Mesures anti-IVG, limitation des visas octroyés aux femmes enceintes, liquidation des aides apportées au Planning familial... On pourrait encore lister longtemps le nombre de faits et gestes qui prouvent à quel point la condition des femmes n'est pas la première des préoccupations présidentielles. Et pourtant, en 2020, c'est un scénario quelque peu différent que tente de nous vendre Donald Trump, l'éternel businessman misogyne.
Car des tournées organisées par les mouvements partisans aux événements médiatiques où brille son entourage féminin, la rengaine "trumpesque" dénote des sorties sexistes du principal concerné : le président des Etats-Unis (et surtout, le candidat républicain) se préoccuperait des femmes, si si. Il faut dire qu'à quelques mois des futures élections, la question de l'électorat féminin lui est primordiale. Et cela s'exprime de diverses manières.
En résulte un bonne salve de "feminism washing" estampillée Trump et qui, l'on s'en doute, est loin de convaincre l'opinion publique, les journalistes et les militantes. Petit tour d'horizon de ces stratégies opportunistes.
A n'en pas douter, le grand argument pseudo-féministe de Donald Trump a un nom : Ivanka. Cela fait des années que la fille du tonitruant milliardaire et d'Ivana Trump met à l'honneur sa vocation de jeune femme d'affaires enthousiaste. A l'unisson, la politicienne insiste dans ses livres (Femmes au travail : réécrire les règles du succès) et ses discours sur l'émancipation et le pouvoir des "working-girls". A son actif, une dizaine d'années passées à lancer ou investir dans des lignes de bijoux, d'articles de mode, de prêt-à-porter. Quand elle s'adresse à son audience, elle fait de l'empowerment son mot-clé. Comme un écho au CV d'entrepreneur de son paternel.
Tel que le relate cette enquête du Monde, son ode à l'indépendance professionnelle est ponctuée de causes qu'elle dit défendre, de la démocratisation d'un congé maternité assuré pour les femmes entrepreneuses à une aide d'Etat qui pourrait alléger les frais de garde des enfants. De sa présence administrative au sein de l'association industrielle 100 Women in Hedge Funds (laquelle soutient les professionnelles de la finance) à ses "business books" où elle n'hésite pas à citer Nelson Mandela (oui oui), Ivanka Trump peaufine avec minutie son image médiatique : celle d'une femme forte et ambitieuse, de celles qui voient leur portrait épinglé dans le magazine Forbes. "Empouvoirée", donc.
De quoi adoucir le profil plus sulfureux de son père. Après tout, cela fait déjà quatre ans qu'elle réside à la Maison Blanche. "Elle n'est pas simplement sa fille, mais sa conseillère spéciale, et l'une de ses plus proches confidentes", nous explique la directrice de recherche à l'IRIS Marie-Cécile Naves, autrice de nombreux essais sur le politicien (Trump, la revanche de l'homme blanc, Trump, l'onde de choc populiste). "Elle est justement là pour atténuer l'image du président masculiniste. Et l'on pourrait présumer qu'auprès d'une partie du monde du business, attachée à l'empowerment des femmes d'affaires, elle peut apparaître comme un role model", poursuit l'experte.
Idem pour la plus discrète Melania Trump, qui se saisit volontiers de la cause des femmes lors de déclarations publiques ponctuelles (mais médiatisées). A l'occasion du Prix international des femmes de courage décerné en 2017, elle a ainsi déclaré : "Chaque fois que les femmes sont rabaissées, c'est le monde entier qui s'abaisse avec elles. En revanche, chaque fois qu'elles sont émancipées, nous le sommes tous". Au fil de son discours, elle a même souhaité "la fin des violences faites aux femmes". Une utopie salutaire. Rebelote l'an dernier, lorsque la Première dame est allée saluer la bravoure des "véritables modèles générationnels", à savoir celles qui bravent "les stéréotypes sexistes" et aident "les personnes les plus vulnérables de leurs communautés".
Hélas, les jolis mots ne suffisent pas. "Dans ses déclarations, Melania Trump prône effectivement la solidarité et l'empathie, évoque la santé des enfants, mais en termes de mesures concrètes il n'y a rien : ce n'est que de la communication", déplore Marie-Cécile Naves. Même constat du côté d'Ivanka. Quand bien même elle affiche son envie d'être sur tous les fronts (en Ethiopie et en Côte d'Ivoire par exemple, où elle défend l'autonomisation économique des femmes), la politicienne est bien trop silencieuse face à ce que l'Amérique de Trump fait subir à la gent féminine, comme la restriction du droit à l'avortement dans certains Etats, son mépris de l'égalité salariale, son inaction face aux étudiantes victimes de viol sur les campus.. "L'empowerment qu'elle promeut n'est en rien proche des valeurs de solidarité et de lutte contre les discriminations", constate encore la sociologue.
Tant et si bien d'ailleurs que le New York Times qualifie son engagement de "féminisme 'fake' et dangereux". La politologue franco-américaine Nicole Bacharan (First Ladies : à la conquête de la Maison blanche) va même plus loin : "Ivanka Trump travaille pour l'entreprise de son père (la Trump Organization, ndrl). Et si elle tient un rôle politique et économique notable, elle reste entièrement dépendante du patriarche, soumise à lui, source de son accès au pouvoir. Même son apparence physique (mince, talons hauts, cheveux longs, maquillée, dents parfaites) reflète la vision de Donald Trump sur ce que doivent être les femmes !", décrypte l'experte. Autant dire que le gouvernement n'est pas prêt de devenir "girl power".
Pas de panique : pour combler ces failles, la galaxie Trump redouble de secondes mains. Cet été, le mouvement politique Women for Trump a poursuivi son tour des Etats (du Sud, notamment) afin de convaincre les esprits partisans mais réticents. Cet élan initié par les activistes américaines Kathryn Serkes et Amy Kremer (l'une des fondatrices du Tea Party Express, soutien au mouvement libertarien éponyme) a été particulièrement actif durant les enquêtes visant la destitution du Président. Sur Instagram, Women for Trump inonde sa quasi centaine de milliers de followers de photos où des femmes de tout âge (mais majoritairement blanches) arborent avec un grand sourire des écriteaux ou badges "Trump 2020".
On pourrait se dire que ce genre de mobilisation digitale n'est là que pour prêcher les convertis. Et pourtant, ces images comptent réellement dans la course électorale. "Le fait d'afficher des femmes, et leurs écriteaux, durant les meetings, ou à travers un militantisme de terrain, importe", admet Marie-Cécile Naves. "Tout comme se faire interviewer par des journalistes femmes, mettre en avant des supportrices correspond à toute une stratégie de communication", poursuit l'autrice de La démocratie féministe : Réinventer le pouvoir (à paraître en octobre prochain), qui voit là une manière non pas de convaincre de nouvelles adhérentes, mais de raviver la passion des anciennes électrices qui, en 2020, pourraient très bien ne plus voter Trump.
Quelles sont-elles d'ailleurs, ces votantes qui glissent leur bulletin à l'adresse d'un candidat ouvertement misogyne et réactionnaire ? Des femmes conservatrices, blanches en majorité ("même si 25 % de femmes latinos votaient Trump en 2016", nous rappelle toutefois notre interlocutrice), et qui, attachées aux valeurs familiales traditionnelles de l'imaginaire "american way of life", adhèrent aux gros traits de la "vision Trump" brossés depuis quatre ans : à savoir une crainte du multi-culturalisme, de l'immigration, de "l'extrémisme islamiste", comme l'énonce cette exigeante enquête de Slate, mais aussi une défense "de la liberté d'entreprise et de la moralité religieuse", observe Marie-Cécile Naves.
Seul bémol : malgré les efforts d'Ivanka, Melania et autres "Women for Trump", cet électorat-là, loin d'être anecdotique, se fait la malle aujourd'hui. Le "feminism washing" ne peut pas tout...
La raison ? Une succession de flops. Des mesures qui sont restées de l'ordre de l'abstrait, comme le fameux mur dressé entre le Mexique et les États-Unis. Et des désastres plus actuels, comme la mauvaise gestion de la crise sanitaire. "Trump a perdu beaucoup de points chez les seniors et les femmes car ces problématiques très concrètes de santé les touchent directement", note Marie-Cécile Naves. Idem pour son traitement lointain de l'assassinat de George Floyd, qui a bousculé la société états-unienne. "Les derniers mots de George Floyd étaient 'Maman je t'aime, ils vont me tuer', et c'est pour cela que cette affaire a touché les mères de famille qui habitent dans les banlieues américaines, c'est un enjeu moral", nous assure en ce sens Nicole Bacharan.
Sans compter les électrices déçues par sa prise en main de l'économie, de l'emploi, "ou encore son mépris et sa vulgarité à l'encontre de certaines adversaires politiques, comme la Présidente de la Chambre des représentants des États-Unis Nancy Pelosi", poursuit l'autrice de Trump, l'onde de choc populiste. La bataille est donc loin d'être gagnée pour le politicien. Les sondages s'alignent, et ils ne sont pas positifs. Comme celui d'ABC News et du Washington Post, qui fait état d'un soutien nettement décroissant chez les femmes de plus de 45 ans.
En perdant son électorat féminin, Trump sera-t-il amené à quitter la Maison Blanche ? Réponse en novembre.