A la fin de ma conférence, j'ai parlé de Olive Kitteridge (jouée par Frances McDormand), qui pour moi est l'un des meilleurs personnages féminins actuel. C'est une femme de 60 ans qui vit dans une toute petite ville américaine, qui est froide, grincheuse, mais qui reste pour moi un personnage fort. Bien sûr, je pense aussi à Hannah (incarnée par Lena Dunham) dans Girls. Elle m'agace énormément, mais je trouve que c'est un personnage féminin très complexe. Et puis dans les personnages plus anciens, j'appréciais beaucoup C.J Cregg (interprétée par Allison Janney) dans la série A la Maison Blanche.
Pour moi, Sex and The City est l'élément déclencheur qui a changé la manière de regarder la sexualité féminine. Même si je trouve que cette série à ses limites, elle a permis à HBO de voir que ça marchait et elle a en même temps montré qu'on pouvait parler de sexualité féminine de manière plus franche.
Je pense qu'il y a énormément de choses qui ont changé. Sex and The City était toujours tournée autour du personnage de Carrie Bradshaw qui cherchait le prince charmant. Même si les personnages féminins s'éclataient sexuellement, il y avait toujours l'idée qu'il fallait trouver l'homme avec qui on allait faire sa vie. Alors que par exemple dans une série comme Girls, on est plus du tout dans ce schéma-là. Elles sont plus jeunes donc ce n'est pas totalement la même chose, mais il y a quand même un écart. En fait, Girls est beaucoup plus ancrée dans une normalité. Et puis Carrie Bradshaw et ses copines étaient quand même assez impressionnantes ! Pour les femmes françaises qui ont grandi avec cette série, c'était quand même hyper exotique. Il y avait New York, les filles avaient beaucoup d'argent, elles sortaient dans les meilleurs bars, et elles s'éclataient toujours au lit. Mais cette liberté-là venait aussi avec un pouvoir d'achat. Alors que dans Girls, on a affaire à des filles qui ne sont clairement pas fauchées, mais on est quand même plus dans la middle class et c'est plus facile de créer des liens avec ces personnages-là.
Je pense que oui. Par exemple, il y a la série anglaise The Fall où Gillian Anderson joue une femme flic féministe mais féminine. Et là, on va encore plus loin dans la déconstruction des stéréotypes. Mais ce genre de séries qui viennent d'outre-manche viennent aussi du câble et peuvent donc se permettre de montrer des choses qu'on ne pourrait pas montrer sur TF1 par exemple. Et puis il y a Netflix et Amazon qui sont des nouvelles forces de frappe. Je pense qu'en France on a un peu de retard, mais ça va arriver. Par exemple récemment, France 2 a diffusé la première saison des Témoins, une série qui a permis de montrer que le personnage de femme flic était de plus en plus intéressant. Certains clichés commencent à disparaître, donc je pense qu'on est en bonne voie.
J'en parlais tout à l'heure : Olive Kitteridge est justement le contre-exemple parfait. Après c'est vrai que Daenerys Targaryen (jouée par Emilia Clarke), on l'a beaucoup vue nue au début de Game of Thrones, ce qui n'arrive maintenant plus jamais. C'est vrai que la nudité fait vendre. Mais certaines séries, dont celles citées lors de ma conférence (Masters of Sex, The Affair, Togetherness, Girls), la nudité n'est pas gratuite. Ce n'est pas seulement pour faire des scores d'audience, c'est aussi pour montrer des choses à propos du personnage féminin. Je pense qu'aujourd'hui, on est plus dans des normes. On n'a plus besoin d'être belle et sympa pour être le personnage principal d'une série. On peut être un peu grosse, un peu soûlante, et passionner quand même le public.
Pas forcément. Je pense à la série Togetherness écrite par les frères Duplass. Ils parlent très bien de la sexualité féminine, mais en même temps j'ai lu une interview d'eux dans laquelle ils expliquent que c'est parce qu'ils sont mariés tous les deux depuis dix ans qu'ils ont pu écrire des personnages féminins aussi réels. Sinon, ils n'auraient jamais réussi. Ce n'est pas forcément une question de genre, ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on écrit bien les personnages féminins. Je pense que ça vient surtout des qualités d'observation et du fait d'être entouré par des bons scénaristes.
Je pense que c'est les deux. Sur 3 000 scénaristes aux Etats-Unis travaillant sur des séries, seulement 781 sont des femmes. Evidemment, il y a très peu de femmes qui écrivent, et en plus, il y a peu de femmes qui produisent. Donc les décisions sont la plupart du temps prisent par des hommes. Et puis la sexualité féminine, c'est quelque chose qui fait peur, ça montre des femmes qui sont en contrôle et qui ont donc du pouvoir. Donc je pense que ça dépend vraiment de ce que la chaîne a envie de montrer parce que ça a une influence énorme. Dans les gros networks comme ABC, il y a des progrès qui ont été faits grâce notamment à Shonda Rhimes (créatrice de Grey's Anatomy, Scandal et How To Get Away With Murder). Grâce à elle, on a eu d'un coup des femmes qui sont des personnages principaux, et surtout des personnages féminins très forts. Après, la sexualité est toujours évoquée mais elle n'est jamais montrée. C'est clairement lié au fait que montrer un sein aux Etats-Unis, c'est très compliqué. En France, on est habitué. Dès qu'on voit une pub pour un savon, on voit aussi des seins. Aux Etats-Unis, le sein est toujours sexualisé. Donc c'est compliqué de montrer ça sur les gros networks, mais le principal, c'est qu'on a maintenant des personnages féminins forts, intelligents, des femmes qui sont performantes et qui servent d'exemple.
Quand on est une femme et qu'on a envie de savoir comment faire l'amour, comment jouir, savoir comment les relations sexuelles se passent, on se rend compte qu'il est très difficile d'avoir accès à ces informations. On ne nous l'apprend pas à l'école. On nous dit qu'il y a un pénis et un vagin, on nous parle de la fonction reproductrice du corps de la femme, mais on ne nous parle pas du plaisir féminin. Donc pour savoir comment les femmes arrivent à avoir du plaisir, c'est hyper compliqué. Là, on a 50 Shades of Grey qui est un vrai phénomène et qui montre en fait le désir des femmes d'avoir accès à la compréhension sur le désir, elles veulent savoir comment on arrive à la jouissance. Il n'y a pas de manuel pour savoir comment faire l'amour. Les garçons absorbent beaucoup de porno... Bon, les filles aussi, mais la plupart du temps, le porno est centré sur le plaisir masculin. C'est la jouissance masculine qui marque l'arrêt, une fois que l'homme a éjaculé, l'acte sexuel est terminé. Donc c'est compliqué pour une femme de savoir vers où se tourner pour avoir d'autres exemples. Et c'est dans les séries qu'on voit d'autres actes sexuels qui ne sont pas forcément centrés sur le mode pénétration-éjaculation-acte terminé. Tout le monde regarde des séries maintenant, et je pense que les jeunes femmes peuvent s'éduquer à travers le petit écran.
Ce qui est sûr, c'est que c'est un sujet qui est pris de plus en plus au sérieux. Cela peut être traité avec humour ou avec plus de gravité, mais en tout cas, les séries montrent que la masturbation fait partie de la sexualité féminine. Et ça fait aussi partie de l'éducation sexuelle, de voir et comprendre que les femmes peuvent avoir du plaisir toutes seules, ou peuvent se masturber pendant l'amour avec leur partenaire. Il y a un épisode de Girls dans lequel Adam demande à Hannah de se caresser pendant l'acte et elle ne sait pas trop ce qu'elle doit faire. Ça montre que oui, c'est quelque chose qu'on peut faire pendant qu'on fait l'amour alors que c'est quelque chose qu'on ne voit pas d'habitude. Même si c'est des exemples qui sont encore un peu rares, c'est distillé de plus en plus et je pense qu'on va commencer à en parler plus facilement.
Oui, pour moi il y a un avant et un après Transparent. Jill Soloway (la créatrice de la série) fait quelque chose de révolutionnaire et dit beaucoup de choses sur notre société qui vont au-delà de la sexualité féminine ou masculine. Elle ouvre la voie et montre que dans notre société postmoderne on peut réfléchir à la famille, aux relations familiales et amoureuses. C'est rare d'avoir une telle justesse de ton dans les séries et elle montre des choses qui ne sont pas forcément familières pour tout le monde. Avoir un parent transsexuel, ça n'arrive pas à tout le monde. Mais elle nous raconte cette histoire avec une telle ouverture d'esprit, avec tellement d'humour, avec une telle intelligence, qu'elle réussit vraiment à faire changer les mentalités. Selon moi, c'est extraordinaire.
Oui, ça montre une évolution. Mais le problème de ces cérémonies, c'est qu'on se dit que tout est réglé alors que c'est loin d'être le cas. Le red carpet, c'est important pour montrer que ça existe, pour donner envie aux gens de regarder ces séries qui ne réunissent pas forcément des millions de téléspectateurs comme par exemple Transparent. Mais il ne faut pas oublier que ces programmes forment une minorité et qu'on arrive à les citer sur nos dix doigts. Une fois que ce ne sera plus le cas, là on pourra parler d'évolution à Hollywood.
Dans mes derniers coups de coeur il y a Transparent et Togetherness. J'ai aussi beaucoup aimé une série dont on a très peu parlé et qui s'appelle Halt and Catch Fire. C'est une série diffusée sur AMC où les personnages féminins sont très intéressants. Ce n'est pas du tout sur la sexualité mais en tout cas je trouve qu'il y a une belle parité dans le casting avec deux personnages masculins et deux personnages féminins principaux passionnants. Enfin, je conseille aussi The Honourable Woman et Olive Kitteridge.