La première fois que Charline a évoqué l'idée à son partenaire, la réaction de Tanguy a été sans appel : "un 'non' ferme et définitif, suivi d'un petit rire gêné", se souvient cette jeune femme de 34 ans. "Il m'a dit : 'ça va pas ou quoi ? Tu crois vraiment qu'on a besoin de ça ?' J'avais très envie de répondre que oui mais je sentais bien que ça touchait une corde sensible, comme s'il se sentait moins capable, moins 'homme' presque..." Alors, elle n'a rien dit, et a préféré ne pas heurter la sensibilité de celui qui, elle nous le confie, ne la satisfait pas tout à fait au lit.
Des témoignages comme celui-ci, il y en a des tas. Il n'y a qu'à demander autour de soi à ses amies hétérosexuelles en relation (sérieuse ou non) avec des mecs cisgenres pour se rendre compte de ce que le sextoy incarne dans l'imaginaire masculin. Pour beaucoup, apparemment, c'est une menace. Un objet qui ferait naître des sentiments d'insécurité multiples, lesquels prennent racine dans une virilité toxique dont on aimerait bien se débarrasser - et pour de bon.
Du coup, on s'est posé la question : pourquoi, exactement, les hommes considèrent-ils les sextoys comme leurs rivaux alors que jusqu'à preuve du contraire, ils ne sont qu'un bout de plastique à piles (certes très doué, mais tout de même dénué de toucher humain) créé pour le bien commun ? Réponse.
A croire Nicoletta Heidegger, sexothérapeute certifiée, tout part d'un sexisme profondément ancré dans nos sociétés, et d'une vision archaïque de ce qu'est "un homme".
"Il y a une pression pour être 'bon' en matière de sexe et sans une éducation sexuelle complète et des récits misogynes, beaucoup d'hommes pensent que cela fait d'eux moins qu'un homme si leur partenaire "a besoin" ou veut un jouet sexuel", développe l'experte pour HypeBae. "En raison de cette pression, certains hommes cis assimilent le désir de leur partenaire pour les jouets sexuels à un signe qu'ils ne peuvent pas satisfaire leur partenaire et qu'ils peuvent être remplacés."
C'est justement ce que nous évoque Thibault, 26 ans. "J'ai peur d'être moins bon que son vibro !", lâche-t-il après qu'on ait insisté pour savoir ce qui le retenait de tenter le coup. "Vous imaginez si elle se rend compte que son Womanizer fait mieux le taf que moi ? Je sers à quoi après ?" Un sentiment partagé par Tanguy, commente Charline. Et par une ribambelle de leurs semblables.
D'ailleurs, d'après une étude publiée dans le Journal of Sexual Medicine, 47 % des femmes attendraient au moins un an pour présenter l'idée de faire l'amour avec un sextoy à leur compagnon. Et ce, malgré la jouissance évidente qu'elles en tireraient.
"C'est souvent une affaire d'égoïsme et une affaire de propriété", confirme Nicoletta Heidegger. "Que moi, en tant que partenaire, je sois le pourvoyeur et le gardien de ton plaisir et que ton rôle soit de nourrir mon ego sur la façon dont je suis bon". Virilité toxique, on le disait.
"Ce qui m'effraie le plus", admet Erwan, 40 ans, "c'est de n'avoir aucune idée de comment le faire marcher, d'où le mettre, de quand l'intégrer à nos rapports". Une peur qui rejoint celle de ne pas être celui qui maîtrise, qui éduque, qui contrôle, pour revenir au stade, plus humble, d'apprenant vulnérable ? Ça semble être le cas, aux dépens du plaisir de sa compagne qui, à écouter le quarantenaire, "le bassine avec ça". ("Ça" signifiant certainement "améliorer la qualité de leur sexualité qui n'est peut-être pas à son goût", s'est-on, à tort, gardée de lui répliquer).
"Mais j'avoue que je devrais peut-être mettre mon ego de côté pour explorer ce terrain-là", poursuit-il rapidement. Ce qui le convainc ? "Le fait d'en avoir discuté avec mes potes qui ont dédramatisé l'idée, en quelques sortes. Je commence de plus en plus à l'envisager comme un plus qu'un signe d'une impuissance fantasmée". Tant mieux.
Pour Benjamin, 31 ans, cette association est justement un réflexe à déconstruire d'urgence. Il l'affirme : les rapports avec sa femme n'ont jamais été aussi "intenses" et "fous" depuis qu'il a accepté d'avoir recours à l'engin qui la fait frémir, elle. Et désormais, lui. "Au début, j'avoue que j'étais fébrile", nous explique-t-il par téléphone. "Mais je me suis vite laissé tenter quand Chloé (sa femme, ndlr) m'a assuré que ça l'exciterait encore plus, et qu'il fallait l'envisager comme un atout plutôt qu'une concurrence".
Depuis, leurs ébats ont clairement "gagné en sensations". "On s'est ouvert à plein d'expériences nouvelles, plein de jeux, d'accessoires en tout genre. On réinvente nos moments sous la couette et notre relation n'en est que plus forte, j'ai l'impression".
S'il regrette aujourd'hui avoir eu besoin d'être rassuré sur sa capacité à lui donner du plaisir par "la simple action de [son] pénis", plaisante-t-il, il encourage ses pairs à passer le cap sans rechigner lorsque l'occasion se présente. "Déjà parce que vous n'en serez pas moins homme, en fait", argumente-t-il en levant les yeux au ciel, "et aussi parce que tant que votre copine et vous prenez un pied de dingue, en quoi le fait qu'un objet vous y ait aidé rendrait l'expérience moins vibrante ?" Ça, on se le demande encore. Reste à se lancer.