Les résultats parlent d'eux-mêmes : dans l'Illinois, alors qu'ils·elles représentent 14,6 % de la population, les Afro-Américain·e·s constituent 30 % des cas d'infection au Covid-19 et 40 % des morts liées à l'épidémie, rapporte Reuters. Dans le Michigan, même tableau : l'Etat recense 14 % de citoyen·ne·s noir·e·s mais 40 % des morts dues au nouveau coronavirus sont à déclarer dans cette communauté. En Louisiane, les chiffres sont encore plus tragiques : 70 % des personnes décédées sont afro-américain·e·s, quand ils·elles ne composent la population qu'à 32 %.
Beaucoup d'Etats, comme le Center for Disease Control and Prevention (CDC), l'agence de santé américaine, n'ont pas encore adressé de rapport par ethnie. Andrew Cuomo, gouverneur de l'Etat de New York, a de son côté annoncé qu'il lancera une étude pour découvrir "pourquoi de telles disparités existent". La réponse est pourtant claire : les inégalités raciales déciment la population noire. Et particulièrement les femmes.
Ce n'est pas nouveau, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a plusieurs fois alerté que les personnes souffrant de maladies préexistantes comme l'asthme et d'autres troubles pulmonaires chroniques, le diabète et les maladies cardiaques seraient plus à risque face à l'épidémie de nouveau coronavirus. Des faits qui la rendent d'autant plus dangereuse pour la communauté afro-américaine.
Car en raison de facteurs environnementaux et économiques, ils présentent des taux plus élevés de ces conditions, assure à Reuters la Dre Summer Johnson McGee, doyenne de l'École des sciences de la santé de l'Université de New Haven. Et une couverture santé moindre. "Le racisme a entraîné un manque d'investissement dans les communautés afro-américaines et une détérioration des soins de santé pour la population en général", déplore-t-elle. "Une pandémie ne fait qu'amplifier les disparités en matière de soins de santé auxquelles sont confrontées de nombreuses communautés de couleur".
La sénatrice démocrate Kamala Harris a d'ailleurs publié les chiffres suivants, relayés par Ms. Magazine : les Afro-américain·e·s ont 20 % plus de risques de souffrir d'asthme, 40 % plus de risques d'hypertension artérielle, 10 % plus de risques d'avoir la drépanocytose, et les femmes noires ont trois fois plus de chances d'être atteintes de lupus. Ces dernières sont depuis peu confrontées à une pénurie de médicaments essentiels, notamment d'hydroxychloroquine, depuis que le président Donald Trump a affirmé (sans preuves scientifiques) qu'il pouvait traiter le Covid-19.
"Les femmes noires occupent une position unique au sein de systèmes d'oppression qui se chevauchent", rapporte un article du Women's Media Center, une organisation non-lucrative qui veille à promouvoir la visibilité des femmes dans les médias. "Et elles en subissent des pertes disproportionnées à la fois en vies humaines et en moyens de subsistance pendant cette pandémie." Au-delà d'être atteintes de conditions aggravantes dites de comorbidités, les Afro-Américaines subissent aussi de plein fouet les licenciements massifs induits par la crise, et la précarité qui en découle.
Une étude réalisée par Lean In (une association créée par Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, qui promeut l'émancipation des femmes dans la sphère professionnelle) démontre que les femmes noires ont deux fois plus de chance de subir les conséquences économiques de la pandémie que les hommes blancs. On recense plusieurs cas de figures : licenciements, mises à pied, baisses des heures de travail ou du salaire. 34 % d'entre elles ont confié qu'en l'absence de revenus, elles se retrouveraient dans l'incapacité de payer leur loyer ou leurs courses en moins d'un mois. Une réalité dramatique, qui explique les fils d'attente interminables devant les distributions de vivres par les banques alimentaires américaines.
Aux Etats-Unis, presque un tiers des femmes noires travaillent dans le secteur des services, extrêmement touché depuis plusieurs semaines. Cette surreprésentation s'explique par une discrimination historique, et notamment "l'exclusion par les employeurs des femmes noires des emplois mieux rémunérés, de statut supérieur et à mobilité réduite" jusque dans les années 1970, explique Nina Banks, professeure associée d'économie à l'université de Bucknell. Pour chaque dollar qu'un homme blanc gagne, elles se font 66 centimes, contre 80 pour une Blanche. De plus, la moitié des foyers afro-américains avec enfants sont dirigés par une mère seule, 38 % figurant sous le seuil de pauvreté.
Elles se retrouvent donc en première ligne, ou remerciées car dans l'impossibilité de télétravailler. Pour celles dont l'emploi n'est pas encore menacé, le choix est vite fait : continuer à travailler "dehors" pour ne pas se retrouver dans la rue. Et donc risquer la contamination quotidiennement. "Ne pas travailler met leurs moyens d'existence en péril ; travailler met leur vie en danger", poursuit le Women's Media Center. "Choisir entre une mort potentielle et une vie invivable est une décision que beaucoup trop de femmes noires prennent déjà et continueront à prendre dans les mois à venir."