Belle nouvelle : Greta Gerwig sera en juin prochain la première cinéaste américaine à présider le festival de Cannes. Et la deuxième réalisatrice de l'histoire à devenir présidente du jury cannois en 77 ans d'existence. Avant Greta Gerwig, c'est Jane Campion (La leçon de piano) qui eut l'honneur de présider le Festival de Cannes. Jolie filiation, non ?
Une info réjouissante qui ne ravira pas forcément tout le monde. Car le dernier long métrage de Gerwig n'a pas fait que des heureux. Il s'agit bien évidemment de "Barbie", film le plus rentable de 2023 avec ses 1,38 milliard de dollars au box office. Gros succès... Mais pas dans le coeur de certains de ses confrères.
Parmi lesquels ? Ruben Ostlund. Nom historique puisque lauréat à deux reprises de la Palme d'or (pour The Square et Sans Filtre) le Suédois connu pour son art de la satire irrévérencieuse et grincante n'a pas vraiment apprécié Barbie. Doux euphémisme. Il raconte pourquoi auprès de Première...
Pourquoi l'opinion de Ruben Ostlund importerait-elle ?
En vérité, c'est un avis bien plus intéressant qu'on ne pourrait le croire. Déjà car il émane d'un cinéaste polémique mais à l'oeuvre largement reconnue. Ensuite car Ostlund, comme Gerwig et son Barbie, explore le genre de la satire et de la comédie noire - chacun(e) le fait simplement à sa manière. Aussi, car le sacre à Cannes d'Anatomie d'une chute, alors qu'Ostlund était président du jury, démontre l'étendue de ses goûts éclectiques en terme de cinéma.
Alors, pourquoi Ruben ne peut-il voir Barbie en peinture ? Il explique : "C'est du cynisme déguisé en optimisme. C'est toute la folie de notre époque. Un fabricant de jouets qui finance son propre film et qui s'achète une cinéaste d'auteur américaine afin de rendre plus présentable ces poupées très vieux jeu..."
"C'est complètement dingue. Ce film parle plus du monde virtuel que du monde réel. Ça parle de statements, de quotes, de prendre constamment position envers quelque chose, etc. Je n'ai pas aimé ça. L'une des bonnes choses de l'économie de marché, c'est que comme il y a de la compétition, nous créons des produits".
"Et nous essayons de les faire meilleurs que les autres. Et pour cela, nous avons besoin du bouche-à-oreilles entre spectateurs. Mais un film comme Barbie pirate ce processus en mettant une tonne d'argent dans le marketing, et il n'y a plus de bouche-à-oreilles".
Au moins, c'est dit ! L'air de rien, le réalisateur pointe du doigt des reproches régulièrement décochés au méga hit pop féministe de Greta Gerwig.
Les accusations de "feminism washing" par exemple, un féminisme mercantile et opportuniste dont userait avant tout Mattel pour fédérer les foules et vendre toujours plus de jouets. L'idée de convaincre son audience de ses vertus à grands renforts de campagne marketing, aussi. Campagne médiatique susceptible de conférer à l'oeuvre une ambition critique (contre le patriarcat) que certaines voix militantes contestent volontiers...
Mais on peut aussi considérer le supposé cynisme de ce film comme de l'ironie, tonalité qui recouvre cette satire de long en large. Et envisager l'ensemble comme une comédie très piquante, renvoyant autant à Robocop et La grande aventure Lego qu'à Clueless et aux luttes néoféministes.
Un jouet qui ne cesse de faire couler de l'encre !