Le show qui a explosé les records sur Netflix est de retour. Cette fois en revanche, pas de Simon Basset (Regé-Jean Page) ni de Daphne Bridgerton (Phoebe Dynevor), on passe à l'intrigue amoureuse entre le frère aîné, le Vicomte Anthony (Jonathan Bailey), et Kate Sharma (Simone Ashley). Un duo là aussi très très beau, très très riche et très très animé par une tension sexuelle qui, depuis qu'on a binge-watché les 8 épisodes en 24 heures, hante nos nuits.
Globalement, la deuxième saison de La Chronique des Bridgerton offre moins de scènes de cul que la première, mais tout autant de dialogues qui pourraient avoir été directement piochés dans les collections de bouquins érotiques Harlequin ("Tu es le fléau de mon existence. Et l'objet de tous mes désirs. Nuit et jour, je rêve de toi", susurre, au bord de l'implosion, Anthony à Kate dans une bibliothèque à peine éclairée).
A l'instar des trames de ces romans de gare, leur idylle se voit compromise par un interdit qui se transforme en triangle amoureux. Il y a des regards profonds qui en disent long, des mains qui se frôlent, des occasions qui se manquent, et une bonne dose de frustration de notre côté de l'écran. Oui, on est bon public.
Et puis, comme dans le chapitre précédent, il y a l'événement principal : le mercato marital.
Qui va épouser qui ? Quelle débutante sera élue "diamant" de la saison par la reine Charlotte ? Quelle jeune femme sera forcée de se marier avec un homme qu'elle n'aime pas parce qu'elle a eu le malheur de se retrouver dans la même pièce que lui sans chaperon ? Autant de questions qui se transforment en axes de scénario pour rappeler à qui l'ignorait, que les femmes de la cour britannique à l'heure de la Régence anglaise n'avaient que très peu la main sur leur propre destin.
Surtout, elles étaient contraintes d'articuler leur existence autour d'un seul but : trouver un mari, avoir de quoi payer leur dot et rentrer dans le rang en faisant une tripotée de gamins (que leur conjoint le veuille ou non, d'ailleurs). Des codes réducteurs, contredits bruyamment par un personnage clé : la cadette de la fratrie, Eloise Bridgerton, campée par Claudia Jessie.
Eloise Bridgerton en a sa claque du protocole, et elle n'hésite pas à le faire savoir. Depuis le premier épisode de la saison 1 jusqu'au dernier de la saison 2 (il devrait y en avoir 8 au total, une pour la romance de chacun des enfants), la jeune femme exprime sa colère quant aux carcans qui pèsent sur "son sexe". La façon dont les femmes doivent rester à leur place la met hors d'elle (à juste titre, doit-on préciser), le fait que certaines activités leur soient refusées ou réservées, tout autant.
Pour oublier un peu la société misogyne dans laquelle elle vit, Eloise lit. Et rêve à une vie faite d'autre chose que des quadrilles qui filent le tourni, et des présentations à des pseudo beaux partis plus sexistes les uns que les autres.
Ce qui l'obsède, c'est de trouver l'identité de Lady Wistledown, la mystérieuse autrice des choux gras qui font frémir la noblesse. Par fascination pour ses scoops, mais aussi par admiration, puisque l'écrivaine est une femme qui a obtenu le respect de tout ce beau monde par elle-même. Une sorte d'incarnation de la liberté qui lui fait envie. "Nous devrions toutes les deux aspirer à être comme elle. Célibataires, et gagnant notre propre argent", lance-t-elle à Penelope Featherington (Nicola Coughlan), son acolyte et le véritable visage derrière Whistledown, découvrira-t-elle plus tard.
Dans cette quête, Eloise Bridgerton va même assister à des meetings politiques dans des quartiers moins huppés de Londres, et réaliser qu'elle n'est pas la seule à vouloir changer le monde. Révélation.
Mais voilà, le "souci", c'est que pour l'instant, son féminisme a l'air de s'arrêter là. A un fantasme intello qu'elle mène depuis son salon luxueux, à un frisson au goût d'interdit quand la jeune femme se frotte au commun des mortel·les. Le tout, sans se mouiller autrement qu'en balançant des réflexions désobligeantes à ses proches qui verraient la vie différemment. Aïe.
"En présentant Eloïse comme la femme empouvoirée de la série et la seule ayant des objectifs autres que le mariage, l'oeuvre explique son désintérêt pour les relations amoureuses par le fait qu'elle est ambitieuse et féministe", analyse Mira S. Alpers dans un article intitulé On mérite davantage qu'Eloise Bridgerton, publié sur The Harvard Crimson en 2021, soit bien avant la sortie de la deuxième partie.
Comprendre : que l'un n'irait pas avec l'autre. Un peu simpliste quand on connait les enjeux de l'époque - qui n'ont rien d'étrangers aujourd'hui - et une belle façon d'opposer plutôt que de rassembler.
La journaliste poursuit, rapportant comment la cadette du clan Bridgerton considèrait que celles qui participeraient à la "mascarade" de la recherche d'un époux "ne sont pas accomplies, ne sont pas intelligentes et mènent une vie terne et indigne." Et de signer : "En bref, Eloise n'est 'pas comme les autres filles', et il est profondément frustrant de voir la voix la plus progressiste de la série être aussi méchante et méprisante".
Au vu des nouveaux épisodes et de la rencontre avec Theo Sharpe (Calam Lynch), love interest furtif qui lui fera certainement changer d'avis sur le sujet de la compatibilité de ses pensées avec une relation amoureuse, ce dernier aspect de ses convictions semble avoir gagné en nuance.
On se demande toutefois : Eloise Brigerton est-elle davantage une caution anti-sexisme peu fouillée qu'un véritable atout déconstruit ? Ou bien alors, incarne-t-elle un rappel plus ou moins volontaire que tout engagement passe par un (long) cheminement, surtout quand on a 17 ans ?
Une chose est sûre, l'héroïne offre aux scénaristes une marge de progression conséquente pour les chapitres suivants côté politisation de son développement, et à nous, promet un avenir qu'on a hâte de découvrir. Vivement.