Dans ce sex-shop de Hong Kong nommé Sally's Toy , trônent les habituels objets que l'on s'attend à trouver dans ce genre d'endroit. Mais entre les étagères où se côtoient livres érotiques et sex-toys, on aperçoit également des coupes menstruelles. Ces petits objets également appelés "cups" sont des petits entonnoirs qui se disposent dans le vagin durant la période des règles et qui constituent une alternative aux tampons ou aux serviettes hygiéniques. Le problème, c'est que ce mode de protection reste très méconnu à Hong Kong.
C'est précisément la raison pour laquelle Miko So, une jeune femme de 24 ans employée au Sally's Toy, a eu l'idée d'organiser une fois par semaine des tables rondes autour du thème des menstruations. Un sujet qui reste tabou à Hong Kong et en Chine, et plus généralement en Asie, explique la jeune femme au Guardian : "Les jeunes hongkongaises n'ont pas pour habitude de parler de leurs expériences intimes avec les autres(...), ce qui est un trait typique de la culture asiatique. Elles ne montrent jamais ce qu'elles ressentent ou ne disent jamais ce qu'elles voudraient exprimer à voix haute", déplore la jeune femme. "Nos ateliers leur permettent de poser toutes les questions qu'elles ne peuvent pas formuler dans la vie de tous les jours", ajoute Miko So.
Organisées une fois par semaine au sein du magasin, les tables rondes sont destinées à sensibiliser les femmes aux alternatives dont elles disposent pour se protéger pendant leurs règles. Alors que Hong-Kong propose un large panel de tampons (ceux-ci sont même disponibles à la vente en ligne), la plupart opte pour les serviettes hygiéniques. "Je pense que cela est dû à la peur du choc toxique. C'est pour ça qu'il est important que ces femmes sachent qu'il existe d'autres alternatives, comme les coupes menstruelles", considère Miko So.
Si certaines femmes complexées se présentent avec un masque d'hôpital sur le visage ou un large chapeau sur la tête, le nombre de participantes augmente cependant chaque semaine, se réjouit Miko So, bien décidée à apporter à ces femmes l'aide et le soutien dont elle-même a été privée lorsqu'elle était plus jeune. "Mes premières règles étaient si abondantes que j'ai cru que j'étais malade et que j'allais mourir. Alors j'ai mis du papier dans ma culotte. Quand ma mère s'en est aperçue, elle m'a dit : "ce sont tes règles". Voici une serviette hygiénique. Et c'est tout", se souvient la jeune femme.
Pour nous, femmes occidentales, il semble aujourd'hui démesuré de penser que l'on va mourir lorsque l'on a nos premières règles. Mais dans une société où ce sujet demeure tabou, à tel point que les parents n'en parlent pas à leurs filles, ce phénomène se comprend mieux. Miko So n'est pas la seule à vouloir changer la donne dans son pays. Jessie Leung et Joyce Fung, toutes deux diplômées de l'Université de Hong Kong et âgées de 22 ans, ont récemment crée la page Facebook " Menstruaction"."Rejoignez-nous pour contester le statu quo menstruel de la honte, du silence et du secret. Aimez-le et adoptez-le", peut-on lire dans la présentation de la page.
Lorsque qu'elles étaient à l'université, ces deux femmes étudiant la sociologie. Pour leur projet de fin d'études, elles se sont démarquées de leurs camarades de promo -dont la plupart a choisi de parler des minorités à Hong Kong- en abordant le sujet des femmes et de leurs règles. Pour elles, il s'agissait surtout d'une opportunité d'encourager un changement culturel. "les femmes devraient connaître les options qui s'offrent à elles et pouvoir en bénéficier comme bon leur semble", estiment les sociologues.
En Chine, les femmes qui ont leurs règles n'ont pas le droit de visiter un temple, ni même de faire brûler de l'encens. "Pour les traditionalistes, avoir ses règles, c'est sale", expliquent Jessie Leung et Joyce Fung. Joyce a tenté une expérience avec son père en lui parlant ouvertement de ses règles, sujet qui jusqu'ici n'avait jamais été abordé dans la maison, pas même avec sa mère. Celui-ci s'est montré plutôt réceptif. "Aujourd'hui, quand je dis à mon père que j'ai des douleurs menstruelles, il sait ce que cela signifie. Il peut même m'aider. C'est très important que les hommes comprennent ce que l'on vit et ce que l'on peut ressentir dans des moments comme celui-là. Les règles font partie de notre système de reproduction. Il n'y a donc aucune honte à avoir", considère la jeune hongkongaise.
Dans les écoles d'Hong Kong, les cours d'éducation sexuelle ne sont pas obligatoires. Joyce Fung se souvient d'un jour où, alors qu'elle allait encore à l'école, une société de serviettes hygiéniques était venue rendre visite à sa classe. "Les filles et les garçons étaient séparés. Cette visite faisait office de cours d'éducation sexuelle, mais en fait, cela se résumait à nous faire comprendre que nous les filles devions utiliser des serviettes hygiéniques si l'on commençait à saigner et rien d'autre. Cela s'apparentait à de la dictature."
Miki So déplore également ce manque d'information. "La première fois que j'ai entendu parler de tampons, j'avais 17 ou 18 ans", se souvient-elle. Pour cette dernière, il devient urgent d'instaurer une éducation sexuelle "normale" et "ouverte" à tous à Hong Kong, comme dans le reste de la Chine. Quand elle ne travaille pas dans le sex-shop, la jeune femme donne des cours sur la plateforme en ligne NGO Sticky Rice Love, un site qui propose des cours d'éducation sexuelle à destination des jeunes hongkongais.
Malheureusement, la Chine est loin d'être le seul pays au monde à considérer les règles comme impures. En Inde, une légende veut qu'une femme ayant ses règles rendrait impropre à la consommation n'importe quel pot de cornichons à peine effleuré. À Bali, les femmes sont bannies des temples bouddhistes le temps de leurs règles. Les mentalités tendent cependant à progresser dans certains pays. C'est notamment le cas au Népal, où le parlement vient de voter une loi interdisant le "chhaupadi". Cette pratique consiste à contraindre les femmes ayant leurs règles ou venant d'accoucher à se couper temporairement de la société.