Maëlle Sigonneau n'a que 30 ans lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du sein métastatique, jugé incurable. Elle va alors tout vivre, intensément. Des traitements continus, bien sûr. Mais aussi une prise de conscience globale - et féministe - sur le regard que la société lui porte, la réalité des violences médicales, le syndrome du médecin qui se prend pour un "super-héros", sans oublier la ribambelle d'injonctions à la féminité qu'on impose aux malades, à qui l'on dit toujours de "rester femme". Ces trois ans d'expérience, elle les relate aujourd'hui avec son podcast (Im)patiente, conçu aux côtés de l'anthropologue de la santé Mounia El Kotni.
Tout droit sortie des studios Nouvelles Ecoutes (à qui l'on doit les sororaux La Poudre et Quoi de Meuf), cette création sonore met à nu le cancer du sein : ses conséquences sur l'organisme, son traitement médical, mais également les préjugés qu'on lui accole. Servie par les interventions de spécialistes, l'introspection de la podcasteuse va à l'encontre de nos a priori trop hâtifs de "bien portant.e.s" et délivre un discours lucide sur la condition des femmes. Sans oublier de décocher au passage quelques punchlines bien senties ("La politesse du désespoir, on l'emmerde"). Maëlle Sigonneau délaisse le micro et nous en dit plus sur ce podcast nécessaire.
Maëlle Sigonneau : Cette médiatisation est trompeuse car l'image qui est renvoyée du cancer du sein n'est pas forcément juste. Ces campagnes ne sont pas toujours pertinentes car elles sont très sexualisées. Je pense à celle, très polémique, qui a été relayée dans les Bouches-du-Rhône en 2017. L'on y voit une patiente en pleine mammographie qui demande : "déjà fini, docteur ?" (elle rit). L'on essaie de faire du cancer du sein un cancer "glamour" avec toute une vision sexualisée et soi-disant "rassurante". Ce n'est pas la faute des médecins et des hôpitaux, qui ont conscience de la réalité. C'est une question de business. Des entreprises de cosmétique, de beauté et de bien-être se font de l'argent sur cette dimension "sexy" que l'on nous refourgue.
M.S. : Oui, on peine à sortir de cette sexualisation, même quand on a un cancer du sein, c'est dingue non ? (sourire) La maladie offre sur un plateau la possibilité de vivre un célibat "entier" - ce que j'ai décidé de faire. Et quel kiffe ! C'est tout un espace de libertés que tu redécouvres quand tu ne passes plus ton temps à essayer de choper. Tu comprends le monde et emploies ton énergie différemment. Et pourtant l'on te ramène en permanence à l'aspect cosmétique. Les perruques, les massages, les spas, le maquillage. Tu es même conditionnée à penser à tout ça. La preuve : je me suis vraiment dit "au moins, avec la chimio, je n'aurais pas à m'épiler !" (elle rit).
Mais si on nous laissait enfin décider de ce dont nous avons envie ? C'est-à-dire de ressources. Et je crois qu'il y a mieux à faire pour répondre à nos besoins. Certaines s'approprient ce "glamour" et en font une armure. Cela prouve que cette solution n'est pas forcément mauvaise en soi. Mais ce qui m'insupporte, c'est que c'est la seule que l'on nous propose. Il faut que l'on nous donne de vrais moyens pour nous battre, pas juste du mascara.
M.S. : Je me suis rapidement sentie incomprise, avec ce cancer réputé incurable. Car l'on vit dans une société obsédée par l'idée de progrès. Il faut toujours aller mieux. Les choses inconfortables ne sont pas faites pour durer. C'est faux. Moi, je me suis retrouvée célibataire, malade et en galère de travail d'un coup. J'ai compris qu'une maladie pouvait être chronique. Et que le célibat n'était pas forcément une phase "transitoire".
En ce sens, je pense que le médecin est terrorisé par le malade, encore plus en cancérologie, quand sa situation commence à "se corser"... Car ils ont de plus en plus l'habitude de guérir leurs patientes. Alors si ça se passe moins bien, forcément, ils angoissent un peu. Eux aussi ont peur de la maladie et de la mort.
M.S. : Bien sûr. Cela les touche beaucoup. Depuis trois ans, je me suis habituée à suivre des traitements. Mais pour eux, ce n'est pas forcément normal d'en suivre autant en étant si jeune. Mais moi, ça m'emmerde d'être malade, quel que soit mon âge ! (elle rit) Si j'ai 41 ans un jour et que je tombe malade, ça m'embêtera toujours autant. Car j'aimerais autant la vie à 41 ans que je ne l'ai aimée à 20 ans. C'est pour cela qu'autant de médecins nous disent que l'on est "courageuse", comme si l'on avait besoin d'être "validée" : "Oh, vous êtes vraiment courageuse !". Mais en vérité, les personnes malades n'ont tout simplement pas le choix de l'être. Ils font avec et c'est tout. Et des remarques comme celles-ci sont assez infantilisantes.
M.S. : Oui, on ne parle pas suffisamment de la précarité financière par exemple. Le fait que la prise en charge soit loin d'être parfaite. Or, il faut encore que tu paies ton loyer et c'est une véritable angoisse financière. Quand ta maladie est chronique, tu galères au même titre que les personnes handicapé·e·s et tu découvres alors le statut d'invalide, et tout ce qu'il implique. Cette précarité concerne même la femme qui va guérir de son cancer du sein après quelques mois de traitement. Car elle ne va pas forcément retrouver un travail tout de suite. Les employeurs peuvent avoir peur.
M.S. : Le Chemofog est le brouillard mental induit par la chimiothérapie - l'un de ses effets secondaires. Cela provoque des troubles de la mémoire. On ne m'avait pas prévenue - j'aurais aimé l'être !- et j'avoue que j'ai été choquée, à me retrouver comme un poisson rouge en pleine conversation, en oubliant un truc toutes les deux minutes. Un soir, j'ai regardé Gilmore Girls je ne sais pas combien de fois d'affilée car je n'arrivais plus à rien ! (elle rit)
M.S. : Elles sont patriarcales, et le sentiment de l'impunité y est très fort. Il ne faut pas croire que les femmes qui ont un cancer du sein ne font plus partie du monde partagé par toi et moi (sourire). Toutes les femmes subissent ce genre d'agressions au quotidien. Dès que je ressemble de moins en moins à une femme atteinte d'un cancer du sein, je me fais de nouveau agresser. En fait, cette maladie me permet, entre deux traitements, de revenir en loucedé chez les "bien portants" et de mener ma petite enquête en mode ninja (elle rit). Je me suis souvent demandée : et si d'un coup, je répondais à l'un de ces mecs qui me traite de "salope" dans la rue, en lui disant que je suis une chimio et que j'ai un cancer du sein, comment réagirait-il ?
Pour ce qui est du monde médical, la prise de conscience est encore loin d'être globale. Cela prend du temps tout ça. Il en faudra encore 100 documentaires comme celui d'Ovidie pour faire changer les choses.
M.S. : Oui, je ne l'ai pas vraiment vécu une expérience à la Mange, prie, aime ! (sourire). L'une des choses qui m'a le plus apaisée sont les mots d'une amie : "La naissance, la maladie et la mort sont les trois grandes choses que les êtres humains partageront". Tu ne peux pas être vivant et échapper à ces trois étapes. Ça tranquillise de se dire ça. Ma révolte à moi vient du fait que je vis dans un monde qui a totalement perverti notre rapport à la maladie, rajoute des souffrances à ton vécu : ne pas montrer que l'on est malade, conserver sa "féminité"... Face à tout cela, on a besoin de révolte, de bagarre, d'énergie. C'est cela qui nous soude et nous amène dans la rue.
Je sais que les épreuves que je traverse ne sont pas individuelles. Car l'expérience de la maladie est une expérience de société. L'on parle quand même d'une maladie qui tue 12 000 femmes par an en France.
M.S. : J'espère ! Tant mieux si l'on rit aussi. La société doit comprendre que les malades sont bel et bien vivant·e·s. On rit, on vit...