Culture
5 films passionnants qui osent briser le tabou du poil féminin
Publié le 6 février 2023 à 16:00
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Invisible et rasé, il demeure un tabou. Voyant, il devient forcément militant. Ainsi s'illustre l'enjeu épineux du poil féminin dans notre société. Et c'est pareil à l'écran. C'est ce que démontre Jade Debeugny dans son essai passionnant, "Le poil féminin à l'écran".
6 films passionnants qui osent briser le tabou du poil féminin 6 films passionnants qui osent briser le tabou du poil féminin
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Où sont les poils des femmes ? Des artistes populaires ont beau essayer de lutter contre la norme de l'épilation - comme Angèle lorsqu'elle s'affiche toutes aisselles dehors dans le clip de Balance ton quoi - le tabou du poil au féminin a encore bien du mal à être renversé. Dans la société bien sûr, mais aussi à l'écran. Au ciné, le poil devient aussi éloquent lorsqu'il surgit sur la peau d'un personnage, que lorsqu'il s'avère cruellement absent - ou rasé.

C'est ce que nous démontre avec minutie Jade Debeugny dans son passionnant essai, Le poil féminin à l'écran. Prolongement des réflexions féministes les plus stimulantes (comme celles d'Iris Brey et de son Regard féminin), ce texte limpide réunit des univers aux résonnances multiples - ceux des réalisatrices Céline Sciamma et Julia Ducournau ou encore Virginie Despentes - pour décrypter le sens du poil : la manière dont il est dévoilé, la raison de sa présence, ce qu'il représente pour les personnages, son aspect militant ou sa banalisation...

Entre tous ces chapitres, une réflexion plus globale sur l'histoire de l'art et de la mise en scène du corps féminin. Mais aussi, l'état des lieux d'une quête qui paraît sans cesse renouvelée : celle de la normalisation souhaitée des poils des femmes. Pour saisir l'étendue de ce sujet loin d'être anodin, il faut encore se plonger dans quelques films. Jade Debeugny a justement choisi d'en commenter cinq pour nous.

"Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma
"Portrait de la jeune fille en feu", un film "female gaze" très marquant.

"Dans ce film, Céline Sciamma tisse un lien évident entre la chevelure féminine et la pilosité pubienne, mais à travers une mise en scène libérée de l'espèce de tabou un peu prude qu'on trouvait dans la peinture au dix-huitième siècle, à l'époque où se déroule cette romance entre femmes.

L'une des séquences les plus marquantes reste celle où le visage de Marianne (Noémie Merlant) se reflète dans un miroir posé entre les jambes d'Héloïse (Adèle Haenel), allongée et dénudée. Le corps est nu mais c'est aussi le poil qui est dévoilé. On peut se dire que ça a trait au contexte historique, quand raser les poils ne faisait pas partie des pratiques usuelles. Mais Sciamma fait plus que juste respecter un code. Elle s'en sert pour illustrer la relation entre les personnages. La sensualité est montrée sans tabou. Mais sans pour autant que la sexualisation soit systématique...

Cet équilibre nous renvoie à la question du "female gaze" telle que l'explore Iris Brey dans son livre Le Regard Féminin, une question qui à mon sens entretient tout un rapport avec celle du poil à l'écran. Dans mon livre je parle d'ailleurs d'un autre film où Adèle Haenel entretient un rapport particulier avec son corps : L'apollonide.

Dans cette oeuvre de Bertrand Bonello elle incarne une prostituée désignée par sa pilosité : Léa, surnommée "Poils longs". Sa toison pubienne nous est aussi montrée comme un outil de pouvoir. Le réalisateur filme aussi bien l'expérience professionnelle de ces femmes, dans leur maison close, que l'expérience de leurs corps."

"Baise-moi" de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi
"Baise moi", une claque signée Despentes.

"Cette adaptation du roman éponyme de Virginie Despentes propose notamment une scène où le personnage de Manu (Raffaëla Anderson) se rase le sexe, plans où l'on constate également que cette dernière a eu ses règles. C'est une séquence frontale. Et en même temps, la pilosité est montrée dans tout son prosaïsme.

C'est à dire que le film met en scène une épopée sexuelle sanguinolente, mais que dans cette séquence-là en particulier, on se retrouve dans les coulisses du spectacle sexuel, c'est anti spectaculaire au possible. Les deux réalisatrices dévoilent juste le poil comme faisant partie du quotidien des femmes. Despentes répond à la question : Qu'est-ce qu'elles font avec leurs poils, ces héroïnes ? Et qu'est-ce qu'elles font avec leurs règles ?

En cela, c'est vraiment le contrepoint de La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche, qui fait davantage partie de ces films montrant une sexualité féminine fantasmée, forcément magnifique, où les protagonistes n'ont jamais de poils, comme si elles portaient des costumes. Kechiche ne montre pas les coulisses mais nous tend un beau tableau, celui d'une sexualité féminine parfaite telle qu'il l'imagine, d'où le poil est singulièrement absent.

Il est aussi intéressant de se dire que Baise-moi parle de la pornographie, un champ qui a justement fétichisé le poil sur Internet, l'a sexualisé, en a fait un tag ("hairy"), un véritable fétichisme sexuel."

"Le grand appartement" de Pascal Thomas
"Le grand appartement", un film avec une Casta décomplexée.

"Le grand appartement met en scène le personnage de Francesca (Laetitia Casta), assumant complètement sa pilosité. Dans un dialogue elle interroge d'ailleurs ouvertement "la phobie du poil" et se refuse à l'épilation, qu'elle compare à une "mutilation". Dans ce film la question du poil féminin est traitée sous l'angle de la revendication.

Cette manière de mettre en scène ce tabou qu'est le poil au féminin pose un discours très clair : il faut secouer les choses pour espérer les voir évoluer, c'est parfois nécessaire, quitte à déranger et à choquer autour de soi. Je trouve ca réjouissant d'observer cette prise de position de la part d'une actrice qui a travaillé dans le mannequinat, avec tout ce que cela implique de normes et d'injonctions."

"Grave" de Julia Ducournau
"Grave" et le tabou de l'épilation (qui fait mal)

"Quand on parle de Grave on se souvient notamment d'une scène hyper marquante : celle où Alexia (Ella Rumpf) épile le pubis de Justine (Garance Marillier), la protagoniste. Là, la réalisatrice Julia Ducournau associe cette pratique à quelque chose d'horrifique, d'extrêmement douloureux. Et c'est cohérent, dans ce portrait d'une jeune fille qui se sent étrangère à son propre corps. La violence que l'on ressent n'est pas gratuite : elle est avant tout celle des injonctions subies par les femmes.

Ces injonctions, ce sont l'épilation, le rapport aux normes de genre, aux institutions (l'héroïne entre dans une école de médecine qui pratique le bizutage)... Tout ce qui va venir violenter le corps de Justine. Notamment lorsque celle-ci, végétarienne, se retrouve recouverte de sang. C'est très intelligent également d'associer l'horreur et l'épilation à la période que décrit le film, l'adolescence, source de gêne et de malaise.

C'est aussi une scène qui s'adresse au regard des hommes, à ce qu'ils ont, ou n'ont pas du tout, l'habitude de voir sur un écran lorsqu'il est question d'intimité féminine. Histoire de leur dire : non non, les sexes féminins ne sont pas épilés magiquement. Bien sûr cela peut se faire sans douleur, mais l'épilation implique un acte. Quand une femme est épilée, c'est que des choses se sont passées, encore une fois, dans les coulisses..."

"Baden Baden" de Rachel Lang
"Baden Baden", film marqué par la prise de position de son actrice, Salomé Richard.

"Baden Baden est un cas singulier : pour ce film, c'est l'actrice principale, Salomé Richard, qui a fait par à la cinéaste Rachel Lang de l'absurdité pour son personnage de s'épiler. Car pourquoi s'épilerait-elle au fond ? Elle n'a aucune raison explicite de le faire. Elle-même en tant qu'actrice n'avait pas envie de se raser les poils.

Le poil est présent par souci de cohérence et de crédibilité. Mais également par un choix d'actrice, celui de ne pas se plier à un automatisme. Cela donne donc une oeuvre unique par rapport à cette question de la pilosité. Car on aperçoit les poils, ils sont visibles, mais ne font jamais l'objet d'une remarque, d'un débat, ce n'est pas le sujet, ils sont simplement présents comme ils peuvent l'être dans la vie ordinaire chez n'importe quelle meuf.

On sent une volonté de normaliser ce qui d'ordinaire est considéré comme hors-normes. Cela permet de s'interroger : est-ce quelque chose de catégorisé comme transgressif, le poil, peut un jour retomber dans la norme ? Et est-ce que la revendication militante du poil accélère ou ralentit ce processus ? Comment permettre cette banalisation ? Personnellement, je pense que toutes les démarches sont bonnes à prendre, de la mise en avant féministe du poil à sa normalisation, sans discours dédié."

"Le poil féminin à l'écran", un essai captivant, féministe et cinéphile. © Editions Kiwi

Le poil féminin à l'écran, par Jade Debeugny, Editions Kiwi, 150 p.

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