Se raser les cheveux quand on est une femme n'est pas un acte anodin. Car cela raconte toujours quelque chose sur la féminité et les préjugés qu'on lui accole. En délaissant ses tifs, on attire les regards, et les jugements qui vont avec. Bien sûr, certaines assument et en font une fierté. Mais d'autres ne supportent pas ce poids qui vient s'ajouter à une charge mentale déjà considérable. D'autres encore font fi de ces remarques, sans pour autant trouver dans leur nouveau look quoi que ce soit de réellement émancipateur.
Il faut dire que la relation que nous entretenons avec nos cheveux est intime. Singulière. Et politique. Et puisqu'elle est tout cela à la fois et bien plus encore, impossible d'aborder le sujet sans interroger les principales concernées. Pour Terrafemina, elles sont revenues sur leur parcours de combattante, traversé à grands coups de ciseaux. Un périple ponctué de role models, de leçons de style et de féminisme.
Combattante, oui, car afficher une coupe courte a tout de l'expérience sociale. Hannah, le sait. Ses longs cheveux, cette jeune femme de 29 ans s'en est séparée pour les offrir à l'association Solid'Hair, qui confectionne des perruques pour les femmes atteintes du cancer. Sans regrets : elle voulait voir "ce que ça fait" de ne pas sentir ses mèches tomber sur ses oreilles. Mais affronter les ciseaux n'est rien comparé aux regards des autres. Dans la rue, on la scrute. Lors des rencards (qui diminuent considérablement depuis l'actualisation de sa photo de profil), même constat. Certains passent carrément leurs mains sur son crâne en blaguant : "ça porte chance !", se souvient-elle. Les numéros un sur le podium de la gênance.
Bref, on la considère presque comme une bête curieuse. Et puis, en retirant sa crinière, on vous accole des étiquettes : une femme à la tête rasée serait forcément lesbienne, bisexuelle, ou "radicale" - le terme effrayant pour dire "féministe". Bref, tout sauf une femme. "Les gens se permettent n'importe quoi quand on a le crâne rasé. J'ai très mal vécu cette période. Moi qui me fichais de mon apparence je me suis retrouvée à ne pas m'aimer. Je ne me reconnaissais pas dans mon miroir : j'avais l'impression de voir un petit garçon qu'on emmène à une leçon de football.... Je ne pensais pas qu'une simple coupe de cheveux m'en apprendrait autant sur moi", s'attriste Hannah.
Une humeur à laquelle s'accorde Lucie, même si les réflexions plutôt idiotes qu'on a pu lui décocher lui donnaient (un peu) moins envie d'hurler. Il faut dire qu'elle a eu le temps de s'y habituer, en un an. Mais au début, elle a tout vu défiler. "On m'a demandé si c'était politique comme choix, ou si je voulais juste économiser du shampoing, les gens m'ont dit qu'ils aimaient ou qu'ils n'aimaient pas (ça me fait une belle jambe !). On m'a même fait remarquer que pour une femme, les cheveux courts étaient à la mode", énumère la vingtenaire. La moindre voix, masculine ou féminine, y va de son grain de sel pour attribuer un sens à une décision qui ne lui appartient pas. Et surtout, à une histoire, intensément personnelle.
Car notre expérience capillaire reflète ce que nous sommes, nos racines (dans tous les sens du terme) et nos convictions. D'où l'impolitesse de ces critiques qui, sans pudeur, contestent la légitimité des coupes "pas assez féminines". Et les racines de Lucie, elles, se trouvent du côté du lâcher-prise. A l'écouter, "les femmes qui décident de se raser la tête se libèrent des idées reçues sur la beauté, et s'offrent une bonne occasion de repartir à zéro". Un bien-être mental donc, mais physique aussi, lorsque, délicatement, on effleure son crâne du bout des doigts. C'est agréable, on respire, enfin.
"C'était très empouvoirant de sentir la tondeuse", nous avoue Juliette. A 25 ans, elle semble comblée. Après plusieurs années de cheveux portés très courts et une teinture rose fluo, elle s'est finalement rasée la tête. Et pas simplement pour cet effleurement feel-good évoqué plus haut. "Je l'ai fait à un moment de ma vie où je prenais conscience de ma bisexualité. J'avais besoin de correspondre à une image un peu stéréotypée pour me sentir légitime", détaille-t-elle. Cette quête de soi qui passe à travers le sacrifice des mèches revêches, elle l'associe également à son passage dans le monde des adultes.
Car loin de l'insouciance ado, se séparer de ses cheveux est une décision conséquente et visible. Juliette le sait, et elle l'assume. Quitte à s'accoler un autre stéréotype, "celui de la féministe aux cheveux courts !", plaisante-t-elle. Un cliché qu'elle se réapproprie joyeusement en y plaquant sa propre histoire, complexe et riche de sens. "C'est comme si je me mettais volontairement en dehors des injonctions à la féminité traditionnelle et de tous ses schémas classiques, en coupant simplement quelques centimètres", nous raconte encore Juliette. Amusée, elle ne cache pas sa joie à l'idée d'avoir pu intégrer "le club des femmes badass aux cheveux rasés !".
Et ce sont bien souvent ces badass emblématiques qui donnent envie aux vingtenaires enthousiastes de sauter le pas. Des "dures à cuire" qui ont façonné notre culture populaire et écrivent, à leur manière, les grandes révolutions féministes d'aujourd'hui. Rose McGowan par exemple, icône de notre adolescence (Charmed, The Doom Generation) et figure de proue du mouvement #MeToo, loin de baisser les armes face au prédateur sexuel Weinstein. Charlize Theron également, qui affiche un magnifique crâne rasé dans Mad Max : Fury Road. Avec le personnage de Furiosa, elle fait de ce look l'écrin des guerrières post-apo, émancipées de l'emprise masculine.
Mais d'autres stars encore, empreintes de convictions "pop-féministes", n'ont jamais hésité à prôner les vertus de la coupe courte, comme Rihanna, Michelle Williams ou Emma Watson. Qu'importe la longueur de leurs cheveux surmédiatisés : leurs combats respectifs (portant notamment sur le droit des femmes à disposer librement de leur corps) parlent déjà pour elles.
Certaines se reconnaîtront plus dans la catégorie "coupes garçonnes", de celle qu'aime afficher Anne Hathaway, cette working girl parfaite. L'une des grandes inspirations de Léa, qui en profite pour dégommer l'argument rasoir du "c'est pas assez féminin" : "Il suffit de penser aux cheveux courts d'Audrey Hepburn", nous dit-elle. "Au lycée j'avais envie de sauter le pas mais j'avais du mal à m'accepter, j'accordais trop d'importance à ce que les autres pensaient de moi. Puis j'ai appris à m'aimer, à me trouver jolie le matin, face à mon miroir. C'est un défi intéressant que l'on peut se lancer", explique cette jeune femme de 25 ans qui, bien entourée, n'a pas souffert des réactions malveillantes d'autrui.
Tout en s'épargnant les tifs qui chutent dans la douche et les brossages à répétition, celles qui arborent leur tête à l'air libre réapprennent à s'observer. C'est encore le cas de Fanny, 26 ans, qui apprécie la dimension androgyne de ce look, dont elle a pu constater la popularité croissante au sein du milieu queer. "Mon copain me dit parfois : 'Tu es vraiment non-binaire comme ça !', et ça me fait plaisir", sourit-elle. Mais les amies de sa mère, elles, la trouvent "plus femme" ainsi. Preuve en est que ce style transgresse des catégories déjà désuètes et s'inscrit, l'air de rien, dans une forme de fluidité des genres absolument moderne.
C'est certain, la coupe courte déboulonne les codes, bien inconsciemment parfois. Pour Fanny qui, ado tapissait les murs de sa chambre de posters d'Alyssa Milano (autre icône de l'époque Charmed et de la révolution #MeToo, le cheveu court lui va si bien soit dit en passant), notre apparence capillaire n'a rien d'une simple coquetterie, non : "Ma coupe m'appartient, elle est une partie de ce que je suis", nous dit-elle avec assurance. Fluide.
Un look d'autant plus fluide d'ailleurs que chacune l'accueille à sa manière. Il suffit d'écouter Anouk pour s'en rendre compte. Cette vingtenaire a testé la "boule à Z" par insouciance, afin de s'alléger en période caniculaire, mais aussi parce que cela correspondait tout à fait à sa vision libre du corps féminin. Spoiler alert, l'expérience lui a plutôt déplu. Au bout de deux-trois semaines seulement, "le côté rasé-rasé" plutôt audacieux a laissé la place à un centimètre de cheveux, un petit quelque chose qui repousse n'importe comment. Ce qui est loin de ravir Anouk qui, dans la glace, ne se reconnaît plus. Et se dit qu'elle a sacrifié ses "cheveux cool" pour pas grand chose.
"La repousse dure si longtemps ! C'est cher payé pour un petit truc amusant", avoue-t-elle aujourd'hui, quelques mois après le début de ce "challenge". "Il y a un certain discours empouvoirant qui se diffuse à propos de ce choix : c'est génial, ça fait se sentir différente, belle... Mais moi, je me trouvais déjà jolie avec mes cheveux, sans avoir besoin de me mettre des bâtons dans les roues", rit-elle sans détour. Il faut dire que cela fait longtemps déjà qu'Anouk est en paix avec son apparence. Dans son entourage, nombreuses étaient celles à louer les vertus girl power du look "tête rasée" - un juste retour des choses face aux railleries les plus sexistes. Mais ce qui avait tout d'une révolution lui est apparue comme une injonction de plus. "Avec mes cheveux, j'ai déjà confiance en moi, et je ne me sens pas complexée. D'ailleurs, je me suis rasée le crâne comme si je me faisais une frange", poursuit-elle.
Ce satané temps de repousse, Léa ne le connaît que trop bien. "C'est une phase horrible où tes cheveux ne ressemblent a rien et ou tu ne peux pas y faire grand chose", déplore celle qui a tout essayé pour accélérer la pousse ("L'huile de ricin, l'huile d'ail, le silletum (un complément alimentaire qui fonctionne très très bien) !"), même les pires astuces de grand-mère. Et puis, soit dit en passant, il y a aussi les sensations moins agréables du froid, l'hiver. Bref, se raser la tête quand on est une femme n'a donc rien d'une évidence. Mais à travers chaque expérience, c'est une subjectivité qui s'exprime. Une subjectivité qui a d'ailleurs guidé le choix initial de le faire "ou pas". C'est ce choix, ambivalent et contradictoire, qui rend ce geste si féministe.
Et ce n'est pas Hannah qui nous dira le contraire. De cette expérience, elle ne retient pas que les mauvais côtés, loin de là. Elle se souvient par exemple de ce gain de temps "incroyable" le matin, "et cette assurance d'avoir des cheveux en superbe santé quand ils repoussent". De quoi lui donner envie de recommencer. Et si elle hésite encore, par peur de devoir (de nouveau) affronter les réflexions des autres, cela ne l'empêche pas de nous l'affirmer, avec ferveur : "Je recommande à toutes les femmes qui m'en parlent de se raser le crâne. Et de plus en plus le font. Heureusement ! J'espère qu'ainsi, c'est plus accepté qu'avant".
Beaucoup encore, sans doute, viendront agrandir les rangs des "badass".