Il est dix-huit heures à Marrakech lorsque, les uns après les autres, les 4x4 pimpés du Trophée Roses des Sables débarquent en ville devant l'hôtel luxueux qui sera la dernière étape de cette aventure de onze jours, débutée pour la plupart des mois plus tôt. Rincées, mais heureuses, les candidates s'extraient de leurs véhicules, couvertes de poussière et de sable, avec cet air particulier qu'ont ceux qui viennent de vivre quelques jours qui ont changé leur vie. Nous leur avons laissé le temps de prendre cette douche dont elles rêvent toutes depuis que, le 7 octobre, elles ont pris le volant à Ciboure, au Pays Basque, en direction du Maroc, son désert et ses dunes tant redoutées pour aller distribuer des dons, atteindre les objectifs qu'elles s'étaient fixés et, surtout, partir à la rencontre d'elles-mêmes.
Sam et Vivi (deux mamans tourangelles), Sylvie, dite Moune, et sa fille Alexandra, venues de Bordeaux, puis Mayeule et Gwenaëlle, deux mères de familles nombreuses (trois enfants chacune), parties des Yvelines, nous ont raconté leur aventure. Car qu'est-ce qui peut bien pousser une working mum déjà fort occupée à tenter de tout gérer à partir dix jours dans le désert marocain, laissant enfant, boulot et mari, et, surtout, comment ce projet fou a-t-il pris forme ?
"La nounou de mon fils l'avait fait l'année dernière. Quand elle me l'a raconté, j'ai eu les larmes aux yeux. Là, je me suis dit : et pourquoi pas moi ?", raconte Alexandra. "Pourquoi pas moi ?" : c'est aussi ce que s'est demandé Sam, pétillante quadra à qui on donnerait vingt-cinq ans lorsque, en 2013, elle a une première fois franchi le pas. Avant de revenir en 2015, pour ces quinze ans dont l'anniversaire a également décidé Gwenaelle, qui parviendra à convaincre Mayeule, une copine qu'elle croise aux activités extra-scolaires des enfants. Une fois la décision prise est venue la partie la plus ardue du projet : trouver la voiture, et surtout les sponsors.
"La préparation a été très lourde. On n'a pas de réseau", témoigne Sylvie. "On a créé beaucoup d'événements. Quasiment tous nos week-ends ont été pris", ajoute la fille. "On a fait des confitures maison pendant huit mois presque tous les jours après le boulot. Et puis des papiers cadeaux, des lotos, des zumbas, un barbecue géant, des vide-greniers. Sur l'année, on a été prises à peu près 300 jours."
Mayeule et Gwen n'ont pas chômé non plus : "On a créé une association, un logo et identifié tous les réseaux qui pouvaient nous apporter des fonds. Puis on a commencé par la foire aux jouets (très bon plan, ça débarrasse et les enfants étaient là), une tombola avec notre boulangerie, une soirée dans la clinique (dont Mayeule est directrice), une soirée amicale, deux soirées théâtre, un clip vidéo qu'on a tourné dans Plaisir, des CD avec une jaquette...".
Sam et Vivi avaient la voiture héritée de l'expérience 2013 et, si elles ont dès lors eu moins de travail à accomplir, elles se sont organisé telles de véritables femmes d'affaires : "On avait une maquette du véhicule et on leur proposait des emplacements. Par exemple, la fenêtre à 1500 euros, le capot 3000 euros, la lunette arrière à 1800. On ne voulait pas se lancer dans des lotos, des tombolas parce que je travaille du mardi au samedi, Vivi du lundi au vendredi. Mais on a restreint les congés d'été."
Mis à contribution dans cette intense préparation, l'entourage "mange du Trophée", comme elles disent, des mois durant avant la grande séparation. Comment l'ont-elles vécu, ces mères-courage parties apporter leurs soutiens aux enfants du désert, mais dont on se doute qu'elles ont pu culpabiliser, parfois, à l'idée de délaisser les leurs ? "On a fait participer l'école de Maël pour récolter les dons. Donc il a fait le tour des classes pour ramasser dentifrices, brosses à dents et savons. La séparation a été dure mais je leur ai préparé un calendrier de l'Avent avec des petits coeurs, des petits mots. On a mis toute la famille à contribution et ils nous ont tous suivies, tous soutenues", raconte Vivi, toutefois très impatiente de retrouver ses "loulous", et boostée chaque jour par son astuce anti-blues : "Chaque matin, quand on commençait la course, on regardait nos photos, qu'on avait collées sur les pare-soleil. Ca nous donnait de la force."
Sam, elle, raconte dans un éclat de rire que ses enfants sont "hyper fiers de voir maman au volant d'un 4x4 et pas papa." Très émue, Gwenaëlle nous confie avoir eu son fils le matin-même au téléphone qui lui a dit : "Oh, j'avais peur maman, que tu casses la voiture alors que tu avais tellement travaillé pour ça !"
Tellement travaillé, et finalement profité à fond de ces dix jours de raid en binôme, elles dont les destins sont aujourd'hui unis à jamais par cette aventure hors du commun, qui leur aura fait prendre le recul dont on manque, souvent, lorsqu'on se laisse embarquer par le quotidien. Leur plus beau souvenir à toutes, c'est la rencontre avec les enfants du désert et leurs familles qui les ont accueillies comme l'une des leurs.
"Ca remet les choses à leur place. Ils n'ont déjà rien, et pourtant ils nous offrent. C'est une leçon de la vie qui n'a pas de prix", commente Sylvie, les larmes aux yeux, tandis que Sam et Vivi rêvent déjà de pouvoir revenir avec leur smala, pour leur présenter cette filleule à laquelle elles permettent, par leur action, de poursuivre ses études malgré une famille de sept à nourrir. Au-delà de la compétition, le raid se révélera humain, fait d'une solidarité féminine souvent déniée, alors que toutes racontent avoir bénéficié de l'aide d'équipages descendus les désembourber pelles à la main sans se soucier du temps qui défilait. Amies depuis treize ans, Sam et Vivi se disent plus unies que jamais, avouant même peiner à se séparer alors que les maris les ont rejointes sur la ligne d'arrivée. "C'est compliqué. Pendant une semaine, on a été tout le temps ensemble, partagé tant de choses", avouent-elles.
Le duo mère-fille fait la même conclusion : "On se connaît à fond. Et puis on a passé des épreuves difficiles dans la vie. Leur papa est décédé subitement, ça nous avait énormément unies. Là, c'est encore plus beau." Quant aux Parisiennes, elles se rappellent de ce moment magique où, grimpées sur le toit de leur embarcation du désert, elles ont pris les jumelles et observé le sable à perte de vue, prenant alors conscience de la rareté de cet instant vécu à deux.
Alors qu'elles tentent de retenir ces derniers instants d'éternité, les aventurières savourent ce sas de décompression qui les garde encore un peu dans cette parenthèse enchantée de leurs vies de femmes. Car s'il est bien une chose sur lequel toutes s'accordent, c'est que tout fatigant qu'il soit, avec ses coups de chaud, ses levers aux aurores, ses nuits sous la tente, ses stress techniques et ses petits coups de nostalgie au soleil couchant, le raid ne sera jamais aussi sportif que leur quotidien de maman.
"Les habitudes, le travail, les enfants à aller emmener à l'école, la danse, le judo, les courses... Le retour est plus fatigant que le trophée !", nous confirme Sam, pourtant pas en reste côté énergie. "Par rapport aux jeunes, on s'est demandé ce qu'on avait de plus", ajoute Mayeul, avant de conclure : "le rythme ! on est habituées à se réveiller la nuit, à gérer à droite à gauche plein de trucs différents. Finalement, on était bien mieux préparées que les jeunes !"
Eh oui, depuis le temps qu'on vous dit que les mères de famille sont des héroïnes...