Société
"Victime de violences conjugales, voilà pourquoi je n'ai pas porté plainte"
Publié le 25 novembre 2019 à 13:29
Par Mylène Wascowiski
Cécilie, 48 ans, a été victime de violences physiques, verbales et psychologiques de la part de son ex-compagnon pendant plus de 10 ans. Des violences répétées pour lesquelles son agresseur n'a jamais été puni par la justice. Elle nous raconte aujourd'hui son histoire.
J'ai été victime de violences conjugales, voilà pourquoi et je n'ai jamais porté plainte J'ai été victime de violences conjugales, voilà pourquoi et je n'ai jamais porté plainte© Adobe Stock
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"Nous nous sommes rencontrés en 2007. Nous vivions alors une relation à distance, je travaillais à Paris et lui vivait en province. Les violences verbales ont commencé dès le premier jour, mais je ne les ai pas identifiées comme telles. Elles ont duré tout le long de la relation. J'ai subi des humiliations, du dénigrement, du chantage, des insultes pendant de longues années. Mais aussi des manoeuvres pour me couper de ma famille et de mes amis et un contrôle de tout, allant de de l'apparence physique, à la nourriture, l'habillement, les relations mais aussi la sexualité.

Notre entourage était au courant, mais ça, je ne l'ai réalisé que très tardivement. J'ai naïvement pensé qu'on donnait le change, mais personne n'était dupe. J'ai eu connaissance au moment de la rupture des antécédents en la matière de mon ex. Je me suis confiée à des amis communs et j'ai compris plus tard que certains lui avaient tout répété. Je l'ai payé très cher. Ma belle-mère - sa propre mère donc - m'avait mise en garde au début de la relation, mais je ne l'ai pas entendu à l'époque et ne l'ai pas compris de cette façon. Elle et le reste de sa famille ont coupé les ponts avec nous. J'ai su après qu'il les avait écartés pour m'isoler. Il savait très bien avoir des relations amicales et sociales très compartimentées, c'était plus simple de manipuler les gens et me faire passer pour une mégère. J'ai découvert que la majorité de ses connaissances n'ont découvert ma véritable personnalité qu'à notre séparation.

Les violences physiques ont commencé six ans après le début de relation et ont duré deux ans, avant que je ne le quitte. C'est quand les violences physiques ont commencé que j'ai voulu porter plainte, car avant ça, je ne me sentais pas en danger, à tort. Je consultais déjà régulièrement des forums psycho et sexo depuis le début de notre relation et j'étais en contact avec une association d'aide aux femmes. J'avais donc conscience que ça n'allait pas, mais je pensais c'était moi le problème, qu'il y avait quelque chose à comprendre et à solutionner pour aider mon conjoint. Mais il ne voulait pas d'aide de ma part, tout allait bien pour lui.

"Je me suis enfermée dans ma chambre avec un couteau sous mon oreiller"

Je suis allée au commissariat en 2013, un matin après une nuit entière de violences. La veille, alors que j'avais découvert son infidélité depuis plusieurs mois et que je lui avais demandé de partir, j'ai réalisé qu'il avait déménagé des affaires m'appartenant et je lui ai demandé des comptes. J'ai eu le droit à une énième grande scène de rupture - j'y ai eu droit régulièrement sans qu'il ne parte jamais d'ailleurs - mais contrairement à d'habitude, je suis restée très calme et je l'ai même encouragé à partir. Ça a déclenché une scène de violences verbales et physiques jamais atteintes jusqu'alors et je me suis enfermée dans ma chambre avec un couteau sous mon oreiller, j'avais décidé de faire chambre à part depuis plusieurs mois car il m'empêchait de dormir.

Toute la nuit, il a rassemblé des affaires, en a jetées d'autres dans des sacs poubelles. Au matin, il m'a menacée de mort, menacée de mettre le feu au logement, de me jeter par le balcon. J'ai eu très peur et pour la première fois, je me suis sentie physiquement en danger. J'ai rassemblé mes papiers importants dans une boite à chaussures, j'ai pris mes affaires comme si je partais au travail et sur le pas de la porte ouverte de l'appartement, je lui ai dis que je n'allais pas revenir tant qu'il serait là et que j'allais au commissariat prévenir de mon départ et de ses menaces. Je suis en réalité allée à mon bureau, sur les 8 km du trajet il m'a appelé au moins dix fois, il m'a harcelée au téléphone toute la matinée pour savoir si j'allais réellement au commissariat et me dire que je pouvais rentrer sans danger. Je suis allée au commissariat à l'heure du déjeuner.


"L'officier de police soupirait à chaque phrase, parlait d'un ton sec et m'interrompait souvent "


J'étais très très mal à cette époque, physiquement et psychologiquement, en état de vigilance permanente, j'étais épuisée et j'avais atteint mes limites. Je suis entrée au commissariat, le planton de l'accueil m'a bien reçue mais il m'a dit que c'était la pause déjeuner et qu'il allait voir si un OPJ - officier de police judiciaire - pouvait me recevoir. J'ai attendu, j'avais très peur de croiser une connaissance car j'ai été fonctionnaire de police pendant plus de dix ans. J'ai hésité plusieurs fois à quitter les lieux, j'avais l'impression que tout le monde savait pourquoi j'étais là, j'avais honte, je me disais : 'Voilà, tu penses que tu diriges ta vie mais tu n'es qu'une ratée.'

L'OPJ est arrivé, ça le saoulait très clairement et il ne s'est pas gêné pour soupirer et montrer qu'il me jugeait avant même que l'on soit dans son bureau. Il n'a pris aucune note, il ne s'est jamais servi de son ordinateur pendant l'entretien. Il m'a dit : 'Je veux vous entendre rapidement là et je vous reprendrais après parce que j'ai des affaires importantes à finir avant". Le ton était donné.

Je lui ai sommairement raconté mon départ de chez moi, il soupirait à chaque phrase, il me parlait d'un ton sec et m'interrompait souvent, j'avais l'impression de parler à mon ex. Il m'a demandé ma profession et je lui ai précisé que j'avais été 'collègue' à Paris et que j'aimerais bien qu'il me montre un peu de considération, il m'a répondu 'ici, on n'est pas à Paris' et 'ce n'est pas mon problème'.

Je lui ai dit que je voulais voir un autre OPJ et que j'attendrais le temps qu'il faudrait pour ça. Il m'a dit que je pouvais partir car aucun autre officier n'était disponible et que ce n'était pas à moi de choisir comment je devais être reçue. Je lui ai demandé son nom, il a refusé de me le donner. En sortant, j'ai demandé son nom au planton, il ne me l'a pas donné non plus. J'ai compris que je n'avais rien à espérer et je suis partie.

J'ai été victime de violences conjugales, voilà pourquoi et je n'ai jamais porté plainte © Adobe Stock
"Mon ex avait gardé un double des clefs et il venait la journée chez moi"


Je n'ai jamais porté plainte, je suis rentrée chez moi, mon ex a quitté le domicile commun trois jours après. Il avait gardé un double des clefs et il venait la journée quand j'étais au travail. Je m'enfermais à clefs la nuit dans ma chambre, j'accrochais un petit carillon à la poignée de la porte, j'ai longtemps dormi avec un couteau en céramique sous mon oreiller. Quand je rentrais chez moi du travail, je laissais la porte d'entrée ouverte en grand, j'allumais les lumières dans toutes les pièces et je regardais partout pour être sure qu'il n'était pas caché quelque part. Je ne buvais aucune boisson non operculée chez moi car j'avais peur qu'il ait mis quelque chose dedans, j'ai changé mes mots de passe, mon ordinateur, je devenais complètement parano, je me sentais autant prisonnière sans sa présence physique qu'avec. Il me harcelait par téléphone.


Il a mis des années à accepter de faire les démarches pour officialiser notre séparation. À s'immiscer dans ma vie de toutes les manières possibles. Quand il a compris que je ne reviendrais pas, il a cessé de me menacer et a essayé de redorer son blason pour garder des relations 'amicales' avec moi. Avoir une bonne image est primordiale pour lui, il travaille dans le milieu juridique.

Je n'ai pu me défaire de son immixtion permanente dans ma vie qu'en jouant selon ses règles du jeu, c'est un procédurier maladif, je me suis formée en droit pour le contrer. Il m'a souvent rabaissée intellectuellement et fait passer pour une gourde vis-à-vis des autres alors que j'ai un plus haut niveau d'études. Notre séparation définitive et officielle date du 12 novembre dernier alors qu'il a quitté mon appartement le 23 novembre 2015. J'ai mis 4 ans à recouvrer ma liberté juridique, fiscale et administrative. Je remercie tous les jours le ciel de n'avoir pas eu d'enfant avec lui.


J'ai raconté mon histoire sur certains réseaux sociaux et sur des sites de partage de femmes victimes de violences, tout simplement car ça me permettait de me libérer de tout ça. Je n'ai pas raconté la moitié de ce que j'ai vécu avec lui à mes proches, non seulement parce que je n'ai pas envie d'inciter la pitié. Aussi, je pense, parce que je n'arrive toujours pas encore aujourd'hui à comprendre comment j'ai pu tomber dans une relation pareille et la subir aussi longtemps. C'est très difficile de s'en sortir seule, on ne peut compter sur aucune aide, je le pense vraiment, hormis sur soi-même, il faut vraiment être forte et résiliente. J'ai travaillé dans la police et pourtant je peux vous le dire, je n'ai aucune confiance dans la justice ou la police sur ces affaires. Quand je rentre dans une assemblée d'hommes, dans la sphère privée ou professionnelle, je me demande toujours : sur ces hommes présents, combien sont-ils à faire de même ?

Plus récemment, j'ai raconté mon histoire sur Twitter. Je suis fière de m'en être sortie et voulais le raconter, tout simplement parce que ce n'est pas à moi d'avoir honte et que je veux montrer à celles qui liront mon témoignage qu'on peut s'en sortir.


"La réponse juridique doit être aussi ferme que la violence conjugale est violente"


Pour protéger les victimes de violences conjugales, il faut de véritables moyens et un véritable arsenal juridique dédié à ces violences. Que les propos, les gestes, les violences soient punis très sévèrement, qu'on cesse cette mansuétude envers les auteurs. Qu'on les stigmatise autant qu'on stigmatise les victimes, qu'on cite leur nom publiquement, qu'on les envoie en prison pendant des années, qu'on les prive de leur autorité parentale, qu'on les évince du domicile et, pourquoi pas, qu'on crée un fichier des auteurs de violences conjugales.

Ces comportements ont été trop tolérés dans notre pays pendant trop longtemps. Que la réponse juridique et pénale soit aussi ferme que la violence conjugale est violente. 137 femmes sont mortes sous les coups de compagnon ou ex-compagnon depuis janvier 2019. Comment peut-on encore tolérer ça en 2019 ? On cite les victimes alors que les auteurs, on a toujours l'impression que ce sont des ombres, sans nom, sans visage. Ce ne sont pourtant pas des inconnus, on en connait tous au moins un. Pourquoi donc cette impunité ?

J'ai aujourd'hui abandonné l'idée de porter plainte. Je suis passée à autre chose. Je le croise régulièrement car nous habitons la même ville mais je n'ai plus peur de lui. Lui montrer que je suis heureuse sans lui, c'est ma revanche à moi."

- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.

- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.

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