Il fallait une certaine dose d'audace pour s'attaquer une nouvelle fois au monument de la littérature de Louisa May Alcott, Les Quatre filles du docteur March. Et de l'audace, Greta Gerwig en a à revendre. Figure de proue du cinéma indé américain, qu'elle a revivifié avec ses très très réussis Frances Ha (dont elle co-signait le scénario) et Lady Bird, la réalisatrice a sauté sur l'occasion pour proposer sa relecture de ce roman à la fois atemporel et éminemment moderne.
Pour camper ses quatre soeurs aux personnalités bien trempées, elle a été picorer parmi le vivier des jeunes pousses les plus vivaces de la galaxie ciné actuelle : Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh et Eliza Scanlen. Et pour les entourer, deux figures badass : Laura Dern (qui joue leur mère Marmee) et la toujours fabuleuse Meryl Streep dans le rôle de la tante acariâtro-chic. Ajoutez à cela l'irrésistible Timothée Chalamet qui illumine de sa présence gracieuse cette joyeuse tribu et voici d'ores et déjà l'un des castings le plus cool de l'année.
Fidèle à sa veine féministe, Greta Gerwig livre une adaptation tendre et mélancolique qui ressemble à un beau livre d'images vintage dans laquelle elle injecte une bonne dose de girl power au détour de répliques qui claquent comme des mantras d'empouvoirement ("Je serai respectée si je ne peux pas être aimée", "La pire des choses est d'être une épouse", "Les femmes ont des esprits et une âme, pas simplement un coeur"). Et apporte sa touche en s'amusant à chambouler la narration grâce une structure astucieuse faite de flashbacks.
Et surtout, au coeur de cette fresque, on retrouve la très inspirante Jo March (merveilleusement incarnée par Saoirse Ronan), alter ego de l'autrice (et de la réalisatrice), à la fois indépendante et passionnée, qui se joue des carcans étouffants d'une société implacable avec les femmes.
Nous avons papoté (trop furtivement) avec Saoirse Ronan, qui interprète cette Jo fougueuse et la très prometteuse Florence Pugh, qui incarne sa soeur rivale Amy. Elles nous parlent de cette version 2020 d'un classique aux résonances diablement contemporaines.
Saoirse Ronan : Je pense que cette version est féministe parce que Greta (Gerwig) n'a pas traité ces filles comme si elles étaient fades. Ce sont des personnages équilibrés, bien écrits, vivants. Elles ont des défauts, elles ont des forces, elles ont leurs propres doutes, ont beaucoup à offrir au monde. Et elles vont s'en rendre compte et vont le tourner à leur avantage.
Florence Pugh : Et aussi parce que les hommes dans ce film sont féministes. C'est quelque chose dont nous avons beaucoup discuté : les hommes font autant partie de l'histoire que les filles. Du début jusqu'à la fin,
ils les aiment et les soutiennent constamment. Et ils les mettent en avant. Ce sont eux qui leur disent de foncer.
Saoirse Ronan : Ils ne se mettent pas en travers de leur route, ce qui est adorable. (rires)
Saoirse Ronan : Nous avons l'une des figures du mouvement Time's Up dans le film. Emma Watson est évidemment une militante très importante pour la cause des femmes. Et Laura Dern également. On se disait que nous venions toutes de famille et de milieux qui, comme les soeurs March, nous ont permis d'être ce que nous voulions, qui nous ont permis d'être calmes, artistes ou timides, etc... Et c'est drôle que le film reflète la vie que nous avons eue en grandissant.
Saoirse Ronan : Qu'il est bon d'être entendue. S'il y a quelque chose en lequel tu crois vraiment, que tu crois profondément en quelque chose que tu dois faire, que ce soit ta profession, ta vie ou quelqu'un avec qui tu aimerais être ou quelqu'un que tu as besoin d'être, il y aura toujours un prix à payer, mais il faut essayer de rester fidèle à ses principes autant que possible. L'une des choses que j'ai retenues ces deux dernières années, c'est de rester soi-même et ça, c'est entendu !
Dans notre adaptation des Quatre filles du docteur March, Jo dit : "Je préfèrerais être une vieille fille libre, naviguer sur mon propre canoe et je vais faire mes trucs de mon côté", mais elle dit aussi qu'elle se sent seule et qu'elle aimerait bien quelqu'un qui l'aime. Et je pense que c'est bien que nous voyions notre héroïne, qui est une héroïne depuis 150 ans, que même la rockeuse Patti Smith admire, a aussi des moments de doutes, parce que c'est humain.
Florence Pugh : Il y a aussi un prix à payer quand on a de l'ambition et du succès. Pas de façon aussi dramatique que ce qu'a connu l'autrice Louisa May Alcott. Mais par exemple, dans ce que nous faisons, j'ai remarqué qu'il y avait un prix à payer pour travailler et avoir du succès : tu es seule et tu dois souvent te débrouiller toute seule. Et c'est quelque chose que tu décides de faire et de continuer à faire. L'une de mes scènes préférées est lorsque Jo dit : "Je suis si seule", parce que c'est tellement vrai.
Saoirse Ronan : Oui, nous voulions assurer si les gens voulaient le relever. Je pense qu'il n'était pas nécessaire d'appuyer dessus, mais c'est une partie inhérente du personnage. Laura (Dern) et Greta (Gerwig) ont fait beaucoup de recherches dans les journaux intimes et les lettres que Louisa May Alcott avait écrites à sa mère.
Il y a cette scène dans le grenier. Je ne sais pas si elle est dans la version finale, mais je me rappelle que nous avons filmé cette scène dans laquelle Jo dit : "Je veux être capable d'aimer librement". Et c'est quelque chose que Louisa a vraiment dit à sa mère. Elle était perdue avec le fait qu'elle n'était pas nécessairement attirée par les mêmes personnes ou choses que les femmes qui l'entouraient, mais elle n'avait pas de mot pour cela à l'époque. Donc il fallait que cela fasse partie d'elle et de sa fluidité. Et c'était super pour moi d'avoir toutes ces infos sur Louisa pour apporter cela au personnage de Jo.
Les filles du docteur March
Sortie le 1er janvier 2020
Un film de Greta Gerwig
Avec Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Laura Dern, Meryl Streep, Timothée Chalamet, Eliza Scanlen...