Chaque année, le magazine américain Forbes met au point des listes très attendues des personnalités et entrepreneur.es les plus influent.es au monde. "Forbes' 30 Under 30" pour les plus jeunes," Forbes' Billionaires List" pour les plus riches, et désormais "Forbes' 100 Most Innovative Leaders" (Les 100 leaders les plus innovants), pour les PDG d'industries technologiques principalement. Sans grande surprise, on y retrouve les géants tels que Jeff Bezos (PDG d'Amazon) et Mark Zuckerberg (PDG de Facebook) ou encore Elon Musk, PDG de SpaceX et DG de la marque de voiture électrique Tesla.
Ce qui est plus surprenant - et révoltant - en revanche, c'est l'absence quasi totale de femmes au compteur. Seulement une, Barbara Rentler, PDG de la chaîne discount Ross Stores, a été sélectionnée par l'équipe derrière le classement. Un constat sexiste qui n'a pas manqué de déchaîner la fureur des consoeurs de l'unique élue, notamment sur Twitter, où de grands noms de l'entrepreneuriat ont exprimé leur stupéfaction.
"Sérieusement @Forbes, à quoi pensiez-vous ?" a tweeté Sarah Robb O'Hagan, l'ancienne PDG du studio de cyclisme Flywheel Sports et ancienne présidente d'Equinox gyms. "Je peux trouver 100 femmes à ce niveau sans même googler. DÉBROUILLEZ-VOUS." Même déception pour la PDG du réseau social Nextdoor, Sarah Friar, qui siège également au conseil d'administration de Slack et Walmart : "J'ai d'abord pensé qu'ils avaient peut-être une liste d'hommes et de femmes" - message suivi d'un emoji qui se tape la tête.
Ce déséquilibre flagrant revient surtout à se demander comment le classement a été effectué, et sur quels critères se sont basés les jurés qui l'ont mis en place. Selon le Vogue US, ses auteurs ne sont autres que trois hommes : deux professeurs d'école de commerce et un consultant, qui se sont penchés sur quatre facteurs. La réputation des médias en matière d'innovation, les relations sociales et le capital, les antécédents en matière de création de valeur et les attentes des investisseurs en matière de création de valeur. Trois hommes qui n'ont vraisemblablement pas cherché bien loin.
Devant un tel tollé, Forbes a décidé de publier un mea culpa.
Le 8 septembre, le rédacteur en chef du magazine, Randall Lane, a ainsi signé un papier intitulé "Opportunity Missed: Reflecting On The Lack Of Women On Our Most Innovative Leaders List" ("Occasion manquée : Réflexion sur le manque de femmes dans la liste de nos leaders les plus innovants").
Il y reconnaît les torts du magazine et de son équipe, tout en assurant que le message qui est ressorti de la liste n'est pas celui que la publication souhaitait véhiculer : "La vague de mécontentement a été menée par une foule accomplie, dont beaucoup de femmes que je connais et respecte. Je ne pourrais pas leur en vouloir : le message social de base - que les rédacteurs en chef de Forbes ont choisi 100 leaders innovateurs, tout en n'incluant qu'une seule femme - me mettrait en colère aussi. Bien sûr, ce n'est pas ce qui s'est passé."
Il poursuit ensuite en décrivant davantage la méthodologie appliquée, avant de se pencher sur les problèmes plus généraux de l'industrie qui ont alimenté l'erreur : "Les femmes, comme nous le savons tous, sont peu représentées au sommet des plus grandes entreprises (seulement 5 % de l'indice S&P 500 - indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux Etats-Unis, ndlr) et sont encore plus mal classées parmi les sociétés de technologie publiques en croissance. En d'autres termes, malgré notre méthodologie soigneusement calibrée, les femmes n'ont jamais eu beaucoup de chance ici."
Bien que rejeter la faute sur l'industrie ne soit pas entièrement satisfaisant, Randall Lane avoue que Forbes aurait dû être plus soucieux et rigoureux quant à la parité de la sélection. Il évoque ainsi les progrès que le magazine a récemment fait concernant l'inclusivité - notamment en publiant des listes dédiées aux femmes, à l'instar de "Forbes' America's Richest Self-Made Women", qui avait élu la jeune Kylie Jenner sur la première marche du podium en début d'année. Et assure qu'il oeuvrera différemment à l'avenir concernant les leaders innovants.
On regrette seulement que le progrès en ce sens nécessite une réaction houleuse sur Twitter, et qu'en 2019, on ait encore besoin de faire remarquer haut et fort que quelque chose ne va pas quand seule une femme apparaît dans un tel classement. "Si votre méthodologie n'a élu qu'une seule femme parmi les 100 leaders les plus innovants, vous auriez évidemment dû la remettre en question plutôt que de la publier", a ainsi répliqué Valerie Jarrett, ancienne conseillère principale du président Obama à la Maison-Blanche.