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Pourquoi regarder "Chair tendre", la série sensible dont l'héroïne est intersexe
Publié le 9 octobre 2022 à 10:15
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
"Chair tendre" suit les amours et les questionnements intimes de Sasha, ado intersexe. Une très jolie série diffusée sur France.tv Slash qui explore un sujet méconnu, justement récompensée au festival Séries Mania 2022.
Sasha (Angèle Metzger) dans "Chair tendre" Sasha (Angèle Metzger) dans "Chair tendre"© Jerico
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Sasha, 17 ans, vient de débarquer au lycée en avril. Voix caverneuse et sourire maussade, elle tente de masquer sa timidité derrière un humour pince-sans-rire : "Je sais jouer Kanye West à la flûte à bec", lance-t-elle devant sa classe, frondeuse. Mais que cache cette mystérieuse nouvelle élève au numéro de téléphone tout neuf ? C'est au sein du cocon familial que Sasha peut enfin lever le voile sur son secret : Sasha est intersexe. Ni fille, ni garçon. Elle est inclassable, pas étiquetable. "J'ai tout, j'ai trop. Au final, j'ai rien", souffle-t-elle, impatiente qu'on lui enlève ce "truc pas normal entre les jambes" lorsqu'elle aura la majorité.

Comment vivre ce grand flou lorsqu'on traverse déjà le chaos adolescent ? Chair tendre, diffusée sur France.tv Slash, suit cette héroïne singulière aux prises avec ses questionnements intimes, ballotée au gré de ses désirs en ébullition, de sa colère et de sa troublante fluidité. Au fil de ces dix épisodes de 26 minutes, cette série à fleur de peau raconte les tourments d'une poignée d'ados et le tourbillon de la quête d'identité avec une délicatesse folle. Une oeuvre sensible et originale, portée par un casting remarquable, qui a remporté le prix de la Meilleure série française au festival Séries Mania 2022.

Nous avons échangé avec la créatrice Yaël Langmann à propos de cette oeuvre et sur les défis à explorer la question de l'intersexuation, qui concerne 1,7% des naissances par an.

Terrafemina : Comment vous est venue cette envie de parler d'intersexuation ?

Yaël Langmann : Quand j'avais à peu près l'âge des personnages de la série. J'étais dans une bande de copains où chacun·e était assez aligné·e avec son genre et sa sexualité. Un ami a découvert qu'il était intersexe à l'occasion d'un examen médical assez anodin. A l'époque, le mot n'existait pas, on parlait d'"hermaphrodite", mot auquel sont accolées des notions de bizarrerie et d'étrangeté.

Brusquement, ce garçon, qui était extrêmement bien dans ses baskets, a connu un effondrement identitaire terrible qui a redistribué les cartes de son rapport au monde. Il ne savait plus comment il s'appelait, comment il se présentait aux uns et aux autres. Et il s'est mis à développer une sensation d'anormalité et d'inadaptation énormes. Ca a été insupportable d'assister à ça. Depuis, la question m'a habitée.

Commente expliqueriez-vous ce qu'est l'intersexuation ?

Y.L. : C'est une personne dont les caractéristiques sexuelles primaires et secondaires (les organes génitaux, les hormones, les chromosomes, la pilosité, la poitrine...) ne rentrent pas dans ce que le médical ou le social définissent comme masculin ou féminin.

On naît intersexe, on ne décide pas de l'être. Et c'est quelque chose que le corps médical considère encore comme une "anomalie" alors qu'une personne intersexe n'a pas de maladie et n'a pas besoin d'être réparée.

Ces personnes peuvent-elles choisir leur sexe ?

Y.L. : Les médecins refusent souvent de laisser l'enfant en situation d'intersexuation, quand elle n'a pas d'organes définis totalement masculin ou féminin. On a appris à ces docteurs qu'il fallait "réparer" ces enfants, que leur corps n'était pas valide. Du coup, ils pratiquent des chirurgies d'assignation pour "refabriquer" un pénis ou un vagin, opérations qui sont considérées aujourd'hui comme des mutilations.

En général, ces opérations font sauter tous les centres du plaisir. Et surtout, quand on enlève des gonades qui fonctionnent, on crée des personnes malades qui vont avoir besoin de suivre des traitements à vie. Les médecins se concertent entre eux pour assigner un sexe à l'enfant, mais c'est totalement arbitraire. Et souvent, ils n'informent pas les parents qu'ils pourraient avoir le choix entre laisser l'enfant décider plus tard ou prendre la décision éclairée ensemble.

Sasha, le personnage intersexe de la série "Chair tendre" © France TV
Vous vous êtes questionnée sur votre légitimité en tant que femme cisgenre pour raconter l'histoire d'une personne intersexe. Du coup, comment travaille-t-on pour écrire une série sur un sujet aussi délicat ?

Y.L. : Je me suis d'abord demandée ce qui m'intéressait au fond de moi dans cette histoire. Qu'est-ce qui me touche profondément dans cette histoire ? Une fois que j'ai fait cette introspection, je me suis dit que ma démarche était sincère, même si certainement maladroite. Très en amont, avant même d'avoir écrit une ligne de scénario, je me suis mise en contact avec le Collectif Intersexe activiste dont le·a co-fondateurice Loé Petit est devenu·e notre consultant·e. Son regard, sa patience et sa générosité ont été nécessaires pour appréhender au mieux les choses.


Avec Loé, on était d'accord que nous ne voulions pas faire un documentaire, mais une fiction qui puisse être compréhensible par le plus grand monde- à la fois par les personnes pas du tout concernées par le sujet, mais aussi par les personnes concernées. Et il ne fallait pas que celles-ci se sentent trahies. Nous ne voulions pas d'un show médicalisant, pathologisant, mais faire une série de pop-culture qui puisse peut-être permettre à des gens qui se questionnent d'aller chercher des réponses.

On sent tout de même une démarche pédagogique au coeur de la fiction.

Y.L. : L'idée était que la situation de Sasha ne perde pas le spectateur : on donne des clés d'accès assez basiques sur la situation d'intersexuation qui permettent d'appréhender ce qui se passe dans la tête du personnage.

Evidemment, il y a tellement plus de choses et de subtilités à dire sur l'intersexuation que ce que nous avons dit dans Chair tendre... Mais l'envie première était de mettre un coup de projecteur sur l'intersexuation afin que des drames comme celui vécu par mon ami durant mon adolescence ne se reproduise jamais.

L'actrice cisgenre Angèle Metzger interprète Sasha. Pourquoi ne pas avoir choisi une personne intersexe pour ce rôle ?

Y.L. : Au moment où nous avons fait passer les castings, nous avons évidemment contacté des agences classiques, des associations trans et intersexes. Et nous n'avons eu absolument aucun retour, pour une raison extrêmement simple : en général, les personnes intersexes découvrent leur intersexuation au moment de l'adolescence, un âge où l'on commence à confronter la "normalité" de son corps à l'autre. Et le choc est tellement violent que l'idée de s'outer dans le monde en tant que personne interexe est inenvisageable.

L'outing intersexe engendre une série de violences monstrueuses- je pense notamment aux réseaux sociaux. Finalement, si nous avions trouvé quelqu'un, nous aurions dû avoir de très longues conversations avec la jeune personne pour discuter de son exposition.

Comment avez-vous choisi Angèle Metzger ?

Y.L. : J'ai contacté la directrice de casting très tôt et c'est elle qui m'a conseillé de regarder le travail d'Angèle. En effet, elle a une présence magnifique, elle est sublime. Mais nous avons quand même fait passer un casting, auditionnant des garçons, des filles, des personnes en transition, des personnes transgenres... Après avoir vu énormément de monde, c'est Angèle qui l'a emporté à l'unanimité : c'était la plus juste, la plus sensible, la plus sensée.

Comment a-t-elle travaillé ?

Y.L. : Quand je l'ai rencontrée, elle bossait sur son mémoire de philosophie dont le sujet était "La métamorphose des sexes". Elle s'interrogeait sur la représentation sociale du genre et l'impact que ça peut avoir sur la considération d'une personne. Elle était donc déjà très au fait de ces questions-là.

Angèle a pu longuement échanger avec Loé Petit et Lysandre Nury, les cofondateurices du Collectif Intersexe activiste. Elle a abordé son travail avec beaucoup d'humilité, s'interrogeant sur sa légitimité. Elle a donc beaucoup travaillé et a eu l'intelligence de poser des questions intelligentes aux personnes qu'il fallait. Elle a été bluffante.

Au-delà d'une série sur l'intersexuation, Chair tendre est une jolie série sur l'adolescence, la quête d'identité.

Y.L. : Absolument. Quand on est contrarié·e dans son rapport au corps à cet âge-là, c'est comme vivre une "méta-adolescence". On vit le mal-être adolescent puissance 1000, notamment avec cette envie de se normaliser et ce sentiment de singularité absolu inhérent à la jeunesse.

L'idée de Chair tendre, c'était aussi de créer une galerie de personnages qui sont tous très différents, mais ont tous les mêmes problématiques de rapport à la norme et partagent ce sentiment de "monstruosité" avec Sasha. En ce sens, la série s'adresse à toutes les personnes, qu'elles soient affirmées dans leur sexualité, leur genre ou leur identité ou pas.

Pourrait-il y avoir une saison 2 ?

Y.L. : Je trouve que la série est plutôt "bouclée" à la fin des dix épisodes. Mais depuis, nous avons gagné un joli prix au festival Séries Mania et les retours sont super. Sur l'intersexuation, nous sommes restés assez basiques, il y aurait encore plein d'autres choses à raconter. L'envie de continuer à faire vivre ces personnages et de les accompagner est bien sûr énorme. Mais on va attendre que la série s'installe un peu et voir si le public s'en empare. Dans ce cas-là, on y retournera avec plaisir !

Chair tendre

Disponible sur France TV Slash

Une série de Yaël Langmann

Avec Angèle Metzger, Saül Benchetrit, Paola Locatelli, Daphné Bürki...

 

Mots clés
series LGBTQI genre discrimination interview television
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