Valentine Goby : Toute naissance est mystérieuse. Je ne sais pas comment naît un roman. Ce qui est porté depuis des mois, des années, et qui soudain trouve forme pour s'incarner. L'idée de l'absence comme principe structurant d'une vie, c'est une autre façon de poser le corps, en creux, comme identité et manifestation de soi. Je travaille sur le corps depuis des années, sur l'enfantement, le châtiment, l'identité, le désir, il ressurgit maintenant dans le vide qu'il laisse, comme ce « pas des baleines », forme plane au milieu des vagues qui signale le passage des mammifères marins déjà échappés.
J'ai voulu réfléchir à l'absence, à l'incertitude, à ses contraintes pour une famille où l'enfant a besoin d'une colonne vertébrale, ce que c'est qu'une colonne de vide. Je suis allée au Groenland sur la banquise, un monde qui s'efface aussi, ne laisse aucune trace, et au travers duquel notre humanité disparaît. Comme cette jeune fille, Lisa, nous nous construisons autour d'un manque, d'un trou, sans bien nous rendre compte des conséquences d'un tel engloutissement. A travers lui, nous mourons, nous aussi.
V. G. : C'est l'étranger. Ce que je pouvais m'imaginer de plus étrange, autre, pour moi, qui ai vécu en Asie plusieurs années, suis amoureuse des pays et de la langue arabes, et native d'une terre de soleil. Je cherchais l'altérité, elle était dans ce Nord où on ne peut se dissimuler à soi-même, et cette altérité, par contrecoup, s'est révélée être le chemin le plus direct vers une intimité, une vérité intérieure.
V. G. : Je n'ai pas beaucoup lu sur ce sujet. Un peu de Camille Laurens, Marie Darrieusecq, Philippe Forest, presque par inadvertance, parce que j'aime viscéralement ces auteurs. A vrai dire je m'y suis appliquée. A ne pas lire, ne pas voir, rien. Je voulais être vierge. J'ai rencontré des familles, volontairement, des deuils terribles, et impossibles, on disparaît on ne meurt pas, car il s'agit bien de cela : vivre avec l'incertitude. La compagne indésirable. Haïe. La compagne de tous les jours. Qui vous tue chaque jour. Et vous laisse chaque jour un espoir. Je n'écris pas sans le profond sentiment d'empathie. Cette empathie était en moi depuis l'idée du roman. Allez savoir. Ce qui a manqué, pour moi, je veux dire dans l'enfance. Tout roman, pour moi, naît dans l'enfance. J'ai rencontré des familles et j'ai senti une douleur familière. Je ne sais pas écrire sans ça. L'empathie.
V. G. : Ecrire est une jubilation, et une souffrance. C'est très dur d'écrire, d'arriver à une perfection qu'on sait toujours inaccessible. C'est une souffrance. Et une joie.
histoires ?
V. G. : Mes histoires ne sont pas des histoires. Je ne crois pas à la fiction. Je ne les ai pas traversées mais je les ai traversées quand même. Déguisée, comme beaucoup d'écrivains. Je sais ce qui m'appartient dans les romans et les fait naître. Je dois aux personnages de porter mes bribes de vies, mes obsessions en anonymes. Les romans sauvent, sauvent leurs auteurs, mais dans les romans le lecteur ne sait pas où est l'auteur.
« Banquises », Valentine Goby, Albin Michel, sortie le 18 août 2011, 18 euros.
Crédit photo : David Ignaszewski
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