre ans à la signature du contrat (elle prétend être née en 1767), "sans doute par pure coquetterie", selon l'auteur.
Alors pourquoi deux décennies séparent-elles finalement partenaires masculin et féminin à l'écran ? La logique est systémique. Indénombrables sont les films à arborer ce large écart, des comédies françaises aux romances américaines. "Cet écart nous renvoie volontiers au mythe de la séduction et de la 'courtoisie' à la française : le fantasme inépuisable de la jeune fille, inexpérimentée, pure, que l'homme mature a envie de déflorer", décrypte à ce titre la critique cinéma Pauline Mallet, instigatrice du podcast Sorociné.
Hollywoodienne ou typiquement frenchie, cette tradition semble aussi millénaire que Napoléon.