"Avec Roman Polanski, on participe tous à une culture du viol". Ces mots puissants sont ceux de la critique, docteure et enseignante en cinéma Iris Brey, énoncés au micro de France Inter ce 13 février dans l'émission Boomerang. Et l'autrice du captivant essai Le regard féminin de poursuivre face à l'animateur Augustin Trapenard : "Cet homme a reçu un traitement de faveur, parce que c'est un artiste, mais ce n'est pas normal". Une indignation qui sonne juste. Car aujourd'hui encore, le "traitement de faveur" se poursuit de plus belle au gré des prestigieuses institutions.
Ainsi, Roman Polanski voit son film J'accuse sacré par les César : l'Académie lui consacre pas moins de 12 nominations, dont celles, majeures, du Meilleur réalisateur et du Meilleur film. Ce n'est pas qu'une histoire de prix ou de catégories, mais une réponse cinglante, si ce n'est une insulte, à toutes celles et ceux qui appellent au boycott du cinéaste. Quelques mois après la diffusion du témoignage édifiant de la photographe Valentine Monnier, qui accuse Roman Polanski de l'avoir violée et rouée de coups en 1975, le Président des César, Alain Terzian, assure quant à lui que l'Académie des César (dont la cérémonie aura lieu le 28 février prochain) n'a pas à revendiquer "des positions morales".
Mais ces 12 nominations ne constituent-elles déjà une prise de position ? Pour bien des militantes féministes, c'est certain. Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, pétitions et appels au boycott se multiplient pour faire entendre une révolte que l'on souhaite étouffer.
Ainsi, dans une tribune relayée par Le Monde, des membres des César ont réagi et appellent à "plus de démocratie au sein de l'Académie". Les signataires (parmi lesquel·les on retrouve Mathieu Amalric, Jeanne Balibar, Leïla Bekhti, Bérénice Bejo, Omar Sy, Céline Sciamma ou encore Karin Viard) dénoncent des dysfonctionnements et exigent "une refonte en profondeur des modes de gouvernance de l'association afin qu'ils se rapprochent de celles des institutions étrangères et des fonctionnements démocratiques qui les encadrent."
Par ailleurs, dans une tribune publiée par Le Parisien, les militantes féministes révoltées en appellent à une prise de conscience collective, ne visant pas uniquement le Président de l'Académie. Non, leur lettre ouverte se destine "aux professionnel·les du cinéma votant pour les César", en leur globalité. Les votants en question sont 4 313.
"Par ces 12 nominations, le monde du cinéma a apporté un soutien franc et inconditionnel à un violeur en cavale. Refuser de prendre position, célébrer un agresseur comme Roman Polanski, c'est soutenir le système d'impunité des violences masculines, et museler la parole des victimes", fustigent de nombreuses associations féministes, d'Osez le Féminisme au Planning Familial, du Collectif Féministe Contre le Viol aux Chiennes de garde.
Cette lettre ouverte, également signée par l'adjointe à la Maire de Paris en charge de l'égalité femmes hommes Hélène Bidard et le Collectif national pour les droits des femmes, est un mouvement de protestation à l'encontre de Roman Polanski et de la prestigieuse réception de son oeuvre. "12 nominations pour le J'accuse de Polanski. 12, comme le nombre de femmes qui l'accusent de viols pédocriminels. Par ces 12 nominations, le monde du cinéma a apporté un soutien franc et inconditionnel à un violeur en cavale, qui a reconnu avoir drogué et violé une enfant de 13 ans et a fui la justice américaine", fustigent les signataires de cette tribune.
A en lire cette lettre ouverte, le réalisateur "utilise sa notoriété, instrumentalise l'affaire Dreyfus [au coeur du film "J'accuse", ndrl] pour se réhabiliter et se poser en victime, alors qu'il est bourreau". Et tout cela n'a que trop duré.
C'est pour cela qu'aujourd'hui, associations et personnalités féministes se donnent rendez-vous le 28 février, à 18h, à la cérémonie des César, devant la salle Pleyel. Le but de ce rassemblement sororal ? "Appeler à dire NON à la célébration d'un violeur qui silencie les victimes", avance la tribune. Tout en rappelant qu'à l'heure où Harvey Weinstein se trouve au tribunal de Manhattan, dans le cadre d'un procès historique qui pourrait le conduire à l'emprisonnement à perpétuité, il semble d'autant plus anormal de tresser des lauriers à "un violeur pédocriminel en fuite". "Il s'agit de justice, pas de morale. Plus d'hypocrisie. En 2020, vous avez la responsabilité de prendre position et de refuser de décorer un violeur pédocriminel qui se pose en victime", achèvent avec virulence les signataires.
Au creux de ces lignes gravite une réflexion, percutante et fédératrice : "Dépolitiser le réel, c'est le repolitiser au profit de l'oppresseur". Cette assertion est celle d'Adèle Haenel. En 2019, le témoignage bouleversant de la comédienne a (r)éveillé la colère comme l'espoir : celui d'un #MeToo à la française, d'une brèche enfin ouverte sur les abus inhérents au monde du cinéma français. C'était en novembre dernier. Quelques mois plus tard, et malgré le mouvement de boycott féministe initié à Paris à l'encontre de l'exploitation en salles de J'accuse, l'éventuel sacre de Roman Polanski met à mal cette lutte contre "l'oppresseur". D'où l'importance de hausser la voix.
"L'impunité dont jouit cet homme malgré les très nombreuses accusations de viols à son encontre doit cesser", affirmait il y a peu le mouvement #BoycottPolanski. A la fin du mois, il faut s'attendre à ce que ces mots résonnent à quelques enjambées seulement des précieuses statuettes dorées.