Ce mois de mars pourrait être historique : le royaume d'Arabie saoudite vient d'annoncer le lancement imminent de son premier championnat de football féminin, la Women Football League (ou WFL). Durant la compétition, plusieurs équipes composées de joueuses expérimentées s'affronteront donc de Riyad à Damman en passant par Djeddah, et ce jusqu'au tournoi final, le WFL Champions Cup. Un grand pas pour le monde du sport, et le monde tout court ?
C'est tout du moins l'opinion du prince Khaled bin Al-Waleed bin Talal, président de la Fédération saoudienne des sports pour tous (SFA), qui voit là une belle avancée. A en croire le leader, ce championnat de football permettra "de renforcer la participation des femmes aux sports au niveau communautaire, tout en assurant une reconnaissance accrue des accomplissements sportifs féminins", comme le relate le site d'actualités Arab News. "La 'WFL' est née parce que nous avons compris qu'il y avait un besoin de football communautaire pour les femmes", poursuit-il, enthousiaste.
Tout laisse donc à penser que cet événement sportif serait synonyme d'empowerment pour ses participantes, et pour les femmes en général. Mais comme toujours, il est important de gratter ce vernis prétendument "girl power".
Car il n'y a pas vraiment de quoi se réjouir. En janvier dernier, l'Arabie saoudite portait déjà aux nues les valeurs soi-disant féministes de la nouvelle saison du Rallye Dakar, organisée au sein du royaume ultra-conservateur. Les femmes pilotes (occidentales) se réjouissaient de l'organisation de cette course aussi bruyante et polluante que dangereuse pour les populations environnantes. La pilote italienne Camélia Liparoti voyait là l'opportunité de "montrer qu'il y a des femmes qui font des choses dans un milieu d'hommes".
Or, ce sont les mêmes mots qui se retrouvent aujourd'hui dans la bouche de Khaled bin Al-Waleed bin Talal, lequel se targue déjà du succès d'une Ligue qui, en accueillant les femmes de 17 ans et plus, "fera office de grand modèle en terme d'inclusion". Mais un royaume où les femmes sont encore considérées comme des personnes "mineures à vie", se voient dans l'impossibilité d'ouvrir un compte bancaire, de renouveler leur passeport ou de se marier sans autorisation (masculine), peut-il vraiment servir de source d'inspiration mondiale ?
Loin de là pour l'ONG Amnesty International, qui l'affirme dans un communiqué officiel : "Le lancement d'une ligue de football féminin ne devrait pas détourner l'attention de la situation catastrophique des droits humains en Arabie saoudite". Catastrophique, quand on pense à l'emprisonnement et aux tortures subis par celles qui osent défendre les droits des femmes. C'est notamment le cas des activistes Loujain al-Hathloul, Nassima al-Sadah, Nouf Abdulaziz et Samar Badawi, arrêtées pour avoir soutenu la liberté de conduire dans leur pays. Intimidation et répression perdurent toujours en Arabie saoudite, là où le féminisme est considéré... comme un extrémisme.
"Cette volonté d'améliorer la situation globale des femmes en Arabie saoudite ne peut être saluée que si elle va de pair avec l'inclusion des individus courageux qui se sont battus pendant des décennies pour ce changement. Au lieu de cela, ils sont enfermés, tandis que les responsables de leur torture en détention restent libres", fustige Lynn Maalouf, la directrice des recherches au Moyen-Orient d'Amnesty International. Celle-ci doute de l'intérêt que voue le prince héritier et vice-Premier ministre d'Arabie saoudite Mohammad bin Salman aux droits des femmes.
Et aux droits humains tout court, alors que bien des esprits pacifistes croupissent encore en prison. Et que l'opinion publique, elle, n'a pas oublié l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, esprit critique et (vrai) défenseur des libertés citoyennes, pour le coup. "Comme pour les autres réformes relatives aux femmes dans le Royaume, c'est un douloureux rappel de la situation épouvantable pour les femmes et les hommes-mêmes qui se sont battus pour un tel changement", poursuit Lynn Maalouf, qui condamne sans détour l'usage du "glamour du sport" comme façon pernicieuse "d'améliorer son image internationale" à grands coups de poudre aux yeux.
Bref, pour la directrice, nous sommes là face à un cas flagrant de "feminism washing" : du féminisme en toc, réellement opportuniste et trompeur. Trompeur, mais insistant. Alors que les initiatives inhérentes à la Women Football League s'accumulent, comme l'organisation de sessions de formation pour les femmes-arbitres ou l'instauration d'événements sportifs destinés aux adolescentes, les communiqués officiels de la Ligue surlignent au marqueur cette ligne "girl power" en promettant "l'autonomisation des femmes par des programmes positifs" mais aussi une volonté nationale de "remettre les femmes au premier plan".
De beaux discours qui peinent à masquer une réalité nauséeuse.