Birgit a 49 ans lorsqu'un médecin lui annonce la nouvelle : elle a un cancer du sein. Passé le choc (indescriptible), cette blogueuse et autrice de livres culinaires s'apprête à affronter les épreuves les plus diverses. Des nombreux "gros" traitements aux effets secondaires (l'impression de "gueule de bois" de deux-trois jours qui suit les séances de chimiothérapie par exemple) en passant par le choix de sa perruque et, bien sûr, le regard des autres - qu'elle appréhende, fuit, accepte. Une seconde vie.
Ce qu'a vécu cette écrivaine aurait pu faire l'objet d'un livre. Mais c'est sous la forme diffuse d'un podcast que son long témoignage s'offre à nous. Avec Guérilla du sein, création audio menée auprès de sa fille Elise, la podcasteuse nous dit tout sur une maladie encore trop tabou. Des détails les plus pragmatiques (sur le déroulement de certaines opérations, leurs conséquences, le rapport quotidien avec la maladie) aux non-dits les plus sensibles, tel l'image de la "femme chauve", les pressions sociales qu'elle engendre, et cette sensation de "perdre sa féminité".
Vous l'aurez compris, la voix complice et (très) précise de Birgit Dahl est nécessaire, et à l'occasion de ce mois de sensibilisation au cancer du sein, nous ne pouvions que le faire résonner ici-bas. Dont acte.
Birgit : J'ai été diagnostiquée d'un cancer du sein en décembre 2015, j'ai commencé les traitements en 2016, et au Noël de cette année-là j'avais déjà subi une opération, une chimiothérapie, et également une radiothérapie. J'ai alors commencé une hormonothérapie, encore en cours - puisqu'elle dure cinq ans (l'hormonothérapie est un traitement qui vise à empêcher la stimulation de certaines hormones du corps sur les cellules cancéreuses, ndrl). Une fois achevée la première année de ces grands traitements, j'ai pu prendre un peu de temps pour réfléchir à tout ce que j'avais vécu.
Tous mes proches me disaient : tu dois transmettre ton expérience. Cela fait douze ans que je tiens un blog de cuisine, et ma fille Elise est journaliste. Nous avions tous deux entendu parler de la mode des podcasts. Alors on s'est lancées, la fleur au fusil !
B. : Je crois qu'il y a de plus en plus de lieux pour parler du cancer du sein. La prise de parole est prononcée : je pense notamment au très beau podcast Impatientes. Mais c'est une maladie qui touche en majorité les femmes de plus de quarante cinq ans, qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer sur les réseaux sociaux. Elles ne sont pas très mises en avant, ont de la pudeur par rapport à ça.
Le truc plutôt spécifique avec Guérilla du Sein, c'est qu'il faut que ce podcast trouve sa place, surgisse au bon moment dans la vie des auditrices, pour qu'il aide véritablement. Le mieux est d'être concernée un minimum par la maladie pour s'y reconnaître mais d'un autre côté, si l'on a vécu un cancer, a-t-on envie d'entendre toutes ces choses ? Ce n'est pas évident.
Je crois que savoir, tenir au courant, cela aide à supporter un cancer du sein. C'est thérapeutique. Déjà, la connaissance permet de mettre de la distance. Puis c'est une façon d'agir, de mieux supporter la chose. En racontant mon expérience étape par étape, entre informations et "astuces", il s'agissait de mettre un point final à cette maladie et d'être plus sereine. Je n'ai pas fait ce podcast pour me soigner, mais il m'a fait du bien, petit à petit.
De même, Guérilla du Sein ne vise pas à "guérir", mais à "soutenir". Et puis, faire intervenir des spécialistes ou des femmes qui ont vécu un cancer permet de dédramatiser et de désacraliser cette maladie. Enfin, le faire avec un podcast n'est pas anodin. J'aime la voix. Elle permet de transmettre des émotions différentes, surtout lorsque l'on parle de maladie : on "entend" beaucoup de choses à travers la voix, les failles par exemple. Parfois je m'émeut moi même (elle rit).
B. : (sourire) Oui oui ! Mais "avouer" n'est pas le bon terme. J'aurais pu faire autrement. J'ai découvert ce diagnostic à Noël et je n'avais pas envie de leur gâcher leurs vacances. Et j'avais besoin de les protéger. Je le portais déjà fort sur moi, ce cancer. Mais c'est certain que ma fille m'en veut un petit peu (sourire).
Faire un podcast aide à prendre de la distance par rapport ça. Il y a un gros travail d'écriture. Toutes les deux, nous avons fait un plan, travaillé le texte, le rythme et la narration, à partir de cette "matière brut" que je suis venue offrir. Un podcast ce n'est pas juste quelque chose que l'on entend pour le plaisir. On l'écoute et on en fait pour apprendre quelque chose et surtout : pour aider. Trouver des solutions pour celles qui tendent l'oreille.
B. : Lorsque l'on subit un cancer du sein, il est tout à fait normal d'être révoltée. Mais moi, je suis davantage dans l'acceptation. Cette acceptation n'est pas "bienveillante" pour autant. A l'approche des traitements, je me suis dit que j'allais me prendre la tête, que ça allait me faire mal. Mais je n'étais pas résolue face aux choses. Dès le départ, je souhaitais m'en sortir. J'avais une attitude de battante : d'où cette "guérilla", cette envie de faire la guerre à sa maladie. Ces termes reviennent souvent dans la bouche des femmes qui subissent un cancer du sein : ce sont des combattantes.
Actuellement, je n'ai pas fini mon traitement - qui au final, aura duré six ans - et je ressens encore de la colère, contre l'hormonothérapie. J'ai envie de tout abandonner, je pique ma crise, puis je me reprends en main... Je comprends que certaines femmes arrêtent ce traitement. Il engendre plein d'effets secondaires indésirables. Je crois que l'on fait volontiers des traitements-"bazooka" à des femmes qui n'en ont peut être pas besoin.
B. : C'est comme une ménopause puissance dix ! J'ai des douleurs articulaires assez importantes, des crampes qui me réveillent la nuit. Des bouffées de chaleur : beaucoup. L'impression de ne jamais être à la bonne température. Je suis plus facilement crevée toute la journée et moins alerte.
Et puis, j'ai pris du poids. Les différents médicaments fournis provoquent des effets qui diffèrent. Avec l'un d'entre eux, j'ai ressenti des douleurs aux jambes insupportables, et avec un autre, j'ai fait une crise d'eczéma, j'avais des boutons partout. D'autres patientes à qui j'ai pu en parler avaient la peau très sèche, ou encore des soucis de libido.
On ne nous dit jamais tous les problèmes que l'on peut rencontrer en suivant une hormonothérapie. Cela dépend des femmes, on ne peut pas savoir à l'avance. Même si c'est vrai qu'en suivant ces traitements, on a l'impression d'agir, ou plutôt de "contrôler" sa maladie, j'aimerais en parallèle du podcast monter une plateforme en ligne qui permettrait aux femmes de lister les médicaments qu'elles prennent et détailler leurs effets secondaires indésirables, afin que les médecins puissent adapter leurs traitements.
B. : Ce qu'il veut dire par là, c'est que chaque maladie fait réagir les gens différemment, comme s'il y avait une "hiérarchie des cancers". Le cancer du sein est à double-tranchant, mais je crois qu'il est plus facile à avouer qu'un cancer de l'utérus ou du pancréas, hélas. Il est plus facile à évoquer car ceux à qui vous en parlez savent que l'on a toutes une chance de guérir. Il semble plus "positif". Le médecin qui m'a annoncé mon cancer était un ami radiologue. Et tout de suite, il m'a dit : tu ne vas pas mourir. Je lui en suis reconnaissante car dès lors, je savais que j'allais guérir, et cela m'a permis d'ôter la charge émotionnelle au moment de l'annonce.
Cela étant, le cancer du sein était bien moins facile à avouer il y a dix ans de cela. Les mentalités évoluent, et, socialement, cela paraît plus simple à dire aujourd'hui, même si au boulot, dans la vie quotidienne, cela reste compliqué... De mon côté, c'est vrai que je prêtais de l'attention au regard des autres. Je n'avais pas envie de les mettre mal à l'aise, qu'ils me regardent, que je les embête avec mon "histoire de cancer". Alors durant certaines soirées, certains rendez-vous, je portais ma perruque. Cela me permettait aussi de ne pas toujours y penser.
B. : C'est clair que la chimiothérapie, et ce qu'elle provoque, a beaucoup d'impact sur la "vie d'après". Il est important d'en parler car tout le monde ignore un peu ce que c'est. C'est la période où le cancer se voit. On a l'impression de "se montrer malade". Perdre ses cheveux est quelque chose de douloureux à vivre pour les femmes, sur le moment. Il y a comme un traumatisme de la perte des cheveux. Ce n'est pas de l'esbroufe. En ce qui me concerne, avec le temps, j'ai pris du recul par rapport à tout ça.
B. : Oui. Le cancer, il faut d'abord l'accepter soi-même. C'est tout un cheminement. Il faut se familiariser au vocabulaire spécifique, aux traitements et aux effets qu'il invoque. Car il y a tout un temps entre la découverte du cancer et le moment où l'on sait à quelle sauce l'on va être "mangée". On se retrouve submergée par une masse d'informations sans être dans la capacité de les entendre. Malgré tout, il faut essayer de comprendre.
Le cancer du sein implique tout un travail sur soi. Une quête de sens. J'ai appris beaucoup de choses sur moi en vivant ce cancer. J'ai compris que j'étais capable de recevoir, et pas seulement de donner. Recevoir des voix, des témoignages, des informations... Mais je crois qu'on a toujours besoin de mettre un "pourquoi" sur le cancer.
B. : Une femme sur huit a un cancer du sein en France et c'est beaucoup - on en connaît tous ! - alors c'est important d'en parler. Mais dans le cas de certaines campagnes, l'on ne sait jamais vraiment qui se trouve derrière. Lorsque L'Oréal ou d'autres marques cosmétiques se mobilisent par exemple, on a l'impression d'être simplement prises pour des consommatrices.
B. : C'est sûr. De par la façon dont l'on perçoit les femmes (en leur disant à la quarantaine "tu fais plus jeune !" ou l'inverse), on retrouve toujours cette idée selon laquelle la cinquantaine serait comme un sommet escaladé, duquel l'on redescendrait fatalement. Mais moi, à 53 ans, j'ai l'impression qu'on ne m'a même pas laissé monter ! On m'a mis des grosses baffes dans la figure en me disant : tu descends, maintenant ! (sourire) L'acceptation de vieillir n'est jamais facile. Mais moi, on ne m'a pas laissé le choix.
C'est comme si ce cancer du sein m'avait fait basculer dans le début de la vieillesse. Aux yeux de tous je ne suis plus "la femme de 49 ans qui en fait 45". C'est évident que la maladie stigmatise. Mais moi, aujourd'hui, je suis plus heureuse qu'à quarante cinq ans. Je voyage, je m'écoute, je me fais plaisir. J'apprécie tous les moments que la vie m'offre.