Santé
"Je vis avec un cancer du sein métastatique et je ne suis pas une victime"
Publié le 7 octobre 2020 à 16:58
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Le cancer du sein est responsable de près de 12 000 décès par an. Mais c'est aussi une maladie dont le taux de mortalité diminue continuellement et avec laquelle les femmes vivent de plus en plus longtemps. Voici le témoignage plein d'espoir de Marlène Gomes Centeio, qui combat un cancer de forme métastatique avec une force inouïe.
Combattre un cancer du sein métastatique Combattre un cancer du sein métastatique © Adobe Stock
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La voix de Marlène Gomes Centeio est calme, chantante. Elle l'annonce d'emblée : "Je suis super à l'aise pour en parler". Voilà maintenant six ans que cette jeune comptable de 40 ans, originaire du Cap Vert et arrivée à Paris en 2008, cohabite avec un cancer du sein métastatique. Un ennemi intime qu'elle a appris à côtoyer et combattre au jour le jour. Car s'il n'existe pas encore de solutions thérapeutiques, la recherche et les traitements en perpétuelle évolution permettent de stabiliser l'état de la patiente et de contenir la maladie devenue "chronique".

C'est en 2014 que sa vie a basculé. Le jour où elle a senti "un ganglion bizarre" sous son bras. Marlène avait l'habitude de pratiquer l'auto-palpation car elle fait partie des personnes à risques. Sa mère a été emportée d'un cancer de l'estomac à 49 ans, sa grand-mère d'un cancer digestif à 68 ans, sa cousine d'un cancer du sein à 32 ans. La vigilance s'imposait. Et après une échographie mammaire en janvier, le couperet est tombé : elle est atteinte d'un cancer du sein "inflammatoire et agressif". Elle n'avait alors que 34 ans.

"De par mes antécédents familiaux, j'ai le mot cancer dans la tête depuis toujours. Mais je n'aurais jamais pensé l'avoir un jour. Je suis super sportive, je fais très attention à mon alimentation. Et dès que j'ai quelque chose, j'appelle mon médecin. J'ai été très surprise", nous confie-t-elle. "Les cinq premières minutes, ça a été un choc quand le gynéco m'a annoncé la nouvelle."

Très rationnelle, Marlène bombarde le médecin de questions. Un rendez-vous pour une chimio est immédiatement calé. Puis brusquement, le vertige. "Quand je suis sortie du bureau, j'ai pleuré. Mais ça a duré quelques minutes seulement." Car Marlène se prépare. Elle le sait : elle va devoir livrer une bataille sans merci. "Dès le lendemain, je suis partie en guerre. Depuis toute petite, je suis hyper positive. Je n'ai jamais été chochotte, je réagis bien aux difficultés de la vie."

Elle annonce la nouvelle à ses proches. Les réactions sont brutales. Sa soeur et sa tante fondent en larmes. "Nous, les malades, on subit tout ça, mais l'entourage le vit aussi très mal. C'était limite moi qui leur donnait de la force pour les rassurer. Je leur disais : 'Oui, c'est grave mais tout va bien se passer et tout va bien se finir'."

Le mois suivant, Marlène s'engage dans un protocole de soins lourd, parfois douloureux, mais indispensable. Dès lors, sa vie sera rythmée par ces rendez-vous médicaux, les contrôles réguliers, les injections, les piqures, les cachets. Et les effets secondaires. "La première chimio en 2014 a été super agressive. J'avais rendez-vous toutes les trois semaines. Et pendant une semaine après l'injection, j'étais au lit, malade, avec des vomissements, des maux de tête, de la diarrhée."

Dès la deuxième séance, ses cheveux longs tombent. "Un choc", soupire-t-elle. Marlène achète une perruque, mais ne se reconnaît pas. "C'était faux. Je l'ai immédiatement enlevée et je l'ai donnée à une association". Elle choisit de "se prendre la réalité dans la figure", se rase la tête par anticipation et opte pour de jolis bonnet et des écharpes "assortis à sa tenue du jour."

Six mois plus tard, Marlène subit une ablation du sein droit, qu'elle choisira de faire reconstruire. "C'est triste, mais je n'ai pas le choix. S'il faut que je vive sans cheveux et sans mes seins, tant pis. Je tiens beaucoup trop à ma vie."

Femme portant un foulard/photo d'illustration © Adobe Stock
"J'aimerais bien vivre encore 40 ans de plus"

Cette épreuve au long cours a entamé son assurance. Elle, si gaie, si forte, se trouve parfois happée par la tristesse et la colère. "Cela fait des années que je suis célibataire parce que j'ai perdu beaucoup de confiance en moi. Je suis devenue super timide et réservée. C'est une façon de me protéger, j'imagine."

Dès le diagnostic, à 34 ans, Marlène a été mise en ménopause artificielle. Une "deuxième punition" pour elle qui s'imaginait mère d'une famille nombreuse. "Je n'aurais pas la chance d'être mère biologique. Mon rêve, c'était d'avoir quatre enfants", confie-t-elle. "Le jour où on nous annonce le cancer, de nombreux rêves s'envolent. Ils partent à la poubelle..."

Une maladie d'autant plus insidieuse qu'elle peut ressurgir d'un instant à l'autre. Ce fut le cas en septembre 2019 lorsqu'une lésion au foie a été détectée. La voilà repartie pour sept nouvelles séances de chimio et de l'immunothérapie. Sans compter ses cachets quotidiens pour l'hormonothérapie, qui provoquent des bouffées de chaleur, de la fatigue et un sommeil agité. Un calvaire de Sisyphe. "Tout ça, au bout de quelques années, c'est fatigant. J'essaie de bien gérer la douleur, mais ce n'est pas évident." Parallèlement à ses traitements, Marlène bénéficie d'un accompagnement pluridisciplinaire en soins de support à l'Institut Curie de Paris, premier centre français de recherche et de lutte contre le cancer.

Aujourd'hui, la lésion au foie a quasiment disparu. Mais derrière son optimisme, la jeune femme reste lucide. "Ce n'est qu'endormi et je sais que ça peut se réveiller. Cela ne part jamais." La mort ? Elle y pense. Mais ses pulsions de vie reprennent toujours le dessus. "Je vis tranquille, j'accepte. J'ai encore l'espoir d'avoir un traitement. Je suis obligée de croire à ça. Je sais que ça finira un jour : dans un an, trois ans, cinq ans, dix ans, vingt ans... A l'hôpital, on m'a dit que des personnes vivaient avec ça de nombreuses années. J'ai 40 ans, j'aimerais bien vivre encore 40 ans de plus", sourit-elle.

Alors sa vie, elle la dévore. Et elle refuse catégoriquement de laisser ce maudit crabe prendre le contrôle, toujours tenue par cette "petite voix intérieure" qui lui ordonne de se lever et d'avancer. "Je fais beaucoup de sport, du yoga, de la marche, la gym. J'écoute de l'opéra, de la musique latine, de la chanson française. Je danse souvent toute seule devant la glace ! Je vais aux ateliers proposés par la Maison des patients à l'Institut Curie, où je rencontre plein de gens super, je vois les gens que j'aime. Et puis j'adore voyager", même si, précise-t-elle, "je n'achète mon billet que la veille maintenant."

Se battre contre le cancer du sein © Adobe Stock
"Je ne suis pas une victime"

Les regards pesants des autres qui la stigmatisent parfois, elle les balaient. Au cours des années, Marlène s'est façonnée une cuirasse d'amazone. "Quand on fait la chimio, on gonfle, on se transforme physiquement. Certains comprennent qu'il y a quelque chose 'qui ne va pas' et ça, c'est lourd. J'ai eu aussi droit à quelques commentaires du style : 'tu as grossi, tu es gonflée, t'as perdu tes cheveux'. Mais ça rentre dans une oreille, ça ressort dans l'autre..."

Marlène a aguerri ses armes. Elle ne gaspille plus son temps, s'est délestée des personnes toxiques, carbure à l'essentiel et se nourrit de beau. "Je sens que je suis devenue quelqu'un de différent d'avant mon cancer : je relativise beaucoup. Tout ce qui n'est pas important, je ne perds même pas mon temps avec. Je choisis ce dont j'ai envie, j'arrive maintenant à dire non quand ça ne me convient pas ou quand je n'ai pas envie. J'ai gagné beaucoup de maturité."

Aujourd'hui, Marlène a le sourire. Elle est stabilisée. En dépit de l'épidémie de coronavirus qui n'impacte heureusement pas son parcours de soins, elle a de jolis projets en tête. Parmi eux, adopter les deux filles de son frère décédé, âgées de 10 et 13 ans. "Elles sont au Cap Vert. Ma belle-soeur est d'accord pour partager l'autorité parentale avec moi. Cela fait 6 mois que je cherche une petite maison ou un appartement plus loin que Paris. Si le juge valide, mes deux nièces adorées viendraient vivre avec moi en France." La France, ce pays qu'elle "aime profondément" et qui l'a sauvée, estime-t-elle. "Si j'étais encore au Cap Vert, je pense que je serais déjà morte."

Son message aux autres guerrières qui affrontent la maladie ? De l'espoir, de la force, de la lumière. "J'ai un cancer mais j'ai une bonne étoile. Même s'il y a des moments d'abattement, d'angoisse et de révolte, je suis heureuse. Et je ne suis pas une victime. Nous les femmes, nous sommes puissantes." Et elle le promet, elle gagnera sa bataille : "Je parle à ce cancer tous les jours et je lui dis : 'Je ne lâcherai rien, je te combattrai jusqu'à mon dernier souffle'."

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