Sur le grand comme le petit écran, les personnages de grandes soeurs ne manquent pas. Kat dans 10 bonnes raisons de te larguer, Elsa dans La reine des Neiges, Meg March dans Les Quatre filles du docteur March, Katniss Everdeen dans la saga Hunger Games, Prue Halliwell dans Charmed... La liste est aussi longue que leur rôle lourd de sens.
A chaque fois, peu importe la personnalité de la protagoniste, ce rang dans la fratrie est marquée par un certain devoir. Et puis, une évidence : qu'il s'agisse d'un modèle à incarner, d'une bonne conduite à maintenir, ou de protéger celles et ceux qui sont venu·e·s après, on ne traverse pas la vie de la même manière lorsqu'on possède le statut d'aînée.
Une étude américaine américaine intitulée "Doing Well in Life? Thank Your Big Sister" (révélateur) pointe justement du doigt la façon dont les enfants ayant été élevés avec - ou par - des grandes soeurs auraient été davantage stimulés intellectuellement. Dans certains pays en voie de développement, ils en tireraient même davantage de chances de survie. Tandis que les premières, elles, se retrouvent souvent à écoper de tâches relatives à la parentalité, que l'on épargne aux suivant·e·s. Une différence de traitement qui prête à réfléchir.
Mais qui de mieux placées pour la décortiquer que celles qui l'expérimentent depuis l'enfance ? On a interrogé trois jeunes femmes aux ressentis éclectiques qui nous confient ce que, pour elles, tout cela implique.
Tiphaine a 24 ans, un frère de 17 ans et une soeur de 14 ans dont elle est "très proche". Un écart d'âge important qui l'a rapidement propulsée au rang de "deuxième maman". "Leur maman à qui iels peuvent se confier sur tout et n'importe quoi, avec qui iels peuvent rire et faire les foufous, mais qui doit tout de même trouver des solutions quand quelque chose ne va pas et qui doit les réprimander parfois", décrit la jeune femme. Et cette position, qu'elle affirme chérir, est à double tranchant.
"J'aime mon rôle de grande soeur 80 % du temps", poursuit Tiphaine. "Il me responsabilise et m'en apprend sur la vie et sur moi-même. Je sais aussi que j'ai une place privilégiée dans la vie de mes frères et soeurs, qu'iels se sentent à l'aise pour me parler de leurs états d'âmes et c'est l'une des choses les plus précieuses de ma vie. Et puis, je trouve ça génial de me dire que mon frère et ma soeur aient quelqu'un sur qui iels pourront toujours compter quoi qu'il arrive, une personne qui pourra leur éviter quelques erreurs, parce qu'elle les a commises avant eux. C'est rassurant pour eux."
Seulement, elle s'avoue parallèlement "fatiguée d'avoir certaines choses sur les épaules, de devoir soutenir, être responsable, être la plus arrangeante". De, même lorsqu'elle a "le coeur lourd", ne pas pouvoir se permettre de décrocher, de se contenter, elle aussi, de son statut d'enfant. "C'est comme si les choses que je fais au quotidien pour mes frères et soeurs allaient de soi", lâche-t-elle.
Un sentiment que Margaux, 30 ans, connaît également. Elle, pourtant, n'a que deux ans de plus que sa petite soeur. Deux ans qui ont suffi à ce qu'elle intègre qu'il lui fallait guider, choyer la seconde. "Je pense que ce besoin de couver sa petite soeur est naturel : ça commence dans la cour de l'école et ça se termine désormais dans la rue quand des mecs nous huent". Deux ans qui ont finalement instauré un autre type de rapport : à la fois "meilleure amie et pire ennemie", décrit-elle.
"On s'appelle ou on s'écrit tous les jours, on se dépanne, on se défend", lance la jeune femme qui raconte notamment avoir couvert ses infidélités, "mais une certaine compétition règne quand même, car nous avons eu très peu de décalage dans ce qu'on appelle le cycle de la vie. L'adolescence, l'amour, la vie professionnelle... Peu de choses nous séparent et les gens nous comparent souvent. On se dit 'je t'aime', mais on peut aussi être très dures ; plus qu'avec n'importe qui".
Elle se souvient d'anecdotes particulièrement douloureuses, lorsqu'au lycée et à la fac, on commentait le physique de l'une par rapport à l'autre, ou que l'on venait lui parler à elle pour accoster sa soeur. "C'est très difficile de garder confiance en soi", confie Margaux.
Et puis, il y a la pression et les attentes - conscientes ou non, formulées ou non - de la famille. La façon dont la sienne la met sur un "piédestal en termes de sagesse, alors que je suis loin d'être parfaite". Elle énumère : "Les parents qui posent des questions à l'aînée sur la cadette, la peur de la voir réussir mieux que moi car je suis 'la plus grande' et celle de ne pas avoir décelé un souci ou une complication dans sa vie alors que c'est mon devoir. Aussi, avoir cette responsabilité de maturité et ne pas pouvoir l'envoyer balader comme je l'aimerais."
Cela dit, elles entretiennent évidemment un lien indéfectible. "Je l'adore ! Elle m'appelle pour tout et n'importe quoi : des codes Netflix, les impôts, une définition en anglais, une question d'orthographe, un bon plan en ligne... Je suis sa grande conseillère." Complexe, riche, délicate et surtout, unique : une relation comme nulle autre. Mais qui, dans certaines fratries, gagne tout de même en légèreté.
"Je suis plus légère dans ma façon de vivre que lui et en même temps, lorsqu'il en a besoin, je suis là pour lui donner des conseils et relativiser", confie Hélène, 28 ans et tout juste 18 mois de plus que son frère. Dans leur entente, pas de compétition ni de responsabilité déséquilibrée. Enfin, plus maintenant. "Plus jeune, notre relation était plus conflictuel", se souvient-elle, "mais elle s'est depuis apaisée".
Elle poursuit : "J'aime mon rôle de grande soeur, je suis assez protectrice donc de ce point de vue-là, ça me convient bien. Si je devais citer des avantages très concrets, je dirais que ça fait de moi la cheffe, c'est moi qui monte devant en voiture car il y a la 'loi de l'âge' - bon on ne l'applique plus vraiment car il mesure 1,95 mètres... (rires)"
Sans qu'on lui pose la question, elle s'interroge : "Je ne sais pas si on en demande davantage aux grandes soeurs qu'aux grands frères". Et épingle un biais réel : "Après, les filles, on est peut-être éduquées plus dans ce sens-là..." Comprendre, celui de s'occuper des autres et potentiellement, d'aider à la maison. A l'image de leur mère avant elles. C'est également ce que note - et déplore - l'étude américaine.
Comme chez Tiphaine et Margaux, on sent chez Hélène une réelle bienveillance quand elle aborde le sujet. Une façon, pour toutes les trois et bien que leurs vécus diffèrent, de parler de leurs benjamin·e·s avec tendresse, de vouloir les protéger quoiqu'il arrive, malgré les disputes, les désaccords, les caprices. Les phases qui finissent par durer. Comme une part d'elles-mêmes, qu'elles investissent sûrement plus que ce que leur titre d'aînée ne devrait leur demander.
Mais après tout, quand on aime autant, compte-t-on vraiment ?