Culture
Eliette Abécassis explore la face cachée du mariage religieux
Publié le 22 août 2011 à 09:14
Par Candice Satara-Bartko
Anna ne pouvait imaginer qu’en épousant Simon, elle se retrouverait enchaînée, prise au piège de son propre mariage. Le nouveau roman d’Eliette Abécassis, « Et te voici permise à tout homme », dresse le portrait d’une femme déchirée entre sa foi et son amour, une héroïne des temps modernes qui se bat inlassablement pour sa liberté : celle de divorcer et d’enfanter. Interview.
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Terrafemina : Dans votre livre « Et te voici permise à tout homme », vous poursuivez votre exploration du couple et du divorce. Cette fois-ci vous l’abordez sous l’angle de la religion, un thème qui vous est cher…

Eliette Abécassis : Oui, cela concerne la femme et la religion, thème important car il me semble aujourd’hui qu’il y a, dans toutes les religions, un recul par rapport aux droits des femmes et une volonté avérée de les dominer, de les domestiquer, de restreindre leur liberté par tous les moyens, bref : de les enchaîner.

TF : Pourquoi vous êtes-vous intéressée au Guet ? Vous avez enquêté, vous inspirez-vous de faits réels ? Beaucoup d’hommes se servent-ils encore de ce moyen pour refuser le divorce ?

E.A. : Je me suis intéressée au Guet, le divorce religieux juif, à cause d’une expérience personnelle. J’ai beaucoup enquêté : c’est un problème qui concerne les femmes partout dans le monde. Je suis entrée en contact avec les associations de défense des femmes victimes du chantage au Guet. J’ai consulté aussi le professeur Liliane Vana, une femme extraordinaire qui défend les femmes agounoth, les femmes enchaînées par des mariages dont elles ne veulent plus.

TF : Le portrait que vous dressez de son ex-mari est effroyable, un bourreau qui cherche à la détruire psychologiquement. Pourquoi s’acharne-t-il autant ? Comment est né ce personnage ?

E.A. : Ce personnage, je l’ai construit, je dois le dire, en m’inspirant d’hommes réels. Je n’ai malheureusement fait aucun effort d’imagination. En revanche, j’ai beaucoup travaillé sur la personnalité du « Pervers Narcissique », à l’aide de la psychologue Isabelle Nazare Aga, qui a établi une classification très éclairante des 30 critères des pervers narcissiques, grâce auxquels il est possible de les démasquer, avant qu’ils ne vous détruisent.

TF : Les autorités religieuses apparaissent assez modernes. Si elles non plus ne parviennent pas à se délier de cette loi du Guet, que faut-il faire ?

E.A : Les autorités religieuses sont victimes les unes des autres, et aussi de cette vague de fondamentalisme imbécile et intolérant qui envahit maintenant toute congrégation religieuse, empêchant les esprits éclairés de s’exprimer. C’est pourquoi il est important d’écouter et de donner la parole, autant qu’on le peut, aux religieux et aux savants qui sont intelligents et ouverts. Ce que j’ai fait aussi dans mon livre, à travers le portrait de rabbins formidables. Ce sont eux qui permettent de garder la foi.

TF : Aujourd’hui, quelles sont les solutions pour que les femmes puissent se libérer de cette prison invisible et ne soient plus « Agouna » ?

E.A. : Il est impossible de changer la loi, mais comme le montre très bien Liliane Vana, il existe des solutions à l’intérieur même de la loi juive, qui est une loi beaucoup plus souple qu’on veut bien le faire croire. Par exemple, il est possible, pour de multiples raisons, d’annuler un mariage religieux. Lorsque le mari refuse de donner le divorce, il faut donc faciliter cette démarche. Et aussi, je plaide pour que l’Etat intervienne dans les affaires religieuses. Si la République ne défend pas les femmes, qui le fera ?

TF : Comment pensez-vous (et souhaitez-vous) que vont réagir la communauté juive pratiquante et le Consistoire de Paris en lisant votre roman ?

E.A. : J’espère que ce sera un choc pour eux. J’ai écrit ce roman comme un cri, un hurlement. Je prie pour qu’en le lisant, ils comprennent le calvaire d’une femme agouna, d’une femme qui se voit privée de plaisir, de désir, de relation avec un autre homme, et aussi de la possibilité d’enfanter. Devant l’immobilisme et l’inertie, je ne peux plus me taire.

TF : Anna est une femme en pleine souffrance, perpétuellement partagée entre sa foi inébranlable et son amour pour Sacha. Où trouve-t-elle la force de se battre ?

E.A. : Elle la trouve dans l’amour qu’elle a pour cet homme. C’est une femme qui se bat pour sa liberté, celle de son corps et de son esprit. Elle va jusqu’au bout pour pouvoir vivre son amour. C’est une Antigone moderne, déchirée en la loi des hommes et l'amour. Elle ne peut pas faire de choix car ce sont deux choses qui la constituent, profondément, intimement. En essayant de s’écarter de la religion, elle se perd. En ne voyant plus Sacha, elle n’est plus elle-même.

TF : Comme dans votre dernier livre « Une affaire conjugale », on assiste dans ce roman à la renaissance d’une femme, malgré les épreuves ?

E.A. : En effet, c’est un roman initiatique, comme « Une affaire conjugale », ou « Un heureux événement ». A travers ces épreuves, la femme se construit peu à peu, et elle accède à la féminité et à la liberté, non sans mal, car tel est le destin de toutes les femmes. La liberté n’est jamais un acquis, chaque époque, chaque événement de la vie invente de nouveaux stratagèmes pour aliéner les femmes.

TF : Voulez-vous transmettre un message avec ce livre ?

E.A. : J’ai voulu avant tout raconter une histoire. Je suis une raconteuse d’histoires, pas une femme politique. J’ai voulu parler de religion, sans jamais écrire le mot « Dieu ». J’ai voulu parler d’une histoire d’amour passionnelle, sans jamais utiliser le mot « sexe ». Ce livre est avant tout une aventure littéraire. J’ai voulu enchaîner ces mots galvaudés afin de libérer la prose. Et dessiner un portrait de femme qui me ressemble, qui nous ressemble, à nous, les femmes. Le reste, on en reparlera - je l’espère.

« Et te voici permise à tout homme », Eliette Abécassis, Albin Michel

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Mots clés
Culture Livres divorce mariage & pacs religion
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