"Excusez-moi", "Pardon, oui je sais, c'est ma faute", "Merci beaucoup, oui désolée"... Chaque jour, des dizaines, voire des centaines de fois, vous vous excusez, sans relâche. Parce qu'on vous a bousculée aux toilettes, que vous croisez votre boss et que vous ne savez pas quoi dire (euh... bonjour ?), ou qu'on vous demande quand vous comptez rendre le bilan hebdo alors qu'on n'est pourtant que lundi. C'est comme ça, vous êtes bien élevée, pensez-vous à raison. Pourtant, il est un fait : s'excuser à tout bout de champ, qui plus est lorsqu'on n'est absolument pas en tort, n'est pas constructif, et ne vous attirera pas la bienveillance de vos congénères, ainsi que vous pouviez le supposer. Au contraire, peut-être s'habitueront-ils à votre éternelle contrition, comme on n'écoute plus des rabrouements trop souvent exprimés, ceux-ci perdant alors leur force initiale, éteignant peu à peu l'autorité ambitionnée de leur auteur. S'excuser pour tout et rien, en préambule de ses mails ou de ses prises de parole, témoigne souvent d'un manque de confiance en soi palpable que vos collaborateurs finiront pas ne plus pardonner, vous cantonnant sans même s'en rendre compte à ce rôle d'éternelle fautive prise dans les phares d'une voiture lors que les autres continuent leur petit bonhomme de chemin. En bref, trop de sorry tue la courtoisie, en particulier chez les femmes, plus souvent atteintes par cette désoladdiction que leurs homologues mâles*. Il va falloir agir.
Pas si simple, pourtant, car ce tic verbal, sans que vous en vous soyez forcément rendu compte, est devenu une véritable drogue, une béquille langagière qui vous permet de combler le vide, le blanc que vous redoutez tant, et vous en débarrasser ne va pas être aussi simple qu'il n'y paraît. Alors certes, un séjour en rehab n'est (pour le moment) pas envisagé, mais une petite feuille de route pour les prochains jours grandement conseillée.
Il y a quelques mois, un plug-in Gmail appelé "Just Not Sorry" a été lancé aux Etats-Unis et cartonne Outre-atlantique. Kézako ? Un gadget qui souligne dans vos mails les abus d'excuses, comme Word le fait avec vos fautes d'orthographe. En mars, la journaliste Céline Puertas testait une "sorry detox" hebdo pour le magazine Glamour. Comme il est aujourd'hui acté (si, si) qu'une bonne habitude s'acquiert en même temps qu'une mauvaise se perd, selon une durée canonique et gravée dans le Web exactement équivalente à 21 jours lunaires, nous vous proposons donc de suivre, ensemble, un véritable et très sérieux sorry défi detox !
Quoi ? Mais que va-t-il se passer ? Ne vais-je pas avoir l'air d'une ignoble malpolie, une diva, une sans-gêne ? A priori, non. Ca n'est pas parce que vous ne vous répandrez pas en excuses pour expliquer que vous n'avez pas eu le temps de finir votre rapport que la Terre s'arrêtera de tourner, pas plus que si vous vous contentez de sourire lorsque vous buterez contre un compagnon d'infortune dans le métro. A J zéro, comptabilisez vos excuses quotidiennes, pour avoir un pojnt de départ. Octroyez-vous deux jokers, que vous brandirez lorsque votre comportement abject et objectivement malvenu nécessitera réellement que vous demandiez pardon (rétrécissement de pull de conjoint, oubli d'anniversaire de BFF, renversage de café sur jolie robe neuve de collègue gentille).
Vous voilà désormais sevrée. Les premières journées sont les plus difficiles, vous le savez, et vous avez admirablement surmonté les pulsions qui vous ont assaillie à maintes reprises. Vous êtes maintenant mûre pour plonger au plus profond de vous-même et tenter de comprendre comment vous en êtes arrivée là.
Gabrielle Moss, une journaliste du site Bustle, avait fait l'expérience en 2014 de la sorry detox une semaine (tsss). Selon elle, le fait de présenter sans cesse des excuses à ses collaborateurs montrait surtout à quel point elle était peu sûre d'elle et de son travail. "Depuis que je travaille dans un bureau, j'ai toujours craint pour ma sécurité de l'emploi, et mes excuses étaient toutes basées sur la peur", explique-t-elle ainsi. D'autre part, le fait de s'excuser tient à une impression tenace d'illégitimité ressentie par beaucoup d'entre nous, atteintes du syndrome dit "de l'imposteur". En bref, vous vous excusez d'être là, et tentez de vous faire toute petite pour qu'on ne vous boute pas hors du sérail qui a eu l'obligeance d'accepter votre présence quotidienne. Jeune fille, il est temps de bomber le torse ! Vos amis, votre employeur, votre mec... vous les "méritez" certainement et ne les garderez pas plus sûrement en leur demandant régulièrement pardon d'exister.
Vous tenez, c'est bien. Vous avez également compris ce qui vous avait poussée à de telles extrémités contritionnelles, ce qui est encore mieux. Il va maintenant s'agir de faire durer tous les bienfaits de la cure de manière à ne pas replonger. Componctionnelle un jour, componctionnelle toujours, pensez-vous ? NON ! Votre ancien Sorry-Moi doit aujourd'hui s'excuser devant ce nouveau Vous plein d'assurance et de mesure langagière. Lorsque vous vous sentirez faible, fatiguée, ou face à une situation délicate qui pourrait vous faire replonger, tentez de :
- Arrêter de vous mettre à la place de l'autre. Peut-être n'avez-vous finalement pas causé de tort à votre interlocuteur. Tentez de connaître son état d'esprit avant de flageller votre dos nu à la ramette A3.
- N'anticipez pas les réactions. Attendez, évaluez, et pesez votre tort dans l'affaire qui vous occupe, et dont vous semblez être l'unique et indéfendable coupable (la porte des toilettes, c'est vous qui l'avez lâchée en premier, n'est-ce pas ? Vous devriez avoir HONTE).
- Répétez-le vous : vous n'êtes plus un(e) enfant (ni Serge Aurier). Même si vous êtes en tort, les excuses, c'est bien gentil, mais ça ne solutionne pas tout. Tentez donc de résoudre plutôt que de passivement déplorer vos dommages.
- Identifiez les personnes à risque : votre boss, votre collègue méchante, la foule métropolitaine, votre mec... Certains individus de votre entourage quotidien vous poussent davantage que d'autres à la faute. En leur présence, restez vigilante.
- Achetez-vous une belle tirelire, dans laquelle vous placerez un euro chaque fois qu'un pardon abusif s'échappera de votre digne personne. Reversez vos gains à une association comme les stars dans Fort Boyard.
- Changez de périphrases : quand vous entrez dans un bureau, plutôt que votre sempiternel "désolée de te déranger", optez pour un simple "tu as une minute ?". Vous avez le DROIT d'être là. Et si VOUS ne le pensez pas, votre interlocuteur sera, lui, persuadé du contraire.
Passés ces 21 jours durant lesquels vous vous serez purifiée, rebootée comme une Freebox toute buguée, réglez à nouveau vos paramètres. Parce que, évidemment, il ne s'agirait pas non plus de devenir une gougnafière. Et puis vous pouvez aussi dédramatiser en regardant cette merveilleuse vidéo :