À 18 ans, Dorsa Derakhshani est l'une des joueuses d'échecs les plus prometteuses au monde. Classée sixième au championnat du monde d'échecs des moins de 18 ans, elle avait intégré l'équipe nationale iranienne, avant que la Fédération d'échecs du pays ne l'expulse. La raison invoquée par les autorités iraniennes ? Lors du festival d'échecs de Gibraltar qui se déroulait du 23 janvier au 2 février, Dorsa Derakhshani a été aperçue sans hijab, le voile traditionnel iranien.
Depuis la Révolution islamique de 1979, l'Iran applique un code vestimentaire qui exige des femmes de couvrir leurs cheveux avec un voile islamique. Les autorités chiites ont mis en place une police religieuse, la Gasht e Ershad ("Police de la Vertu" en Persan). Cette dernière a notamment pour mission d'arrêter les femmes qui ne sont pas voilées de la tête aux pieds et les Iraniens vêtus à la mode "occidentale". Malgré un relâchement relatif des règles vestimentaires depuis l'arrivée au pouvoir du modéré Hassan Rohani, l'État veille toujours à ce que les femmes restent voilées, même à l'étranger.
Dorsa Derakhshani n'est pas la seule à s'est faite expulser de l'équipe nationale : son frère de 15 ans, Borna Derakhshani a lui aussi été renvoyé pour avoir joué contre Alexander Huzman, un adversaire israélien lors du même tournoi d'échecs. En effet, l'Iran ne reconnaît pas l'État d'Israël et interdit aux athlètes iraniens de concourir contre des athlètes israéliens lors de manifestations sportives internationales. Par le passé, les Iraniens ont régulièrement prétexté une blessure ou une maladie pour éviter d'affronter des rivaux israéliens.
Les mesures contre Dorsa et Borna Derakhshani ont été annoncées dimanche 19 février par Mehrdad Pahlevanzadeh, le président de la Fédération iranienne d'échecs. "Dans un premier temps, tous deux se verront refuser l'entrée à tous les tournois qui ont lieu en Iran et, au nom de l'Iran, ils ne seront plus autorisés à intégrer l'équipe nationale", a-t-il déclaré à l'agence de presse Fars News, prétextant vouloir servir avant "les intérêts nationaux". Il a ajouté qu'il n'y aurait pas de "clémence" possible envers ceux qui "piétinent les idéaux et les principes de l'Iran".
Dorsa Derakhshani étudie actuellement en Espagne et avait participé, de même que son frère, au tournoi de Gibraltar de manière indépendante. Dans un entretien accordé au site Beyond Chess fin décembre 2016, Dorsa était revenue sur l'obligation de porter le hijab pendant les tournois. Elle y expliquait avoir longtemps porté le hijab pendant les compétitions mais avoir arrêté car il "la dérangeait sérieusement car il était trop serré". Elle affirmait aussi qu'elle était autorisée à "utiliser une écharpe pour couvrir ses cheveux" et qu'elle ne voyait pas le problème à ce qu'une femme se retrouve seule avec un adversaire du sexe opposé lors d'une compétition "tant que la porte reste ouverte".
"Je ne suis certainement pas conservatrice là-dessus et je pense que nous ne devrions pas en faire une affaire d'état. Ceux qui s'opposent vraiment à ces mesures pour des raisons politiques sont libres de rester à l'écart. Cela n'aide vraiment personne et ça serait dommage pour l'événement lui-même !" Le président de la Fédération iranienne d'échecs devrait peut-être en prendre de la graine.