Culture
Elle signe le film d'horreur le plus bouleversant de 2020 : rencontre avec Natalie Erika James
Publié le 6 octobre 2020 à 19:22
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Aussi terrifiant que déchirant, "Relic" est l'un des chocs horrifiques de 2020. En plaçant la sénilité au coeur de son récit, Natalie Erika James fait de l'angoisse du déclin un pur cauchemar. Interview de la jeune réalisatrice nippo-australienne qui a secoué le dernier festival de Sundance.
Le film d'horreur Relic Le film d'horreur Relic© Star Invest Films France
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La maison d'Edna (Robyn Nevin) a tout du cocon réconfortant d'une mamie gâteau : des plaids moelleux disséminés de-ci de-là, une bouilloire qui chauffe, des petites lampes un peu vieillottes qui diffusent une lumière tamisée. Mais cet intérieur cosy se teinte d'une tonalité lugubre. Quelque chose cloche. Des post-its, ce silence, une absence. Car Edna a disparu depuis plusieurs jours. Sa fille Kay (Emily Mortimer) et sa petite-fille Sam (Bella Heathcote) débarquent pour tenter de la retrouver. Lorsque l'octogénaire refait finalement surface, elle semble changée. Elle élude les questions, ses humeurs deviennent erratiques. Peut-être serait-il temps de la placer dans une maison de retraite ? A moins que...

Dans ce premier long-métrage signé par la réalisatrice nippo-australienne de 30 ans Natalie Erika James, le monstre ne brandit pas de hache, ne trucide pas aveuglément. Ici, l'horreur se loge dans les détails banals du quotidien, elle surgit du regard bleuté de cette grand-mère que l'on ne reconnaît plus, de sa mémoire qui s'effiloche, elle se tapit au coeur de ces murs familiers qui semblent soudainement nous broyer.

Grâce à un art du cadrage ultra-maîtrisé, du son et une sublime photographie froide aux accents gothiques, la jeune cinéaste parvient à installer son atmosphère glaçante, floutant la frontière entre drame psychologique et terreur organique. Comme dans l'incroyable Mister Babadook (2014) de sa compatriote Jennifer Kent ou le déjà culte Hérédité (2018) d'Ari Aster, James s'attaque à la figure matriarcale qui finit par étouffer ses proches. Huis clos d'horreur domestique aussi suffocant que tragique, Relic nous confronte intelligemment à la peur du temps qui passe, à la maladie et la décrépitude, aux regrets, et interroge la façon dont nous traitons nos aîné·e·s. Ici, la vieillesse n'est pas un naufrage : elle est un cauchemar.

Le temps d'un coup de fil vers l'Australie, nous avons discuté avec Natalie Erika James de cette oeuvre très personnelle et d'horreur au féminin.

Terrafemina : Votre film a été inspiré par une histoire intime : votre propre grand-mère souffrait de la maladie d'Alzheimer.

Natalie Erika James : Oui, je me rappelle d'un voyage en particulier lorsque ma grand-mère, pour la première fois, ne m'a pas reconnue. J'ai ressenti beaucoup de culpabilité à ne pas lui avoir rendu visite plus souvent. J'ai toujours été très effrayée par la maison dans laquelle elle avait déménagée, une vieille maison traditionnelle japonaise, avec un étage où stocker plein d'affaires. C'est clairement mon point de départ et mon influence principale.

Votre film relève plus du drame psychologique que de l'horreur pure. La fin est d'ailleurs particulièrement poignante...

N.E.J : Oui, c'est vrai. Les deux s'entrelacent. Nous l'avons appelé "horreur psychologique" parce qu'il y a aussi des éléments de "body horror" (sous-genre de l'horreur qui expose des mutations perturbantes du corps humain- ndlr) dans le film. Il a toujours été important que les spectatrices et spectateurs ressentent de la compassion pour Edna et sa famille. Ce centre émotionnel est présent dès le début et s'imbrique avec ce que nous essayions de raconter. Donc oui, ce n'est pas un film d'horreur pure selon moi. Nous voulions tendre vers un film comme L'orphelinat de Juan Antonio Bayona, qui est une histoire d'horreur déchirante et une référence pour moi.

Edna (Robyn Nevin) dans "Relic" © Star Invest Films France
La vieillesse est-elle un monstre ?

N.E.J : Je dirais surtout l'idée de la mort qui rôde et de la mortalité qui nous reluque par-dessus l'épaule. Je trouve la gravité de nos existences à la fois terrifiante et magnifique. Il y a tant de choses qui rendent nos vies si précieuses lorsque nous prenons conscience que cela va se finir. C'est très morbide, je sais ! (rires). Mais je vois plutôt la fin comme quelque chose d'assez optimiste en fait.

Dans Relic, vous soulignez également le poids qui pèse sur les épaules des aidant·e·s et leur éventuel sentiment de culpabilité.

N.E.J : Oui, c'est d'ailleurs souvent quelque chose qui revient aux femmes. C'est une discussion très compliquée que les enfants doivent avoir entre eux quand leurs parents vieillissent. Je m'intéresse beaucoup aux dynamiques changeantes, à la perte d'un rôle qu'ils avaient l'habitude d'occuper ou que leurs parents avaient l'habitude d'occuper. Certains parents résistent au fait que l'on s'occupe d'eux ou à l'inverse, les enfants ne veulent pas s'occuper de leurs parents. J'ai clairement ressenti cela dans ma propre famille. Cela me fascine assez.

Comment avez-vous réussi à créer cette tension sans abuser des vieilles ficelles comme les "jump scares" ?

N.E.J : J'ai toujours été très fan de la littérature gothique et d'horreur asiatique. Et je pense que ces deux genres se répondent particulièrement bien. Ils parlent souvent de la frontière floue entre le surnaturel et la vraie vie. L'horreur asiatique est incroyable pour construire de la tension grâce au cadrage et pour créer une lente montée de l'angoisse, que ce soit à travers les mouvements de caméra qu'avec le corps des actrices et acteurs.

C'est quelque chose qui m'a toujours interpelée lorsque j'ai grandi et j'ai essayé de l'intégrer dans mon propre film plutôt que d'utiliser les traditionnels " jump scares", la coupe rapide accompagnée du son fort. Je pense que ces techniques peuvent être très efficaces, mais quand on en abuse, ça devient rapidement cheap et la confiance avec le public tend à s'éroder.

La réalisatrice australienne de "Relic", Natalie Erika James © DR
Votre casting est 100% féminin. Pourquoi ce choix ?

N.E.J : Cela s'est fait naturellement. C'est la mère de ma mère qui était atteinte d'Alzheimer. C'est ce qui m'a amenée à créer cette histoire sur trois générations de femmes. Je trouve qu'il y a quelque chose de beau dans l'unité et le fait de voir son futur ou d'être confrontée à sa mortalité à travers sa mère. Visuellement, je trouvais ça aussi intéressant. A la base, nous avions pensé à un personnage de frère, mais cela ne fonctionnait pas et on perdait le coeur du film. Donc nous avons laissé tomber.

Il s'agit de votre premier long-métrage. Pourquoi avoir choisi de faire un film d'horreur ?

N.E.J : J'ai toujours été intéressée par l'horreur. Lorsque j'ai commencé à faire des films jeune dans mon école de cinéma, c'était d'abord des films psychologiques très sombres qui, avec le temps, ont glissé vers l'horreur. C'était déjà un genre que j'affectionnais particulièrement. Je trouve qu'il permet d'explorer la peur d'une façon très riche, cela t'autorise à externaliser les angoisses d'une manière profonde, d'explorer la psychologie.

Ce genre est particulièrement masculin. Votre statut de réalisatrice d'horreur surprend-t-il ?

N.E.J : Oh oui, j'ai évidemment droit à des commentaires du style : "Tu ne ressembles pas à une réalisatrice de films d'horreur". Je trouve que c'est une perception très ringarde ! Je me réjouis de l'arrivée en masse de réalisatrices d'horreur. Et puis on donne de plus en plus les moyens aux femmes de faire leur premier film. J'espère qu'il y aura bientôt autant de réalisatrices que de réalisateurs.

Votre compatriote Jennifer Kent a marqué les esprits avec son Mister Babadook, vous avez impressionné le festival de Sundance avec Relic. Comment expliquez-vous que les réalisatrices australiennes soient à l'avant-garde de l'horreur en ce moment ?

N.E.J : Il y a beaucoup de super réalisateurs et réalisatrices australiens et il y a eu une vague d'excellents films dans des genres parfois à part. Je pense par exemple à Lake Mungo de Joel Anderson qui est aussi un superbe film d'horreur. Je ne saurais pas dire s'il y a quelque chose qui encourage ça culturellement. Mais quand on pense aux films d'horreur australiens, typiquement, on y retrouve souvent l'immensité du pays et la peur qui surgit de l'isolement, les gens bizarres qui vivent dans ces espaces désertiques. Beaucoup de femmes qui se lancent dans le genre horrifique s'attachent à creuser ce côté psychologique, spectral et émotionnel.

Les films d'horreur peuvent-ils être féministes ?

N.E.J : Oui, je le pense. Il s'agit toujours de la manière dont on utilise les codes. De mon côté, l'horreur a toujours été le cadre ou le moyen servant à raconter une histoire. La définition de l'horreur a été très élargie pour atteindre un autre public ces derniers temps. Et je trouve cela merveilleux que cela ne soit plus obligatoirement des psychopathes meurtriers brandissant une hache. C'est maintenant tellement varié.

On est en train d'en finir avec la tendance du genre à exclure et diaboliser tout ce qui sort des normes de "l'homme blanc hétéro". Par exemple, c'est formidable de voir que des personnes racisées ou des femmes peuvent s'approprier cet espace. Des thématiques comme la représentation des sujets de santé mentale, des femmes enceintes ou des personnes âgées par exemple n'ont pas été vraiment bien ou beaucoup explorées jusqu'à présent. C'est donc chouette de voir davantage de nuances narratives ces temps-ci.

Quel est votre prochain projet ?

N.E.J : Je travaille en ce moment sur un film d'horreur- oui, de nouveau !- qui s'appelle Drum Wave. Ce sera dans la tradition du folk horror britannique mais avec des touches de mythologie japonaise. Cela se passera au Japon et j'y aborderai les thèmes de la mort, du déclin. Les sujets de la naissance et de la maternité seront au centre de l'histoire. On y retrouvera des influences comme Rosemary's Baby ou Wicker Man.

Quels films d'horreur conseilleriez-vous aux novices que ce genre rebute ou effraie ?

N.E.J : Je dirais Shinning que j'avais vu quand j'étais petite et qui m'a traumatisée pendant des années. J'adore aussi Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg. C'est un super film pour commencer car c'est une histoire assez dramatique et émouvante. Les autres d'Alejandro Amenábar est génial également. Et puis il faut regarder des films d'horreur asiatiques comme Deux soeurs, qui est probablement l'un de mes films préférés de Kim Jee-woon, ou encore Audition de Takashi Miike.

Relic

Sortie le 7 octobre 2020

Un film de Natalie Erika James

Avec Emily Mortimer, Robyn Nevin, Bella Heathcote...

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Culture Nouvelle femme de cinéma cinéma News essentielles interview
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