Culture
12 films d'horreur féministes à mater pour Halloween
Publié le 28 octobre 2020 à 18:11
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Autrices et YouTubeuses, quatre expertes de l'horreur nous partagent leurs petites perles du genre. Des films d'épouvante qui, loin des stéréotypes sexistes, arborent une force féministe aussi révolutionnaire que sanguinolente. Parfait pour Halloween !
"Grave", néo classique du cinéma d'horreur féministe. "Grave", néo classique du cinéma d'horreur féministe.© Carré Films
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Qui a dit que le cinéma d'horreur appartenait aux hommes ? Par-delà la quantité d'héroïnes qu'a pu nous offrir l'épouvante, de Laurie Strode (Halloween) à Sarah Carter (The Descent) et de Nancy (Les griffes de la nuit) à la toute récente Cecilia (Invisible Man), les cinéastes femmes qui ont investi le genre ne manquent pas non plus : on pense à Mary Lambert (Simetierre) et Karyn Kusama (Jennifer's Body, The Invitation), Kathryn Bigelow (Aux frontières de l'aube) ou encore Julia Ducourneau - cocorico - la réalisatrice de Grave. La liste est longue.

Et sur la Toile, tout aussi nombreuses sont les voix féminines à décrypter le cinéma d'horreur, entre articles et vidéos, n'en déplaisent aux cinéphiles machos. Sur YouTube, notamment, où certaines chaînes redoublent de prescriptions et d'analyses peaufinées. Or, en cette fin octobre, quoi de mieux pour célébrer Halloween que de suivre leurs recommandations à la lettre ? L'occasion de l'affirmer haut et fort : oui oui, les films d'horreur féministes, ça existe.

La preuve à travers ces quatre témoignages de vidéastes et d'autrices, détaillant à Terrafemina leurs perles horrifiques aussi effrayantes qu'empouvoirantes. On écoute, et on prend des notes !

Le Top 3 de Demoiselles d'horreur
© YouTube

Sous ce jeu de mots facétieux, une exploration ciselée des plus éloquents personnages féminins du genre. Face-caméra, Judith s'attarde avec minutie sur la complexité d'icônes comme Sidney Prescott (Scream) et Clarice Starling (Le Silence des Agneaux), dévoilant les ambiguïtés de la Rebecca hitchcockienne (celle de Daphné du Maurier) comme la richesse féministe du cinéma d'horreur contemporain. On adore cette chaîne YouTube.

Et son instigatrice, quant à elle, nous avoue une adoration pour les films de maisons hantées. Son oeuvre horrifique favorite ? Le fascinant Dracula de Francis Ford Coppola - avec Winona Ryder, autre "demoiselle d'horreur" s'il en est. Très contemporain, son Top est tout aussi envoûtant.

"Mister Babadook" de Jennifer Kent (2014)
"Mister Babadook" © Wild Bunch

"Au cinéma, combien de fois a-t-on eu droit à des personnages de 'femmes fortes' qui l'étaient parce qu'elles étaient mères, ou qu'elles se sentaient investies d'un sentiment maternel pour une figure enfantine ? Certes, la maternité occupe une place importante dans la vie des femmes qui sont mères ou qui souhaitent le devenir. Mais, dans le regard masculin des réalisateurs qui ont façonné les personnages type d'aujourd'hui, il s'est bien trop souvent agi d'une réduction à ce rôle, comme s'il n'y avait que l'amour maternel qui puisse élever une femme au statut de personnage puissant et vertueux.

Heureusement, Mister Babadook vient ruer dans les brancards de tous ces codes. Au-delà de sa grande efficacité horrifique et de sa beauté visuelle, le film ose faire de son héroïne une femme qui ne supporte pas son enfant. On est d'abord tenté de penser que c'est parce que cet enfant est (très) pénible et que ça lui passera. Mais Amelia a en fait des raisons profondes d'haïr sa maternité. Et finira par comprendre cette haine pour mieux la combattre.

Il fallait, je pense, le regard d'une réalisatrice et la licence horrifique du cinéma de genre pour briser les tabous de la maternité, et montrer que derrière le "monstre de l'histoire" peut se cacher une femme, qui n'est pas forte parce qu'elle est une bonne mère, mais qui à l'inverse pourra être une bonne mère parce qu'elle est une (vraie) femme forte."

"A Girl Walks Home Alone at Night" d'Ana Lily Amirpour (2014)
"A Girl Walks Home Alone at Night" © Kino Lorber

"Un film qui incarne le rêve (pas si) secret de beaucoup d'entre nous : une super-héroïne vampire qui sort la nuit pour se nourrir du sang des hommes qui maltraitent les femmes. Le rôle tenu par Sheila Vand pourrait n'être qu'un vampire moral qui décide de ne s'en prendre qu'aux méchants, mais c'est son parti pris féministe et le combat qu'elle mène qui lui confère une étoffe de super-héroïne. Une super-héroïne ténébreuse avec qui on ne plaisante pas.

La scène où elle décide de flanquer la frousse à un gamin dans une ruelle pour lui passer l'envie de s'en prendre aux femmes exprime, sans concession, notre désir frustré de voir les petits garçons être mieux éduqués. Perchée sur son skate (parce que c'est une super-héroïne moderne), 'a girl' arbore son voile comme une cape de Dracula, renversant le schéma de la femme qui a peur de sortir dans la rue la nuit en devenant celle qu'il faut craindre.

'A girl' n'est jamais nommée, parce qu'elle nous représente toutes dans cette situation si particulière : le fait de mettre le nez dehors le soir sans pouvoir être tranquille. Et si le cinéma d'horreur permet une représentation plus variée et iconoclaste des femmes, cela tombe sous le sens d'avoir un personnage dont l'héroïsme se superpose au vampirisme. Parce que c'est bien par le cinéma d'horreur qu'arrive notre libération à l'écran.

A Girl Walks Home Alone at Night le montre sans détour dans un film dont la mise en scène, l'interprétation et la photographie sont pourtant d'une délicatesse infinie."

"Relic" de Natalie Erika James (2020)
"Relic" © IFC Films

"Relic est un magnifique exemple de film qui est féministe par le simple fait d'exister. Quel bonheur pour les spectatrices (et pour pas mal de spectateurs aussi, j'en suis sûre) que d'avoir enfin un film centré sur des personnages qui se trouvent être féminins, mais qui ne seront jamais réduits à ce que la société voit en la féminité. En fait, elles ne sont pas genrées par le scénario, elles se trouvent simplement être des femmes.

Ici, on ne s'intéresse à Edna, Kay et Sam que pour ce qu'elles vivent dans ce drame, et non pas parce qu'on vient nous coller des sous-intrigues accessoires sur leur vie amoureuse ou sexuelle. A aucun moment, on ne sait si elles entretiennent une ou plusieurs relations, ni de quel type ou quelle orientation. On s'en fiche, et le film nous donne des raisons plus profondes de nous attacher à elles. C'est triste à dire, mais ça, au cinéma, c'est féministe.

Le seul amour qui intéresse ces femmes au moment où on les découvre, c'est celui qu'elles se portent entre elles au sein de leurs liens intergénérationnels un peu effilochés. Les ravages de la vieillesse et l'horreur qui en découle, rien n'est plus universel. Alors merci à Relic de prouver que l'universel s'incarne aussi dans les femmes. Et c'est encore mieux quand c'est fait avec autant d'émotion et une mise en scène aussi riche."

Le Top 3 de Laura fait genre
© YouTube

Antebellum, Relic, Nightmare Island, Simetierre... Aucune sortie vidéo ou cinéma n'échappe à Laura, instigatrice de la chaîne YouTube Laura fait genre. D'une durée de vingt minutes en moyenne, ses reviews mêlent esprit critique et véritable amour du cinéma d'horreur. On saute sur chaque nouveau vlog peaufiné en sachant qu'il sera forcément riche en prescriptions éclairées.

Par-delà ses odes au cinéma d'Ari Aster (Hérédité, Midsommar), Laura confesse volontiers sa passion pour le sous-genre horrifique du "home invasion" (tendance You're Next et Pas un bruit) mais aussi les films de Rob Zombie, la claque subversive The Devil's Reject en amont. On l'imagine, son Top est tout aussi éclectique.

"Les sorcières d'Eastwick" de George Miller (1987)
"Les sorcières d'Eastwick" © Warner Bros

"Un film profondément 80's qui dresse le portrait de trois femmes indépendantes (et presque marginales) au sein de la petite ville puritaine d'Eastwick : Alex (Cher), veuve, élève seule ses enfants et vit de ses sculptures, Sukie (Michelle Pfeiffer) mère célibataire avec six enfants à charge, mène de front sa carrière de journaliste et Jane (Susan Sarandon) fraîchement divorcée, est professeur de musique et violoncelliste.

Aucune ne correspond à l'image "standard" de la femme parfaite. Les trois amies, lors d'une de leurs soirées hebdomadaires, vont souhaiter l'arrivée d'un homme idéal (mais pas trop) et, comme par magie, Daryl (Jack Nicholson) va faire son apparition en ville. Il va tour à tour s'intéresser à chacune des trois femmes et les inviter à assumer pleinement qui elles sont : leur féminité, leur sexualité. Cette libération du féminin va leur conférer des pouvoirs magiques de plus en plus puissants.

Le film célèbre ces trois femmes fortes, qui vont s'unir pour combattre ensemble les carcans imposés par les habitants de la ville mais surtout par Daryl, dont les intentions ne sont pas si bienveillantes qu'il veut leur faire croire. Féminisme et sororité sont les maîtres mots de ce film fantastique."

"Teeth" de Mitchell Lichtenstein (2007)
"Teeth" © Roadside Attractions

"Voilà un film bien particulier, mais qui mérite absolument le détour ! Teeth c'est l'histoire de Dawn (Jess Weixler) jeune fille chrétienne de 17 ans qui est convaincue que la chasteté et l'abstinence jusqu'au mariage sont primordiales. Lors d'un rendez-vous amoureux qui tourne mal, Dawn est agressée sexuellement par un jeune homme qu'elle pensait bien sous tout rapport, elle va découvrir qu'elle est dotée d'un vagin denté.

Teeth est un film dans lequel une jeune femme va voir son corps transformé afin de mieux affronter un environnement masculin agressif et malveillant, que l'on parle d'un simple camarade de classe ou un gynécologue invasif. Est-ce que son corps a muté à cause de l'énorme centrale nucléaire près de chez elle... ou est-ce qu'il s'agit d'une métamorphose évolutive naturelle de la femme qui doit se protéger des prédateurs ?

Mitchell Lichtenstein égratigne la morale puritaine américaine en proposant un film qui mêle habilement teen movie, body horror et film de monstre, tout en utilisant le mythe du vagina dentata, incarnation même de la peur masculine de la castration."

"Grave" de Julia Ducourneau (2016)
"Grave" © Petit Film

"Dans son premier long métrage, la réalisatrice française Julia Ducournau met en scène une jeune élève surdouée, Justine (Garance Marillier), qui intègre une école vétérinaire dans laquelle toute sa famille a étudié. Si elle est végétarienne comme tous les membres de sa famille, Justine va, après son bizutage, se découvrir un goût particulier pour la chair humaine. Grave est un film sur le cannibalisme, thématique qui permet d'aborder un sujet bien souvent traité dans les films d'horreur mais rarement de cette façon : l'éveil de la féminité, du corps, de la sexualité d'une jeune fille.

Justine suit la tradition familiale sans poser de questions : tous sont vétérinaires, tous sont végétariens. Mais elle va devoir aller au delà de ce que sa famille impose comme "normalité", de ce que la société impose aux individus, pour comprendre qui elle est vraiment et prendre par elle-même la décision de qui elle veut être.

C'est aussi un personnage d'adolescente qui, pour une fois, va faire la découverte de son désir sexuel non pas par un prisme romantique ou amoureux, mais de manière plus instinctive et bestiale."

Le Top 3 de Videodrome
© YouTube

Videodrome, ce n'est pas simplement un intitulé claquant en hommage à David Cronenberg. C'est aussi une chaîne YouTube qui décrypte les plus foisonnantes thématiques, des mères dans le cinéma d'horreur (un vaste sujet depuis Psychose) à la représentation des crocodiles (trop souvent assassins) dans les films... Le tout sous l'impulsion d'une cinéphile érudite, Sam, aussi intarissable sur le cinéma gore que sur le giallo (Suspiria).

Quand on l'interroge, cette passionnée de cinéma et de sciences sociales avoue une affection certaine pour les films d'horreur mexicains. Pour Terrafemina, elle recommande de belles curiosités frissonnantes et sans concessions qui investissent trois genres emblématiques de l'horreur : le body horror ("des corps mutilés et altérés"), le slasher movie et le rape and revenge (catégorie de films où les femmes répondent aux violences qui leur sont faites - un viol, des humiliations physiques - par une agressivité sanguinaire).

"Ces trois films présentent des femmes dont l'existence va être bouleversé par un évènement traumatique, et qui, d'abord victimes (d'un viol, d'un deuil, d'une blessure) vont se servir de cet évènement pour se venger ou assouvir leur soif de violence", introduit-elle. Elle nous raconte tout en détails.

"Dans ma peau" de Marina de Van (2002)
"Dans ma peau" © Studio Canal

"Dans ma peau raconte l'histoire d'Esther, une jeune femme qui mène une vie faite de réussites sociales. Un soir, elle va s'entailler la jambe... puis développer une fascination morbide pour sa blessure. Peu à peu, elle va instaurer une relation charnelle avec son propre corps, qu'elle mutile par plaisir.

Cette autodestruction va l'amener à s'isoler des autres et à se cacher pour lacérer sa peau. Plus les hommes et les autorités tentent de la contrôler et plus elle se laisse aller à ses pulsions. Et cet amour de soi, même s'il passe par la mutilation et l'autophagie (le fait de manger sa propre chair), lui permet finalement de se réapproprier son corps."

"American Mary" de Jen et Sylvia Soska (2012)
"American Mary" © Universal Pictures

"Dans American Mary, la protagoniste pratique la chirurgie esthétique clandestine afin de réaliser des modifications corporelles. Elle fait ce métier car elle a besoin d'argent, et croise de nombreuses femmes qui souhaitent des transformations physiques extrêmes. Violée par des chirurgiens de renom, elle nous dévoilera peu à peu sa vengeance.

Le film n'est peut-être pas inoubliable, mais il pose un vrai regard féminin sur des thèmes que les hommes s'approprient très souvent dans l'horreur."

"Prevenge" d'Alice Lowe (2016)
"Prevenge" © Kaleidoscope Entertainment

"C'est l'histoire de Ruth, une veuve qui va tuer toutes les personnes qu'elle croise ou qui sont en lien avec la mort de son mari. Prevenge aborde les sujets de la maternité et de la grossesse. L'actrice principale, qui est également la réalisatrice, était d'ailleurs réellement enceinte lors du tournage.

Le personnage de Ruth est persuadée que c'est son foetus qui lui demande d'assouvir cette vengeance. Sa grossesse, la relation qu'elle entretient avec son corps et son bébé sont au centre de ce slasher-movie qui se moque du regard que portent les gens sur les femmes enceintes."

Le Top 3 de Célia Sauvage
"Les teen movies", lecture nécessaire (co) signée Célia Sauvage. © Vrin

Chercheuse et autrice, Célia Sauvage est une spécialiste du teen movie, genre cinématographique auquel elle a consacré un ouvrage (Les teen movies, co-écrit avec Adrienne Boutang). Un imaginaire adolescent qui bien souvent a côtoyé le cinéma d'horreur, notamment dans les années 90 (Scream, Urban Legend, Souviens-toi l'été dernier, The Faculty).

Sur le site Le genre et l'écran, cette docteure en études cinématographiques et audiovisuelles a dédié de nombreuses réflexions aux pépites du genre : Revenge de Coralie Fargeat, la saga Halloween initiée par John Carpenter, Midsommar d'Ari Aster... Son cinéaste sacré quand il s'agit de parler épouvante ? M. Night Shyamalan, l'auteur du cultissime Sixième Sens. Son genre favori ? Le body horror, catégorie horrifique intensément organique popularisée par David Cronenberg (Vidéodrome, La Mouche, Le Festin Nu).

Entre slasher et satire morbide, elle nous partage ci-dessous trois exemples empouvoirants de trois décennies d'horreur.

"The Slumber Party Massacre" d'Amy Holden Jones (1982)
"The Slumber Party Massacre" © New World Pictures

"The Slumber Party Massacre est un slasher réalisé et scénarisé par une femme. Sorti en 1982, il est le premier opus d'une franchise de 6 films, qui demeure encore aujourd'hui l'unique franchise d'horreur réalisée par des femmes ! À 27 ans, après avoir renoncé à monter E.T. de Steven Spielberg, la cinéaste Amy Holden Jones a réécrit le scénario d'une jeune féministe inconnue, Rita Mae Brown, et a transformé un postulat de soirée-pyjama en parodie des slashers à la mode.

Le film subvertit donc tous les tropes attendus. Le tueur du film, Russ Thorn, ne ressemble pas aux monstres habituels, type Freddy Krueger (Les griffes de la nuit) ou Jason Voorhees (Vendredi 13). Il attaque avec sa perceuse électrique, qu'il tient entre ses jambes, comme l'immortalise l'affiche du film. The Slumbler Party... moque donc ouvertement les armes phalliques des tueurs, outils symboliques de pénétration et de viol.

Sa perceuse sera d'ailleurs coupée en deux par la machette, plus imposante, de l'une des héroïnes. De plus, le film réserve ses scènes les plus gores aux meurtres des ados voyeurs, éternels insatisfaits sexuels.. et dénombre plus de victimes masculines que féminines, ce qui n'arrive presque jamais dans le cinéma d'horreur ! C'est un slasher qui dénonce les prédateurs ordinaires, sans trauma spectaculaire, masque ou visage déformé, et aboutit à une libération sororale avec ses trois "final girls", exception à la règle de l'unique survivante.

Des 'final girls' qui, bien qu'elles parlent de sexe, fument de la weed et boivent de l'alcool ne seront pas punies. Tout cette portée critique est un peu masquée par la nudité omniprésente, imposée par le producteur Roger Corman. Mais l'air de rien, The Slumber Party Massacre anticipe l'horreur "méta" de Scream, et ce 14 ans plus tôt."

"Ginger Snaps" de John Fawcett (2000)
"Ginger Snaps" © Motion International

"Ce film canadien bénéficie d'un vrai culte même s'il demeure encore trop sous-estimé au sein du cinéma d'horreur. Il revisite un sous-genre très masculin, le film de loups-garous, qui, la plupart du temps, métaphorise la puberté monstrueuse d'un jeune garçon en proie à l'émergence de sa sexualité. On retrouve ici le même récit mais transposé à l'expérience d'une adolescente... et de l'émergence de ses désirs sexuels horrifiques.

Les transformations de la protagoniste, Ginger, se synchronise donc avec ses règles mensuelles. Le féminisme subtil du film repose sur son ambiguïté. Elle est à la fois créature cruelle, dangereuse, arrogante, et aussi héroïne indépendante, guidée par son plaisir, en total contrôle de son corps. Cet empowerment trouble la représentation hégémonique du cinéma d'horreur et résiste contre l'exploitation des femmes comme victimes passives, mais aussi le contrôle moraliste de la sexualité féminine par les hommes

Le film s'inscrit dans l'héritage de Carrie (Brian De Palma, 1976) et il inspirera quelques années plus tard le trop méconnu Teeth (Mitchell Lichtenstein, 2007) ou encore Jennifer's Body (Karyn Kusama, 2009). Mais contrairement à ces deux films centrés autour d'héroïnes solitaires et malaimées, Ginger Snaps prône l'amour et la solidarité de deux soeurs, Ginger et Brigitte. A la vie et à la mort."

"Us" de Jordan Peele (2019)
"Us" © Universal Pictures

"Us permet de repenser la prise de pouvoir des Afro-Américain·es dans le cinéma d'horreur et l'empowerment des femmes noires, grandes oubliées du précédent film de Jordan Peele, Get Out (2017).

Le paramètre de la race a été largement ignoré des analyses sur le cinéma d'horreur contemporain, plutôt centrées autour du genre. Cette absence s'explique sûrement dans la mesure où la majorité des personnages (victimes, héro·ïnes, tueur·ses, monstres) sont blanc·hes, donc racialement 'invisibles'. Par ailleurs, la survie des personnages noir·es y est très limitée.

Mais Us se saisit de l'intersectionnalité du black feminism. La protagoniste, Adelaide, incarne d'abord le stéréotype de la femme à secourir (la "damsel in distress"), une mère traumatisée et paranoïaque qui supplie son mari de rentrer de vacances. Puis finalement c'est elle qui mènera le combat contre les doubles qui l'accablent.

Son instinct très protecteur la rapproche d'un autre stéréotype raciste, celui de la "Mammy" (c'est à dire la domestique nounou et bonne cuisinière). Mais contrairement à l'archétype hérité de la période esclavagiste, Adelaide ne protège pas les enfants Blanc·hes de ses maîtres, mais les siens. Une inversion afro-féministe puissante. L'empowerment de cette héroïne noire permet aussi de rebattre les cartes de la lutte sociale.

[Spoiler] On comprend à la fin qu'Adelaide est en réalité un double qui a échangé sa place avec la vraie Adelaide lors de leur rencontre en 1986. Elle était destinée à une vie de misère, prisonnière dans les tunnels abandonnés, loin des privilèges de l'Amérique gentrifiée. En usurpant sa place, elle a bénéficié d'un privilège qui ne lui était pas destiné. Un twist glaçant qui incarne une inversion révolutionnaire des privilèges de race et de classe."

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