Livres
Féministes, subversifs, pop : 7 livres indispensables qui célèbrent les sorcières
Publié le 22 octobre 2020 à 18:33
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Aujourd'hui, les sorcières règnent dans nos librairies. Au détour d'un livre, elles se font tour à tour hantises du patriarcat, icônes horrifiques, emblèmes féministes. Entre anarchie, humour dévastateur et subversion, voilà une petite sélection pour les célébrer comme il faut.
Sélection de livres sur les sorcières Sélection de livres sur les sorcières© Adobe Stock
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Il semble loin le temps où, entre deux séances du Magicien d'Oz et de Blanche-neige et les sept nains, la sorcière n'évoquait en nous qu'une méchante au nez crochu, chevauchant son balais en maugréant quelques sortilèges. Désormais, films, séries et festivals féministes la consacrent en mythe incompris, reflet tragique des violences subies par les femmes depuis toujours et source flamboyante d'inspiration et d'émancipation.

Et ces représentations renouvelées gagnent même les rayons de nos librairies. Entre essais et fictions, l'on ne compte plus le nombre d'ouvrages mettant à l'honneur le pouvoir philosophique, politique et ésotérique des sorcières. Mais comment s'y retrouver ? Pas de panique, voici sept prescriptions féministes comme il faut.

Le plus historique : "Le Bûcher des Sorcières" de Dominique Labarrière
"Le bûcher des sorcières", lecture historique tout à fait édifiant. © Editions Pygmalion

Des expressions comme "chasse aux sorcières" ou "mettre au bûcher" sont si communes qu'elles en ont perdu toute signifiance. Heureusement, l'écrivain Dominique Labarrière est là pour nous relater des pages d'histoire aussi véritables qu'effrayantes. L'horreur qu'il nous conte est réelle et nous fait voyager dans toute l'Europe, au gré des "procès" pour sorcellerie qui aboutirent à des condamnation assassines des siècles durant, jusqu'à la Renaissance.

Des "procès" qui n'ont de "procès" que le nom. Inquisiteurs et évêques y torturaient en toute impunité, un seul témoin suffisant à faire condamner une accusée au nom de la "vérité" théologique. Si, contre toute attente, les avocats y ont leur place, il n'y a guère de suspens quant au verdict : "Si la femme avoue, c'est la condamnation. Si elle n'avoue pas, on en conclut que la diable l'a dotée du 'maléfice de taciturnité', soit la force qu'aurait la suspecte de ne pas avouer malgré la torture", déplore l'auteur.

Un tour d'horizon de ces procès pour hérésie qui en dit long sur la diabolisation - littéralement - des femmes.

Le bûcher des sorcières, par Dominique Labarrière.
Editions Pygmalion, 190 p.

Le plus féministe : "Sorcières" de Mona Chollet
"Sorcières", ou quand Mona Chollet conte "la puissance invaincue des femmes". © Editions La Découverte

Si lectrices et lecteurs français associent aussi aisément sorcellerie et féminisme, il y a fort à parier que l'autrice Mona Chollet (dont il faut relire le Chez Soi en ces temps de couvre-feu) y est pour quelque chose. Avec son essai Sorcières, la penseuse revient en long et en large sur la portée subversive de cette figure abondamment déclinée dans la culture populaire. La sorcière y est dépeinte comme la hantise du patriarcat, une transgression qui n'a cessé de se métamorphoser pour mieux flamboyer.

Des traités de démonologie et supplices en public d'hier aux discours misogynes des leaders d'aujourd'hui, quelle différence ? Qu'il soit théologique ou médiatique, le bûcher vise toujours les mêmes voix au fond : féminines, libres, marginalisées, indignées. Si la sorcellerie vit son regain de hype à l'époque de la révolution #MeToo, c'est parce que sa grande histoire nous renvoie à des thématiques (malheureusement) actuelles, notamment le regard que la société porte sur le corps - et la sexualité - des femmes. Une réflexion foisonnante et stimulante.

Sorcières, la puissance invaincue des femmes, par Mona Chollet.
Editions La Découverte, 240 p.

Le plus féminin sacré : "Sortir des bois" d'Odile Chabrillac
"Sortir des bois", entre féminin sacré, écoféminisme et... anarchie. © Editions Tana

Qu'est-ce qu'une sorcière ? Un être libre qui chérit une spiritualité faite de rituels magiques. L'autrice Odile Chabrillac, à qui l'on doit déjà l'ouvrage Ame de sorcière, nous délivre même des conseils pour confectionner des bougies home-made. Avec Sortir des bois, la psychanalyste et professeure de yoga insiste sur "l'essence" des ensorcelées : la sorcière qui repose en nous est ce qui nous connecte au vivant, aux sensations, à la nature.

Forcément, les sorcières d'aujourd'hui sont écoféministes. Elles invitent à repenser l'ordre établi, "les relations entre les genres mais aussi entre les hommes et la Nature", nous explique en ce sens l'experte. Ce "manifeste" zen déploie la philosophie apaisée des sorcières (harmonie avec l'univers, réconciliation avec son corps, conscience de l'âme, autre regard porté sur le monde) mais aussi... Son potentiel révolutionnaire. Oui oui, encore.

Notamment, la teneur anarchiste de ces figures profondément sororales. "L'anarchie n'est pas une doctrine prônant le désordre et le chaos, c'est une vision du monde qui promeut surtout la coopération, l'émancipation, le respect des êtres et du vivant, une philosophie politique opposée à toute relation de pouvoir", développe la psychanalyste. Et si les femmes diabolisées incarnaient l'avenir ? Ce livre ludique nous interroge.

Sortir des bois, le manifeste d'une sorcière d'aujourd'hui, par Odile Chabrillac.
Editions Tana, 210 p.

Le plus subversif : "Sorcières, salopes et féministes" de Kristen J. Sollée
"Sorcières, salopes et féministes", le manifeste le plus subversif ? © Editions Guy Tredaniel

A titre qui claque, ouvrage qui marque. L'essai de l'Américaine Kristen J. Sollée est un exercice de style audacieux sur l'identité des sorcières. Qu'elles soient artistes pop ou activistes pro-sexe, manifestantes anti-Trump ou jeunes femmes "slut-shamées", les ensorceleuses semblent envahir toutes les rues et tous les écrans aujourd'hui, nous suggère l'écrivaine. A la lire, la sorcière est politique. En elle s'expriment des qualités aussi bien antifascistes et écologistes qu'anticapitalistes.

"En examinant la misogynie dont découlaient les chasses aux sorcières, on peut révéler les origines brutales du sexisme auquel les femmes sont toujours confrontées aujourd'hui", nous affirme l'autrice. Résultat, ce manifeste porte moins sur l'histoire des diaboliques des siècles passés (bien qu'il regorge d'archives) que sur celles qui s'affirment au devant des scènes artistiques underground, des films à succès et des marches militantes, dénonçant aussi bien le moralisme déplacé des machos que la culture du viol. Une lecture enflammée.

Sorcières, salopes et féministes, par Kristen J. Sollée.
Editions Guy Tredaniel, 250 p.

Le plus pop : "Witch please !" de Taous Merakchi et Diglee
Un "grimoire de la sorcière moderne" assurée par deux expertes. © Editions Pygmalion

Celles et ceux qui s'intéressent à la sorcellerie se sont forcément penchés sur les travaux de Taous Merakchi. Il y a trois ans, la jeune autrice proposait une newsletter avant-gardiste à ce sujet : Witch please - détournement de la fameuse exclamation "Bitch, please". C'est le même état d'esprit, pop et prescriptif, qui recouvre ce recueil éponyme illustré par Diglee - laquelle nous a récemment enchanté en illustrant les mots d'Ovidie.

Enthousiaste, coloré (grâce à ses beaux visuels) et convivial, ce Grimoire de la sorcière moderne vous apprendra tout des astuces de la sorcellerie moderne. Comme à son habitude, l'autrice enrichit l'ensemble d'un ton incarné (et cocasse) bienvenu. Si votre role model s'appelle Hermione Granger, aucune raison de ne pas foncer dans votre librairie. Ce livre introspectif traversé de préceptes astrologiques risque bien de vous ravir.

Witch please ! Grimoire de la sorcière moderne, par Taous Merakchi et Diglee.
Editions Pygmalion, 216 p.

Le plus rigolo : "Sacrées Sorcières" de Pénélope Bagieu
Quand Pénélope Bagieu revisite Roald Dahl. © Editions Gallimard

Impériales et déjantées, femmes fatales et aberrations sur pattes... Impossible d'oublier les sorcières imaginées par Roald Dahl dans son Sacrées Sorcières, classique de la littérature jeunesse. De l'auteur de Charlie et la chocolaterie, l'on retiendra son humour macabre, mauvais goût jubilatoire propice à évoquer des sujets aussi sensibles que le deuil. Une patte que se réapproprie la dessinatrice Pénélope Bagieu pour imposer son propre style, l'espace de cette réécriture en bande dessinée tout aussi réjouissante.

Très expressifs, les dessins de l'artiste font honneur aux trouvailles narratives et esthétiques de l'écrivain. Captées à hauteur d'enfants, ces sorcières qui envahissent les cases amusent autant qu'elles fascinent. Comme une sorte de conte de fées parasité par la truculence. La recette Sacrées Sorcières marche si bien qu'une nouvelle adaptation cinématographique, assurée par Robert Zemeckis (Retour vers le futur, Forrest Gump), envahira les salles obscures le 18 novembre prochain.

Sacrées Sorcières, par Pénélope Bagieu.
Editions Gallimard Jeunesse, 304 p.

Le plus romanesque : "Le lien maléfique" d'Anne Rice
"Le lien maléfique", premier tome d'une saga ensorcellée. © Editions Pocket

La Saga des Sorcières, c'est l'alléchante série d'Anne Rice dont Le Lien maléfique (alias The Witching Hour : L'heure de la sorcellerie) est le premier tome. On parle encore trop peu de cette romancière américaine, grand nom de la littérature fantastique avant tout célébrée pour ses nombreuses Chroniques des vampires, dont le fameux Entretien avec un vampire. Avec Le lien maléfique, elle s'attaque à un tout autre mythe de nos imaginaires.

Cette heure ensorcelée s'attarde sur l'épopée des Mayfair, famille pas comme les autres au sein de laquelle semblent se transmettre d'inquiétants pouvoirs. Grande habituée des univers gothiques revisités à grands coups de romantisme, Anne Rice délivre un récit de malédiction qui convient comme un gant à la figure damnée de la sorcière.

Le lien maléfique, par Anne Rice.
Editions Pocket, 1 216 p.

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